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Théophile Nouatin
Quelle perception convient-il de donner aux soubresauts qui ont agité la vie politique béninoise lors des semaines écoulées ? Une option consiste à ne voir là que des remous bien compréhensibles à la veille d’élections majeures qui pourraient aboutir à une redistribution des cartes aux niveaux décentralisés. Une autre interprétation peut les présenter comme les signes d’une dissension profonde, une césure au sein de la classe politique, notamment entre le gouvernement et les différentes coalitions qui ont manifesté leur humeur lors de cet épisode.
Dans tous les cas, ces expressions quelles qu’elles soient traduisent la vitalité d’une démocratie où les langues ne sont pas bâillonnées contrairement à ce que des opinions veulent faire passer. Nous sommes bien loin de la période révolutionnaire où la voix du parti unique était la seule audible. Nous sommes aussi bien loin de ce que l’on a appelé la période Kérékou II où le pluralisme a glissé vers ce que l’on a désigné sous le vocable de démocratie apaisée et qui s’est révélé au total comme un consensus frauduleux, une entente tacite pour un silence de gens satisfaits, une conspiration du laisser-faire dans un contexte où les acteurs majeurs de la classe politique étaient des maîtres de propriétés, soient-elles des fiefs électoraux ou des départements ministériels qu’ils géraient de façon patrimoniale sans obligation de résultat et sans obligation de rendre compte. La conséquence en fut un saignement de l’économie publique, le chef suprême d’alors étant relégué, ou s’étant retranché dans un rôle purement honorifique, ayant probablement constaté que ceux qui l’ont ramené au pouvoir n’étaient pas prêts dans leur majorité pour le changement promis au peuple pour s’en référer à sa formule « Si vous êtes prêts, moi aussi je suis prêt ». Ceci pouvait alors apparaître comme une boutade gratuite à la Kérékou mais cela traduit peut-être l’expression d’un homme qui pour avoir pratiqué ses compatriotes de longues années dans une position privilégiée savait de quoi il parlait. Et l’on peut même prolonger sa boutade: « Si vous n’êtes pas prêts, moi aussi je ne suis pas prêt » Cette situation de gouvernance approximative avait amené, on s’en souvient, une figure de proue de la société civile à exhorter le chef d’Etat d’alors à gouverner, à prendre ses responsabilités, à utiliser vigoureusement les rênes du pouvoir qui étaient entre ses mains dans une lettre ouverte dont le contenu est resté dans les mémoires. Et la question n’a pas perdu de son actualité : « Sommes nous réellement prêts pour un changement ? »
Quelle que soit la perception que l’on a de cet épisode agité qui a précédé l’ouverture de la campagne électorale en cours, au regard de la fin du règne de kérékou II, il apparaît que ce qui a été vu comme une crise au sein de la politique est en bonne partie une onde de fébrilité qui traverse la classe politique dans un nouveau contexte de gouvernance où le détenteur du pouvoir manifeste son intention de rompre avec les pratiques consacrées et de se doter de tous les moyens pour imprimer sa marque à une nouvelle gestion de la chose publique. Le président Yayi Boni a en tout cas clairement exprimé sa détermination à ce sujet et point n’est besoin d’être son partisan pour le reconnaître. Il suffit juste d’un peu d’impartialité.
S’il y a dissension entre la classe politique et le nouveau pouvoir, nul doute que la volonté du chef de l’Etat d’user des moyens à sa portée pour remplir son pacte avec la nation constitue une des raisons majeures à l’origine de ce qui peut être perçu comme une fracture entre le pouvoir et ses alliés d’hier. La détermination de l’élu de mars 2006 à utiliser les rênes du pouvoir pour réorienter à tous les niveaux la gestion et l’action publiques est un schéma nouveau par rapport au quinquennat précédent. Une détermination bien compréhensible au regard de l’histoire récente du pays et au de regard de la conscience qu’il a de devoir rendre compte dans une échéance d’à peine trois ans.
