Retour sur un Discours Lénifiant
Il y a des gens soi disant intellectuels qui n’hésitent pas à mettre en équation la politique et la volonté de Dieu. C’est Dieu qui donne le pouvoir, disent-ils. Cette vision théocentrique et suborneuse de la politique, bien que dépassée, est celle dans laquelle s’inscrivent nombre de politiciens béninois à commencer par le chef de l’état.
Parce que l’introduction de la donnée de Dieu dans le discours politique rejoint la pauvreté de l’esprit du peuple qui dans le malheur préfère s’en référer à cette hypothèse à forte charge émotionnelle ; au lieu d’affirmer la liberté de l’homme face à son destin et sa responsabilité dans son devenir. Dans la mesure où, concédant leur responsabilité à un être supérieur, les gens sont prompts à croire en Dieu, ceux qui les exploitent embouchent naturellement la même trompette de Dieu. Ils le font d'autant plus facilement que pour eux les choses ont bien tourné dans ce bas monde sans qu’ils sachent ce qu’ils ont fait pour mériter cela. Ils le font avec astuce en manipulant l’ignorance du peuple. Dieu devient pour eux le support publicitaire de leur pouvoir. Et ça marche à tous les coups. La religiosité étant une donnée prégnante chez nous, on n’hésite pas à mettre Dieu à toutes les sauces, notamment à la sauce politique. Ce qui, conduit à conjoindre dans un même élan le temporel et le spirituel. Et nos intellectuels attardés, donnant à cette conjonction douteuse une valeur anthropologique, sacrifient le diachronique sur l'autel du synchronique, oublient que le monde bouge, que les mentalités et les perceptions du monde évoluent, et que l’anthropologie n’est pas une donnée figée. Ils n’hésitent pas à sous-entendre que plus qu’ailleurs, cette conjonction du temporel et du spirituel chez nous va de soi. Or, comme le montre la théologie de l’ère culturelle Adja, rien n’est plus faux ; car dans cet univers le Dieu créateur Mahou n’intervient pas dans les affaires du monde. L’intervention dans les affaires du monde du Dieu créateur est une conception héritée des religions du livre imposées par l’aliénation religieuse et politique de l’Afrique.
La disposition émotionnelle des Africains au service de nos dieux autochtones ayant été détournée vers les religions monothéistes imposées par les étrangers, c’est tout naturellement que les hommes politiques, héritiers de ces mêmes étrangers exploitent à leur profit cette disposition. Tout cela dans une confusion qui hypothèque notre jugement et obstrue notre vision sur la marche objective des affaires du monde. On comprend pourquoi les hommes politiques sont grands consommateurs de Dieu, dans leur discours et dans leurs échanges avec le peuple.
Yayi Boni ne fait pas exception à la règle. Il ne cache pas son appartenance à la secte chrétienne des évangélistes, et un nombre important de ceux-ci sont influents dans son entourage immédiat. Son interview du 1er août en fait foi. De cette interview, les medias ont donné diverses répercussions. Mais toutes faisaient référence au thème du pardon. Celui que le chef de l’état aurait adressé au peuple, en rapport avec l’Affaire CENSAD. Le thème de pardon va de pair avec d’autres thèmes, comme ceux de la honte, de la souffrance, de l’abandon, etc. Ceux-ci font référence clairement à la passion christique ainsi qu’à la rhétorique consacrée. Ce qui confirme l’approche théologique, la volonté de manipuler l’émotion religieuse du peuple dans un discours où le mot Dieu à été cité 12 fois et le mot peuple cité 11 fois. Les médias ont fait grand bruit sur le thème du pardon. Selon qu’ils sont de l’opposition ou de la mouvance, soit pour emboucher la trompette de la culpabilité ou de la responsabilité du chef de l’état ; soit pour montrer sa bonne foi, sa lucidité, son humilité et sa modestie d’homme du peuple.
