Le but de Monsieur Yayi Boni, son intelligence et sa méthode est de créer une forteresse d’intérêts de classe qui le moment venu doit savoir se défendre pour persévérer dans son être. C’est de cette self-défense que dépend sa survie politique. Une survie qui passe avant la substance de sa promesse de changement, c’est-à-dire faire en sorte que l’injustice du vol de l'argent public par quelques hommes (ou femmes) malintentionnés et bien postés prenne définitivement fin. Après tout c’était cela qu’on reprochait principalement à Monsieur Kérékou : d’avoir ruiné et laisser ruiner l’économie du pays par une mafia de malfrats égoïstes sans foi ni loi. Mais la méthode de Kérékou était contrebalancée. A la ruine de l’économie, mère de toutes les misères, Kérékou a opposé une certaine paix politique, qui a contribué à consolider le processus démocratique. La méthode de Yayi Boni a-t-elle aussi son principe d’équilibre ? Sans doute. Le banquier qui ne fait pas mystère de sa doctrine tient en horreur la ruine de l’économie. Ne serait-ce que pour justifier son expérience professionnelle. Yayi Boni a rétabli le fonctionnement économique normal, rien de transcendant mais juste ce qu’il faut. Ce faisant, il a optimisé le renflouement des caisses de l’Etat. Mais dans le même temps, avec un réalisme pour le moins déroutant, il procède à la défalcation automatique de sa propre part. Il s’auto-rétribue. Cette auto-rétribution se fait par dissipation rationalisée de ce qu’il a lui-même contribué à apporter dans les caisses de l’Etat. Partisane, la dissipation passe par une variété de canaux, de filières de corruption et de titre divers : amitié politique, renvoi d’ascenseur à des soutiens financiers de la première heure, régionalisme forcené, gaspillage populiste, dilapidation fantaisiste, faits du prince, bon plaisir, générosité farfelue, multitude de conseillers, train de vie dispendieux de l’état, gouvernement pléthorique, voyages présidentiels coûteux, etc.. Bref Monsieur Yayi Boni se sert sans façon dans la caisse qu’il a renflouée lui-même. Dans une certaine mesure, la différence essentielle avec la corruption sous Kérékou est d’ordre technique. Par exemple pour continuer à assurer des avantages à un Ministre que la réalité politique a contraint à sortir du gouvernement, on le case à la Présidence comme conseiller. Autrement dit, cette même somme qu’on volait sous Kérékou sans crier gare, est dissipée mais de façon officielle et rationnelle. S’il est rationnel de désigner où va l’argent est-ce faire preuve de bonne gouvernance que de lui trouver une destination artificieuse ? Avec Yayi Boni on nous donne à voir une certaine justification de la dissipation des deniers publics. Un aéroport peut coûter 7 Milliards sur le papier même si et surtout parce que l’on sait qu’une proportion non- négligeable de cette somme ira directement dans les poches d’amis et de clients politiques de tout bord. 9 Milliards peuvent être placés au chapitre des dépenses diverses ! Bon gré mal gré, c’est comme ça, rien à dire...et tout cela bouclé dans le budget voté ou non par les députés. En clair, la méthode Yayi Boni consiste à donner des têtes et des noms aux faits de corruption ; à leur donner une forme technique : tous les banquiers connaissent ces techniques éculées, et la crise financière que traverse le monde en ce moment le prouve si besoin est.
Quelle est la moralité de tout ceci ? Aucune, puisque d’un point de vue moral ce que le citoyen ordinaire avait mis dans l’idée de changement c’était d’en finir fondamentalement avec la corruption ; or Yayi Boni a vu qu’il pouvait prospérer avec elle ; il a constaté ou savait-il déjà – ce qui est encore plus immoral – qu’il n’a pas intérêt à en finir avec ce fléau. Tout nouveau système, – régime ou théorie – possède un coût d’entrée qui est la réplique au coût de sortie du système qu’il remplace. Entre autres choses, la corruption sert à Yayi Boni à payer ce coût d’entrée. La perpétuation de son régime étant chez lui une fixation et un défi personnel, au-delà de toute nécessité d’un redressement à long terme, Yayi Boni ne recule devant aucune immoralité pour s’assurer que cet objectif soit atteint. Il a jeté toutes ses forces dans cette compétition mesquine au point de tirer sur la corde raide de la cohésion sociale ; au mépris des lois et du strict respect de la constitution. Avec seulement des points de bonne conscience dont l’existence même ne fait que renforcer l’immoralité de sa méthode : l’exhibitionnisme populiste qui marque la plupart de ses décisions originales, par ailleurs louables mais souvent bâclées ou mal préparées ; et la certitude qu’il ne peut faire pire que Kérékou en terme de gouvernance artisanale et aveugle, mère de toutes les corruptions.
Mais si au regard de l’attente initiale, il n’y a rien de moral dans le choix de Yayi Boni et l’orientation de sa méthode, elle n’est pourtant pas dénuée de leçons. La première est que le changement a toujours un coût d’entrée ; et comme on le voit ce coût peut être payé au détriment de ses objectifs initiaux. Si Yayi Boni a sacrifié sans états d’âme l’aspect moral des objectifs initiaux du changement, il compte sans doute s’amender sur le plan des objectifs matériels, de l’amélioration de la vie quotidienne. Y aurait-il un degré de corruption compatible avec le progrès ? Jusqu’à quel point peut-on composer avec le réalisme tropical de nos mœurs politiques et socioéconomiques tout en gardant le cap rationnel du progrès ?
L’autre leçon nous amène à répondre à la question de savoir si Yayi Boni pouvait faire autrement. Cela fait tout de même presqu’un demi-siècle que notre pays est indépendant. Or depuis lors aucun décollage économique ne s’est esquissé. Malgré nos capacités individuelles et collectives, malgré nos potentialités, nous tournons en rond dans le cercle vicieux de la médiocrité et de la corruption. Et le rayon de ce cercle est déterminé par une petite classe de profiteurs qui se passe consciencieusement le flambeau d’une génération à l’autre à guichet fermé. Changer c’est rompre avec ce théâtre. En principe tous ceux qui ont contribué à perpétuer ce cycle doivent avoir la décence de passer la main. Certes, la rupture doit se faire de façon radicale mais aussi dans le strict respect de la constitution, quitte à en hiérarchiser les objectifs. En dépit des apparences, la corruption ne fait pas plus florès maintenant que jadis. Le choc qu’elle suscite dans les consciences tient à deux données non-négligeables. Primo, elle est le fait ou se fait sous un régime qui a promis de faire de son éradication le test de sa volonté de changement ; deuxio elle est paradoxalement décriée ou dénoncée par ceux là mêmes qui naguère en étaient les initiateurs les plus chevronnés.
Au total au lieu de lutter contre la corruption, Yayi Boni utilise la corruption pour s’enraciner. Conscient que la lutte pour la survie de ceux qui se seront enrichis sous son régime va de pair avec la perpétuation de celui-ci, il laisse faire. Et tout se passe comme si la corruption au lieu d’être l’ennemi populaire numéro un est devenu plutôt l’allié politique du régime. En tout cas, le fatalisme avec lequel la question de la corruption est abordée montre bien que le fléau est érigé en socle de nos pratiques politiques et économiques. Et le seul fait que ceux qui crient haro sur le régime actuellement ne sont pas blancs comme neige ne suffit pas à dédouaner le choix cynique et immoral de Yayi Boni.
Binason Avèkes
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