Par Maryanne Wolf*
Après plusieurs années de recherche sur la façon dont le cerveau humain apprend à lire, j’en suis venue à une conclusion aussi troublante que simple: Nous, les humains ne
Franka Bruns / Associated Press
Chaque jeune lecteur doit remodeler un tout nouveau "circuit de lecture" à chaque fois. Il n'y a pas un circuit tout prêt qui ne demande qu'à s'épanouir. Cela signifie que le circuit peut devenir plus ou moins développé selon les indications de l'apprenant: par exemple, l'enseignement, la culture, la motivation, les possibilités d'éducation.
Autre fait intéressant, ce circuit vierge est façonné par les exigences particulières du système d'écriture: par exemple, des circuits de lecture chinoise exigent davantage de mémoire visuelle que les alphabets. Cette «architecture ouverte» du circuit de lecture rend les circuits du jeune lecteur en développement malléables à ce sur quoi que le support (par exemple, la lecture numérique en ligne, le livre, etc) met l'accent.
Et cela, bien sûr, est le problème actuel. Personne ne connaît réellement les effets ultimes sur le jeune cerveau en développement d'une immersion dans un milieu numérique. Nous ne sommes pas peu édifiés, toutefois, sur la formation de ce que nous tenons pour le cerveau apte à la lecture que la plupart d'entre nous possédons au stade actuel de l'histoire.
En bref, ce cerveau apprend à accéder en moins de 300 millisecondes, à une vaste gamme de processus visuels, sémantiques, phoniques (ou phonologiques), et conceptuels, qui nous permet de décoder et de commencer à comprendre un mot. À ce stade, pour la plupart d'entre nous, notre circuit est suffisamment automatique pour allouer 100 à 200 précieuses millisecondes supplémentaires pour un ensemble encore plus sophistiqué de processus de compréhension qui nous permettent de relier ces mots décodés à l'inférence, au raisonnement analogique, à l’analyse critique, contextuelle des connaissances et, enfin, nec plus ultra de la lecture : nos propres pensées qui vont au-delà du texte.
C'est ce que Proust appelle le cœur de lecture - lorsque nous allons au-delà de la sagesse de l'auteur et saisissons le début de la nôtre.
Je n'ai aucun doute que les nouveaux médiums permettront d'accomplir un grand nombre d’objectifs que nous fixons au cerveau du lecteur, notamment la motivation à apprendre à décoder, lire et expérimenter la connaissance disponible. En tant que chercheur en neurosciences cognitives, cependant, je pense qu'il nous faut des recherches rigoureuses quant à savoir si le circuit de lecture de nos membres les plus jeunes sera court-circuité, symboliquement et physiologiquement.
Car mon plus grand souci est que le jeune cerveau n'aura jamais le temps (en millisecondes ou en heures ou en années) d'apprendre à aller plus loin dans le texte après le premier décodage, mais plutôt sera attiré par le milieu vers une information toujours plus distrayante , encadrée, et maintenant, peut-être, des vidéos (dans le vooks en vogue).
L'imagination de l'enfant et son sens naissant de probité et d'introspection ne sont pas à la hauteur d’un média qui crée un sentiment d'urgence incitant à capter la première information stimulante qui passe. La durée d'attention des enfants pourrait être l'une des principales raisons pour lesquelles une immersion dans la lecture à l'écran est tellement captivante et pourrait expliquer aussi pourquoi la lecture numérique pourrait néanmoins s'avérer contraire à l’aptitude à l’extensivité, la nature réflexive du cerveau du lecteur compétent ordinaire.
Nous pouvons apprendre beaucoup à partir d'une transition similaire que les Grecs ont fait de l'oralité (Socrate) à l'alphabétisation (Aristote). Socrate craignait que les jeunes ne fussent abusés par l'apparence de vérité dans un texte apparemment imperméable à penser, et qu'ils s’imaginent savoir quelque chose avant d'avoir jamais commencé.
En lecteur chevronné Aristote s'inquiétaient des trois vies de la «bonne société»: la première vie est la vie de la productivité et la collecte des connaissances, la seconde, la vie de loisirs, et la troisième, la vie de réflexion et de contemplation.
Pour moi, la formation du « bon lecteur » suit une évolution similaire. Je ne doute pas que l'immersion numérique de nos enfants devra offrir une vie riche en divertissements, informations et en connaissances. Ma préoccupation est qu’avec leur immersion passive, qu’il ne puisse accéder à la joie et à l'effort de la troisième vie, qui permet de penser ses propres pensées et d'aller au-delà de ce qui est donné. Que nos meilleurs pensées et recherches soient consacrées à préserver ce qui est le plus précieux dans le cerveau du lecteur actuel, auquel s’ajouteront le meilleur des évolutions de l’ère nouvelle.
Binason Avèkes trad
*Maryanne Wolf est professeure au Département Eliot-Pearson du Développement Infantile à l’Université de Tufts, et l'auteure de "Proust et le calmar: L'histoire et des sciences du cerveau, la lecture». source new york time
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