V- FAIRE MÉMOIRE ET GUÉRIR LA MÉMOIRE POUR BÂTIR L'AVENIR
Par Jean PLIYA.
Depuis la naissance du Dahomey, la frustration des gens d'Abomey a été grande car la colonisation a tenté de liquider officiellement la royauté. Abomey a assez chèrement payé pour son histoire. Elle ne doit pas continuer de subir des représailles et d'être marginalisée pour occuper dans la nation béninoise la place normale qui lui revient conformément à son potentiel économique et humain.
Le colonisateur français a été tellement impressionné par la vaillance, la résistance du Roi GBEHANZIN et de son armée conduite par le Gahou GOUTCHILI qu'il avait eu longtemps peur d'une éventuelle réaction de revanche de ses frères, les princes d'Abomey qui pouvaient encore galvaniser les populations déjà soumises à la loi coloniale. Le Gouverneur FOURN (1917-1928) en avait des sueurs froides. Il savait en effet à quoi s'en tenir, lui qui, allié par mariage à une descendante de GBEHANZIN, a participé activement au rituel des funérailles du Roi. Cette crainte de soulèvement explique que le retour des cendres ait été différé jusqu'au 9 mars 1928. L'heureux aboutissement, après 20 ans de démarches harassantes, est dû à l'action menée inlassablement par le Prince OUANILO devenu premier Avocat Noir au Barreau de Paris et son cousin KOJO TOVALOU HOUENOU. Ils ont déclenché une campagne de presse qui força le Ministre des Colonies Albert SARRAUT à autoriser le départ pour l'Algérie pour raison médicale, l'état général du Roi s'étant dégradé. Ajoutons que certains appréhendaient même que GBEHANZIN ne ressuscite tout simplement si on ramenait trop vite son corps à Abomey. Vous imaginez donc le pouvoir que ses adversaires attribuaient au Roi, même défunt ? En effet, GBEHANZIN était l'objet d'un véritable culte qui a pu susciter des conflits au sein des lignées royales, marqués par des propos diffamatoires, voire des calomnies.
Or, GBEHANZIN, homme de consensus, avait souhaité qu'AGOLI -AGBO fît ses funérailles car pour lui, il incarnait le mieux les traditions ancestrales. Nous devons rendre hommage à toutes les Familles Royales d'Abomey et à leurs représentants d'avoir accepté de commémorer ce Centième Anniversaire de la mort de GBEHANZIN pour rassembler spécialement tous les descendants de sa majesté le Roi GLÈLÈ, afin de dissiper tout malentendu et de conjurer la division.
« Race d'Allada ! Agbomè a trébuché mais n'est pas tombée », a déclaré AGOLI-AGBO. N'est-ce pas l'essentiel ? D'ailleurs le plus grave n'est pas de tomber, mais, une fois tombé, de refuser de se relever pour marcher jusqu'au bout. « La victoire appartient à celui qui sait attendre un quart d'heure de plus que l'adversaire », disait le Maréchal FOCH. S'abaisser pour triompher, excellente tactique des vrais stratèges. La France a cru défaire le Royaume d'Abomey, mais GBEHANZIN avait la vision de sa vraie victoire. « Je savais que dans le fond je n'ai pas échoué, confirme-t-il à GUEDEGBÉ qui consultait les oracles. Nos morts veulent dire sans doute que le Danhomè grandira comme je l'ai désiré et que ce nom ineffacé abritera des peuples plus nombreux que ceux du Danhomè actuel. - Oui, mon Roi, renchérit le devin, depuis la mer turbulente jusqu'aux régions lointaines où le soleil chauffe comme une fournaise. » l
Où se trouvent aujourd'hui les descendants des Souverains et des populations d'hier ? Leur sang ne s'est-il pas mêlé, par diverses alliances, au sang des peuples naguère dominés par Abomey ? C'est ensemble que nous relèverons les défis actuels : union, cohésion, travail, volonté de vivre en commun pour le bonheur de tous, émulation pour un vrai changement, pour sortir de l'ornière de plusieurs décennies d'inertie, de paresse, d'irresponsabilité, d'impunité et de corruption. Notre leitmotiv ne sera pas seulement la quête effrénée de l'argent, du CFA, du dollar, de l'euro ou du cauris, mais aussi l'union des cœurs, l'alliance des mains pour bâtir, la cessation des querelles, des coups bas et des coups fourrés qu'on appelle béninoiseries. Un cauris brillant, un cœur ouvert : symboles des nouveaux bâtisseurs du Bénin, du Bénin en changement.
