On stigmatise le régionalisme officiellement, mais officieusement, dans la vie de tous les jours, il est à l’œuvre dans nos pratiques. Ce chevauchement hypocrite entre le bien proclamé et la toute-puissance active du mal doit être combattu. Et la meilleure façon de le combattre consiste à dénoncer la subtilité de son procédé. Car c’est moins le régionalisme qui est le mal que le procédé par lequel il sévit. En vérité, le régionalisme n’est pas un mal s’il joue à fond et ouvertement dans notre pays, sans débordement, en restant dans le cadre de la démocratie.
Alors que depuis des siècles ces peuples vivaient ensemble et partageaient le même fond commun de valeurs sociales et religieuses, etc. on a confectionné et distillé en leur sein le poison des haines historiques. A cet effet, on a rouvert les plaies de la nuit de l’esclavage et du mépris tribal en désignant de façon manichéenne les Fons, c'est-à-dire l’ethnie majoritaire du Bénin comme bourreau, là ou les Yorouba, Nago, et autres Aïzo seraient les victimes. On a aussi réveillé et activé les rivalités fratricides héritées de l’histoire politique des grands royaumes du Sud (Porto-Novo/Abomey). Ajouté à ces manœuvres diaboliques, on a territorialisé les oppositions basées sur les dissensions sociales du passée. Certains territoires ont été stigmatisés comme devant être anti-Fon de par cet héritage de souffrance dont les Fons seraient responsables. C’est ce qui explique la double césure d’une part entre les proto-Adja (Fons, Gouns, Guins) et les Proto-Yorouba (Yoruba, Nago, Mahi, Holli) partout où ils étaient en connexité voire même en mixité territoriale ; et d’autre part, la césure Fon/Goun qui en raison du poids démographique de leur territoire a toujours été la colonne vertébrale de la stratégie de diviser pour régner.
Cette stratégie, élaborée et savamment entretenue par le Chef d’état originaire du Nord dans son intérêt électoral a été conduite avec les moyens de l’état. Partout dans le Sud, Goun et Fon d’une part, Yorouba et Proto-Adja d’autre part sont encouragés à se regarder en chiens de faïence sinon à se haïr alors qu’ils sont des frères de sang ou des cousins culturels très liés historiquement, et partagent les mêmes territoires. Dans cette logique, au centre du pays, le pouvoir dirigé par un Chef d’état du Nord, a fractionné méthodiquement ce qui faisait l’unité du Zou et cela a donné naissance aux Collines, c’est-à-dire un fief implicite des proto-Yoruba ainsi séparés de leurs cousins et frères Fons. Or comme cette région se trouve dans le Zou Nord et concentre une population métissés de proto-Yorouba et Fon, à dominance culturelle proto yorouba, grande a été la tentation de renier la réalité des valeurs et du destin communs avec les Fons. Ce refus conduit les localités de Dassa, Savè, Banté, Glazoué, etc. dans leur reniement politique des Fons vers une exacerbation de la spécificité ethnique au besoin matinée d’un tropisme d’affiliation imaginaire avec le Nord. Ce qui traduit bien le fait que dans l’esprit des gens de cette partie du centre du pays, être du Nord, ce n’est pas forcément en partager les valeurs ( religieuses, historiques, culturelles) mais d’abord et avant tout refuser toute communauté de destin avec les Fons ou le Sud. Une démarche qui a conduit à ce qu’il faut bien appeler la « septentrionalisation » rampante du Centre. Phénomène qui va de pair avec l’atomisation aliénante du Sud, entre Yorouba et proto-Adja, aliénation sur laquelle plane le spectre de la même « septentrionalisation », dans la mesure où ces deux travers ne sont que des formes différentes d’une même volonté de puissance basée sur la méfiance envers les Fons, l’ethnie majoritaire.
Où est le paradoxe dans tout ça ? C’est que le régionalisme initié par le pouvoir d’état sous la conduite du Président du Nord est parvenu à conserver le pouvoir présidentiel à cette région, et même à naturaliser cette conservation à travers une formule insidieuse, alors même que le Nord reste démographiquement minoritaire dans le pays ! Prouesse subtile ! Nous avons affaire à un double standard de régionalisme : il y a le régionalisme positif en tant qu’il consolide l’unité politique du Nord dans la conscience vigilante pour la préférence inconditionnelle d’un Président du Nord ; et il y a le régionalisme négatif, qui veille scrupuleusement à empêcher l’unité politique du Sud, en réveillant ou en créant de toutes pièces mille et une raisons de division, de dissensions et de haines de soi. La méthode, d’une simplicité éculée, consiste à touiller les boyaux des diverses localités tribales du Sud pour les dresser les unes contre les autres. Dans le même temps, on fait croire au Sudiste que ne pas hésiter à élire un Président du Nord est le nec plus ultra, le geste politique intelligent par excellence, d’une rationalité exquise, qui témoigne de son sens élevé de l’unité nationale.
