On a introduit récemment une explication de la situation politique actuelle du Bénin qui serait, pense-t-on, placée sous l’emprise fatale de l’échec. Cette approche se conçoit dès lors qu’on veut exercer si peu que ce soit son droit de douter, ou même un certain sens critique de défiance vis-à-vis d’une classe politique dont les mœurs ces 50 dernières années ont été rien moins que décevantes, les agissements irresponsables et les résultats médiocres sinon pire. Mais, à y voir de près, cette analytique du soupçon semble frappée au coin d’un parti pris. Elle relève en fait d’une extrapolation sur un temps incomplet dont l’arbitraire ne rend pas raison du vrai caractère de la politique au Bénin. Le cycle temporel qui va du succès à l’échec fatal avec comme instrument la « solution Kérékou » est un peu court. Sur le temps historique long on peut s’apercevoir d’une autre tendance de fond dont ce cycle, le cas échéant, n’est qu’un état momentané. Il s’agit de la culture de division. On peut remonter cette division très loin en arrière dans l’histoire de notre pays. Si l’histoire des royaumes du sud nous enseigne la domination du Danhomè, elle montre aussi la résistance et la défiance d’autres royaumes frères comme celui de Porto-Novo.
Dans l’histoire politique postcoloniale du Bénin, il est aussi indéniable qu’on se déchire plus au Sud que dans le Nord. Probablement le contexte politique précolonial, avec son cortège de frustrations, de blessures, de domination, de violence intertribale rend raison de cette culture de la méfiance, du repli sur soi alors que souvent ce qui devait unir est plus consistant que ce qui sépare. Cette division qui existe au sud, s’est compliquée avec le contexte national imposé artificiellement par le colonisateur de la distance culturelle Nord-sud constellée de plusieurs paramètres de clivage identitaire : ethnies, religions, cultures traditionnelles, langues, mœurs, radicalement différentes ; religions du livre opposées.
Toutes ces logiques de divisions ont été importées dans la sphère politique avant et surtout après l’indépendance de notre pays. C’est cela qui a fait qu’après l’indépendance, les Dahoméens étaient incapables de s’unir. Le Bénin a connu une histoire politique mouvementée. Les douze premières années furent marquées par une instabilité chronique, les anciennes élites coloniales, pour la plupart originaires du Sud, se disputant le pouvoir. En 1963, l'armée força Hubert Maga, premier président du Dahomey indépendant, à démissionner ; quatre coups d'État furent perpétrés durant les six années qui suivirent. En 1970, un Conseil présidentiel de trois membres prit le pouvoir, suspendit la Constitution et ses membres assumèrent alternativement la présidence. En 1972, le commandant Mathieu Kérékou prit le pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat et proclama la Révolution marxiste- léniniste. Le Nord étant plus unis que le Sud, tout se passe comme si l’incapacité congénitale des hommes du sud de s’unir les poussait à utiliser le Président du Nord comme un arbitre de leur division. Tel est le sens de l’élection de Maga en 1960 comme premier Président du Dahomey ; mais aussi du long règne de trente ans de Kérékou, militaire originaire du Nord ; et enfin de l’élection surprise en 2006 de Yayi Boni qui assume même de façon mitigée, l’identité d’homme du Nord.
Dans cette perspective marquée par la culture de division, il y a des constantes qui dès lors paraissent plus fondées que le soupçon de la politique de l’échec. Par exemple le fait que régulièrement l’exacerbation de la division débouche sur une union plus ou moins sacrée. Le Conseil Présidentiel, qui vient après une série mouvementée de divisions des ténors de la politique de l’époque, est un exemple de cette union post-division. Il y a des unions après la débâcle comme celle qui a présidé à la Conférence nationale, une sorte d’union totale, même si elle est dominée et imposée par une partie. Mais il y a aussi les unions négatives sur le modèle du tout sauf X, ou d’une cabale contre Y. C’est ce qui s’est passé en 1996 et qui a abouti à l’éviction de Soglo. En 2006 on expérimenta l’union du type tout sauf X aux dépens de la personne de Maître Adrien Houngbédji contre qui, comme lorsqu’on accuse de rage un chien qu’on veut noyer, on avait assemblé tous les défauts du monde au mépris de ses qualités qui sautaient pourtant aux yeux. Aujourd’hui avec la crise on est dans la cabale contre Y(ayi)...
C’est en élargissant ainsi la perspective historique que l’on peut rendre raison du caractère de la politique nationale et de ses tendances afin de mieux saisir les enjeux et les solutions.
Cette tendance à l’union n’est pas forcément le signe d’une politique de l’échec comme l’analysent certains ni une ruse. Certes, elle découle de nos habitudes acquises, d’une culture à transformer, à dépasser mais la solution n’est pas exogène, mais endogène. Si le Conseil présidentiel a échoué c’est parce qu’elle correspondait à une union imposée de l’extérieur. Si l’union sacrée qui a porté la conférence sur ses fonds baptismaux a ouvert la voie au Renouveau c’est parce que la division qui l’a nécessitée était consécutive à un échec réel : l’échec de la Révolution, le pays était dans la misère, l’économie à terre. Si l’union négative qui a porté Kérékou au pouvoir a échoué c’est parce qu’elle correspondait à un artefact, une division des hommes mais pas à un problème réel dans le pays.
Donc ce n’est pas parce que les hommes et les femmes qui s’unissent aujourd’hui contre le pouvoir en place ont un lourd passif derrière eux qu’ils seront nécessairement porteurs d’échec. Dans la mesure où l’amélioration de nos mœurs politiques est endogène, il dépend de tous, notamment de ceux dont les actions par le passé, en dépit de leurs erreurs et en raison suprême d’elles, leur confèrent un pouvoir de sagesse que nous aurions tort de ne pas mettre à profit.
Donc l’union des "G" et "F" peut bien être fructueuse, comme elle peut être une « politique de l’échec. » Mais pour savoir si les "G" et "F" s’unissent pour le meilleur ou le pire, pas besoin de regarder leur passé ni leur passif, il faut regarder dans quelles conditions ils font leur entrée dans le cycle de l’union sacrée et ce pour quoi ils s’unissent ici et maintenant.
Béatrice Amintépé
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