Or comme pour toutes les actions du Président Yayi, ses poses et postures, l’humilité, si elle a été affichée, est loin d’être gratuite. Comme les ponts supérieurs, les échangeurs, la gratuité de la césarienne, etc., elle a une arrière-pensée électoraliste. Il s’agit d’une mise en scène de l’humilité, qui détourne la culpabilité sur le terrain émotionnel de l’humilité. D’ailleurs, les médias étaient si friands de cette mise en scène qu’ils n’ont pas donné dans le détail pour dire sur quoi et par rapport à quoi le président, comme ils l’affirment un peu vite, aurait demandé pardon. En l’occurrence, voici un passage de l’interview ou vient le thème du pardon ou de l’excuse :
« Avant de commencer cette émission, je me suis senti redevable de mes chers ainés. Mes papas qui ont été appelés à tour de rôle à cette fonction. Donc naturellement, je les respecte tous du fond de mon cœur. Et je leur demande, si je commets des erreurs, qu’ils me pardonnent. (...) Pour moi le pouvoir ça appartient à Dieu. Je suis convaincu de ça. Je ne sais même pas pourquoi c’est moi qu’il a choisi et qui m’adresse à vous mes chers compatriotes. Donc, je ne sais pas comment je suis arrivé là. Je n’ai aucune force. C’est Dieu qui a décidé ainsi. Mais des fois, je demande à Dieu ce qui se passe, ne m’abandonne pas, je t’en supplie »
Chef d’œuvre de mise en scène de l’humilité et de mièvrerie pseudo-christique, cette déclaration liminaire concentre tous les ingrédients d’une volonté subtile de duper. Ainsi le Président donne du papa aux anciens Présidents alors que restent béante les plaies des coups de hache parricides qu’il n’a cessé de leur assener. Cela s’appelle au bas mot de l’hypocrisie. Ensuite il leur demande pardon : premier niveau de la mise en scène de l’humilité. Comme on le voit, il leur demande pardon avant de demander pardon au peuple. Le thème du pardon est lâché, mais à vrai dire seul le président sait pour quoi et de quoi il demande pardon ; autrement dit, nous avons affaire à un message crypté, qui prend sens en fonction de son destinataire. Puis la couleur religieuse de la référence au père et au thème du pardon ayant été annoncée, le président procède vite vers le cœur de la manipulation ; il tresse les lauriers de sa propre christification, en faisant un clin d’œil remarquable au grand drame de la passion du Christ. Dans sa bouche, le « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné du Christ » devient « ne m’abandonne pas, je t’en supplie » On est passé du questionnement à la supplique, mais en dehors de la forme rhétorique, l’essentiel y est. Yayi Boni se fait fils de Dieu, et Dieu de part le mystère de la filiation.
Plus loin, la mise en scène de l’humilité atteindra son summum à la fois de confusion et de ruse lorsque le peuple y sera amené. Au passage, Yayi Boni, émule de Georgina Duffoy, fait la distinction entre responsabilité et culpabilité. Il se reconnaît responsable mais pas coupable. « Mais là où je veux en arriver, je dis que j’assume parce que je suis responsable. » dit-il. Et il ajoute : « Alors, demain si on me donne les coupables, naturellement, je vais sanctionner. C’est moi qui ai nommé les ministres. J’ai cette responsabilité morale. J’assume. »
Mais personne ne sait ce que lui coûtera cette responsabilité qu’il assume. Que vaut l’assomption d’une responsabilité dès lors qu’elle est séparée de la culpabilité en termes y compris moraux et juridiques ? Rien d’autre que de la rhétorique ? Accepte-t-il au fond de lui que cette responsabilité assumée peut avoir des conséquences politiques ? Ou pense-t-il que la force de la mise en scène seule suffira à les enrayer ?
Alors vient le moment de la grande mise en scène, celle qui a permis au média plus rapides à affirmer qu’à observer, que le Président a demandé pardon au peuple. Or donc ce soi-disant pardon est arrivé en réponse à une question qui n’avait rien à voir avec le scandale que chacun a en esprit. « Est-ce que vous avez donné ordre qu’on interdise la marche ? » demande-t-on au Président.
« J’ai souhaité qu’ils reportent », répond le Président goguenard. C’est mon grand souhait pour ne pas perturber, pour ne pas accroitre la douleur de ce peuple qui est meurtri par ce dossier. Mais vous croyez que je peux vous regarder dans les yeux avec ce dossier ? J’ai honte. Je présente mes excuses au peuple. »
Donc dans la réponse du Président, on passe subrepticement de l’interdiction de la marche à son sentiment sur le dossier CENSAD. Il dit qu’il a honte sans qu’on ne sache précisément si la honte est celle d’avoir interdit la marche des Syndicalistes ou celle d’être le chef d’un gouvernement dont des membres influents sont pris en flagrant délit de corruption. Personne n’a cherché à clarifier cette ambigüité. Et on a crié au pardon que le président aurait demandé au peuple. Or, il y a dans ce chevauchement de registre une réelle confusion.
Quoi qu’il en soit, ce pardon unanimement proclamé par la presse et l’humilité du Président Yayi Boni qu’il est censé illustrer sont sujets à caution. Parce que, comme nous l’avons dit, depuis qu’il est au pouvoir, Yayi Boni n’a jamais agi dans le sens d’un souverain bien. C’est-à-dire que tout ce qu’il fait a été calibré et est destiné à consolider sa réélection, qui est une idée fixe. Donc l’humilité affichée n’est rien moins qu’une subtile opération de mise en scène, qui joue en même temps le rôle de fusible juridique. Mais la belle preuve de la manipulation des émotions à laquelle procède la communication du chef de l’état est d’ordre logique. En effet, dans la même communication, on voit le Président qui affiche son humilité soit vis-à-vis de ses aînés à qui il demande pardon sans aucune nécessité constitutionnelle, soit vis-à-vis du peuple. Mais dans le même élan, – et il ne s’agit pas là d’une vue de l’esprit critique –, il se prend pour Jésus-Christ, c’est-à-dire Dieu. Ça ne tient pas la route. On ne peut pas à la fois en un seul tenant se prendre pour Dieu et demander pardon ! Il y a là une contradiction logique qui éclaire sur la fonction à peine implicite du signe du pardon sous lequel s’est ostentatoirement placé le discours du Président.
Binason Avèkes
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