Ce genre de manipulation a trop duré. Non pas dans le sens de l’alternance régionaliste institutionnalisée comme certains commentateurs l’ont préconisé. Cette idée en dépit de la publicité dont elle a joui est le prototype même de la fausse bonne idée, qui comporte plus de vices que de vertu pour la démocratie. Mais la raison est que cette logique de régionalisme négatif se fait au détriment du Sud dont il organise, systématise et pérennise la division. Et le Bénin ne peut jamais être uni si le Sud continue à être maintenu dans cette situation de division construite, même si elle est inspirée de données ou de réalités historiques. En fait la contradiction saute aux yeux seulement lorsque dans une réalité d’opposition régionale claire entre le Nord et le Sud, il apparaît que les Présidents Béninois sont plus souvent du Nord que du Sud. En gros, alors que le Sud concentre au moins 60% de la population du pays, sur 50 ans d’indépendance, le Président du Nord a été au pouvoir pendant 43 ans contre 7 ans au Président su Sud ! Il est tout de même étonnant que dans un pays qui, naguère, s’appelait, Dahomey, on n’ait pour ainsi dire presque pas eu de Président originaire de l’aire culturelle de ce même Dahomey ! Or si le colonisateur avait nommé ce pays Dahomey, il avait de bonnes raisons de le faire. Donc il se passe quelque chose d’obscur et on pourrait penser que la première étape de cette connivence obscure se situe au niveau même du changement de nom Dahomey en Bénin. Car peut-on imaginer un Dahomey où depuis 50 ans, il n’y aurait pas de Président originaire de la partie du territoire qui donne son nom à tout le pays ? Un peu comme si depuis Napoléon, il s’était mis en place une connivence au travers de la quelle tous les Présidents de France seraient originaires de Corse !
Donc pour que le pays soit uni, il faut revenir aux réalités culturelles objectives et symboliques qui unissent les groupes ethniques et les diverses collectivités du Sud. Au lieu de les décourager, il faut les inciter à adhérer au fond commun des valeurs et représentations collectives qui leur sont propres. Ce qui veut dire que loin de sa surdétermination politique classique, le régionalisme éclairé défendu ici est d’abord d’essence culturelle, axiologique, et symbolique. Un événement culturel comme le Nonvitacha de Grand-Popo en donne l’exemple et mérite d’être généralisé à tout le Sud. Cette essence ravivée, intériorisée et réappropriée par tous peut servir de ciment de l’identité commune. Ainsi sera réalisée l’unité du Sud. Et non pas, comme certains le préconisent par l’élection d’un Président soit disant du Sud, qui n’est qu’une manière de mettre la charrue avant les bœufs. Du reste, sous l’ère du Renouveau, on a vu ce qu’a donné cette théorie du Président dont l’élection précèderait l’unité effective du Sud : une fois Soglo élu, un front du Sud, espèce de tout-sauf-les-Fons, toute obédience confondue –de Houngbédji à Amoussou en passant par Tévoédjrè et autre Sefou Fagbohoun – n’eut de cesse de le dégommer. Ce qu’ils firent avec une joyeuse indignité et une satisfaction d’autant plus retorse que cette manifestation triomphale de la haine de soi n’avait pas d’autres motifs sérieux qu’elle-même. Or loin de cet esprit de haine de soi, le Sud doit s’unir autour de son fond commun de valeurs territoriales, historiques, linguistiques, culturelles et cultuelles. Un tel Sud véritablement uni peut élire le Président de son choix, selon son désir. Pour atteindre cet objectif, la seule solution est de substituer un régionalisme éclairé au régionalisme négatif et suborneur qui a prévalu et continue de prévaloir sous l’impulsion diabolique de Yayi Boni dont la passion régionaliste s’exprime sans complexe ni réserve. Le but du régionalisme éclairé est de faire réaliser à tous ceux à qui plusieurs décennies de manipulation ont fait croire qu’ils avaient plus de raisons de se méfier les uns des autres que de s’unir, qu’ils ont été trompés. Pour cela, il n’y a pas meilleur slogan que celui que lançait le cinéaste américain Spike Lee, il y a vingt ans, dans son film "Do The Right Thing". Oui, le Sud doit faire sien ce mot d’ordre et faire ce qu’il convient de faire : l’unité !
Cela étant dit, considéré d’un point de vue politique, on réalise bien qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Depuis le séminaire de Bohicon les 28 et 29 novembre 2008 on attend les signes forts de cette unité qui peine à se concrétiser. D’une part la subtilité captieuse de la posture de la RB dans son rapport ambigu avec le pouvoir caractérisée par la présence controversée d’un membre de la famille Soglo au gouvernement et l’existence d’un quarteron de sous-marins de la RB qui, sous l’égide de sa Présidente autoritaire, prend langue avec le pouvoir d’une manière et selon des méthodes qui sapent sciemment l’unité proclamée de l’opposition ; et d’autre part l’implicite réactivation de la méfiance atavique entre Gouns et Fons, selon qu’on redoute que l’unité ne profite qu’à untel, ou que l’on lui assigne comme objectif principal, mais Ô combien dérisoire et idiot de laver l’affront fait à Soglo en 1996.
L’élection du Président originaire du Sud n’a pas pour but de justifier l’unité du Sud ; au contraire c’est l’unité du Sud qui doit justifier l’élection du Président originaire du Sud. Et cette unité doit être réalisée simultanément sur le plan culturel et sur le plan politique. Ceux qui crient « unité ! unité ! » sans prendre en compte cette condition, font preuve soit de cécité logique soit d’hypocrisie politique si ce ne sont les deux à la fois.
Pour que le Bénin soit uni, il faut que le Sud le soit ; et pour que le Sud s’unisse, il faut que tous les peuples du Sud, arrêtent d’être les ludions des politiciens et enfin acceptent leur unité essentielle : c’est cela qu’il convient de faire ! Tel est le sens sacré et non moins rationnel du régionalisme éclairé.
Binason Avèkes
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