Ohé ! peuples du Danhomè, du Dahomey et du Bénin, la guerre est terminée, la domination coloniale a cessé. Il ne faut plus de ruse ou d'astuce pour tromper l'adversaire, le frère. Les peuples qui se combattaient jadis habitent à présent la même concession. Les gens de l'Ouémé-Plateau, du Littoral-Atlantique, du Mono-Couffo, du Zou et des Collines, et ceux de l'Atacora, de la Donga, de l'Alibori et du Borgou sont désormais concitoyens, compatriotes en marche vers la fraternité. La commémoration du Centenaire de la mort du Roi GBEHANZIN marque l'An I de la réconciliation générale et le temps des malédictions abolies, des bénédictions renouvelées. D'où est venue l'idée tenace que GBEHANZIN se sentant trahi, aurait maudit son héritage et déclaré que « si son balai ne balaie pas la maison de HOUÉGBADJA, ce palais deviendrait une broussaille inhabitable et connaîtra la décadence » ? Pourquoi aurait-il prononcé des malédictions pour vouer la région d'Abomey et la descendance des rois à la discorde et à la régression ?
Quoiqu'il en soit, le Souverain parti en exil en 1894 a été bien mûri par l'adversité. Après sa reddition, le grand malentendu entre le général DODDS et GBEHANZIN a éclaté. Selon la promesse de DODDS, le Roi devait se rendre en France pour rencontrer le Président de la République française et il se retrouva déporté dans les Antilles, à la Martinique. Une telle forfaiture semble être une constante dans la politique coloniale. GBEHANZIN conscient de l'ampleur de ses pertes en vies humaines et de la supériorité technique et militaire des Français a choisi de se rendre de lui-même à DODDS, debout, non à genoux. Il a fait dire au Général DODDS d'envoyer le chercher à un endroit qu'il avait désigné. Cette mission fut exécutée par le Capitaine PRIVE qui sera chargé par la suite d'escorter GBEHANZIN jusqu'à la Martinique. Or le « Petit Journal » du 19 novembre 1894 a fait le compte rendu suivant :
« Après une lutte d'une extraordinaire énergie, le Roi GBEHANZIN réduit par nos troupes et l'abandon des siens a fait enfin sa soumission et le général DODDS a pu télégraphier ce qui suit au ministère de la Marine : « GBEHANZIN poursuivi par les troupes françaises et par la population ralliée au nouveau Roi, abandonné d'ailleurs par tous les membres de la Famille Royale et redoutant d'être enlevé militairement, a fait sa soumission sans condition. Il a été arrêté le 25 janvier près d'Ajego au Nord-Ouest d'Abomey et amené à Goho. Il sera expédié selon vos instructions au Sénégal par le « Second », les ministres seront dirigés sur le Gabon ».
Le curieux destin du Roi GBEHANZIN lui a fait suivre la route des esclaves noirs qu'on expédiait vers les Amériques. Il fut embarqué dans un bateau cellulaire et quitta Cotonou le 11 février 1894. Il arriva à la Martinique le 30 mars 1894. Le wharf de Cotonou, achevé en 1892, a été pour lui la porte du non-retour mais non celle de l'oubli. GBEHANZIN a été détenu au Fort TARTENSON, à 2 Km et demi de FORT-DE-FRANCE pendant quatre ans avant d'aller habiter le « Villa des Bosquets ». Il a gardé toute sa noblesse et sa dignité. Là-bas sa mémoire est demeurée vivante, empreinte d'admiration, de respect sinon de crainte. Madame PIAT, une Martiniquaise décédée à 97 ans, grand-mère de la femme d'un
compatriote Béninois, a raconté à ce dernier sa mémorable rencontre avec GBEHANZIN, lorsqu'elle avait douze ans. A FORT-DE-FRANCE, tout le monde parlait du Roi venu d'Afrique, mais les gens avaient peur de s'approcher de lui. La fillette voulait, par curiosité, le voir à tout prix. Les après-midis, le Roi se rendait sur la plage de la « Savane », près du Fort TARTENSON, escorté de trois femmes, l'une portant la pipe du Roi, l'autre le crachoir et une troisième, le parasol. Le Roi s'asseyait face à la mer, regard tourné vers la lointaine Afrique.
Un jour les parents de l'enfant l'envoyèrent acheter du pain. Elle fit un détour par la plage. Avec un peu de crainte, elle s'avança jusqu'à quelques pas du Roi. Les reines ne bougèrent pas. Le Roi se retourna et la regarda fixement. L'enfant, figée sur place, resta debout, incapable de bouger pendant deux heures, jusqu'au moment où le Roi donna l'ordre de partir. Quand elle se réveilla, elle courut dans tous les sens et revint chez elle sans avoir acheté le pain.
GBEHANZIN avait-il espéré qu'il retournerait un jour dans sa patrie ? Bien sûr ! C'était son vœu le plus cher. « Conscient que sa meilleure chance de bénéficier d'une prompte mesure d'élargissement résidait dans une attitude docile et coopérative, il se montra conciliant, protestant de son attachement pour la France et de son désir de servir sa cause avec fidélité.... une fois rentré au pays. Le Gouverneur de la Martinique, M. MORACCHINI, soulignait aussi l'excellente conduite du prisonnier. Mais le clan des irréductibles ennemis de GBEHANZIN avec en tête le Gouverneur Victor BALLOT, le taxaient de calculateur et assuraient qu'une mesure de clémence aurait des effets désastreux et ruinerait l'œuvre d'organisation de la colonie du Dahomey »2. Finalement GBEHANZIN comprendra que son exil était irréversible. Cependant, inlassablement, il écrivait aux autorités françaises pour réclamer son rapatriement au Dahomey.
VI - L'AVANT DERNIERE ETAPE DE LA LONGUE MARCHE
A suivre...
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
ok la petite fille du gouverneur FOURN c est ma mère .elle est marieè avec mon père MIGAN WASSI Un Dahomeèn un vrai croyait moi.
Rédigé par : migan jean pierre | 11 avril 2011 à 00:44
Oui, il y a de quoi avoir peur, d'autant plus que fatalement nos dirigeants ont du mal à assumer leur autonomie, et partant la nôtre. Ils ne sont jamais sûrs d'eux que lorsqu'ils en ont reçu l'ordre de ceux-là mêmes qui nous exploitent toujours... Il y a un autre document sur le Blog à propos de Agoli-Agbo dont la lecture est conseillée pour se faire une idée plus complète des rapports entre Gbêhanzin et Agoliagbo d'une part, et Agoliagbo et les Colons d'autre part... Bonne lecture. Et au plaisir d'échanger
Rédigé par : B. A. | 25 mars 2009 à 21:45
A la lecture de ce document on se rend compte le colonisateur a toujours divisé pour régner. Sinon pourquoi nous a t-on sali l'esprit avec cette de trahison de Béhanzin par son frère Agoli-Agbo? Et après la colonisation pourquoi nos politiciens sont sur leurs traces? J'ai peur pour mon pays!!!
Rédigé par : Aweni | 25 mars 2009 à 10:05