En somme, pour s’être stratégiquement rangées dans la direction vers où soufflait le vent entre les deux tours des élections de mars 2006, les composantes de la classe politique en rogne aujourd’hui contre le pouvoir s’attendaient à un forfait tacite de l’élu ; ils espéraient moins qu’un match amical lors des élections locales. Or les intentions affichées par le gouvernement n’ont vraisemblablement pas l’air d’annoncer des joutes jouées d’avance d’où ces partis sortiraient gagnants. Il va sans dire que le chef de l’Etat aurait eu du mal à choisir une option réservée ou si l’on veut démissionnaire comme l’espéraient les dirigeants des partis en colère. Cela aurait été une inconséquence de sa part eu égard à son point de vue clairement exprimé quand à son appréciation de la manière dont les anciens hommes politiques avaient géré le pays depuis l’indépendance. Et en cela, il est difficile de le contredire. Il convient de se poser alors la question qui est celle-ci : Un pouvoir a-t-il des redevances à rendre à quelque allié que ce soit s’il estime que cela pourrait entraver sa stratégie en vue d’assumer sa mission ou du moins la vision qu’il en a ? Il apparaît à l’évidence que la réponse est incontestablement non. La réponse négative est d’une part éthique et démocratique et de l’autre politique. Elle est éthique et démocratique car l’on n’est pas élu à la fonction suprême par des millions de gens pour céder ses responsabilités sans se donner les moyens optimaux pour les assumer au mieux. Elle est politique car sur ce plan il n’y a pas de cadeau qui ne relève d’une stratégie garantie payante. Or sur le plan politique un homme averti sait ce à quoi s’attendre. Ce que vous cédez constitue autant d’atouts que vous mettez entre les mains de vos alliés d’aujourd’hui, lesquels atouts seront utilisés demain contre vous sans le moindre état d’âme. Et le chef de l’Etat n’est indubitablement pas dupe à ce sujet. Est-il besoin de le dire ? Le pacte fondamental, le seul qui tienne devant toutes les contingences est celui qui lie un chef d’état démocratiquement élu à ses électeurs, c'est-à-dire à l’ensemble de la nation. Il n’a nul devoir d’obédience ni de reconnaissance envers personne face à sa mission républicaine.
Les déclarations du Président Soglo dont les opinions ont déjà souligné les écarts apparaissent alors comme intempestives et même contre-productives quand aux intérêts qu’il cherche à défendre. En effet il faudrait se laisser déborder sinon par la colère et le ressentiment, du moins par l’émotion pour se laisser aller à clamer sur des ondes que vous attendez d’un chef d’Etat élu la tenue de promesses et que vous êtes déçus de ce qu’il les considère comme nulles. Car ce faisant, loin de le discréditer, vous le présentez comme une personnalité de caractère, de conscience et de devoir qui ne triche pas avec sa mission au profit d’accords antérieurs ou de supposées filiations quels qu’ils soient. Les tentatives faites peu après par les différentes sorties des personnalités politiques du camp en rogne ont bien montré qu’elles ont tenté de rattraper ce qu’il faut bien considérer sinon comme une bévue, du moins comme des lancées de boomerang. En effet, partie de privilèges promis et non honorés, la motivation de leur mouvement a par la suite été présentée comme des positions en vue de la préservation de la démocratie béninoise auxquelles s’ajoute la critique du bilan social des deux ans écoulés. Or il n’échappe à personne que le Bénin n’est pas sous régime dictatorial. Il n’échappe non plus à personne que jusqu’en 2006 l’autorité de l’Etat a été laminée au profit d’intérêts à obédience individuelle et corporatiste et que l’une des premières tâches qui incombe à un gouvernement qui prend le relais après une démission aussi patente est la restauration de cette autorité. S’essayer à présenter l’affirmation de l’autorité de l’Etat comme antinomique de la démocratie relève d’un jeu politicien dont il faut relever qu’il comporte le danger de désorienter la jeunesse qui a besoin de voir à l’œuvre des modèles de direction qui impriment des comportements responsables et bénéfiques à l’intérêt commun. Dans une démocratie à suffrage universel comme celui du Bénin, il y a certes le risque qu’un gouvernement qui exerce le pouvoir de la majorité dérive vers le pouvoir d’une personne. Mais les institutions, les lois, le pluralisme permettent, s’ils jouent leur rôle de contrer le glissement vers cette zone grise ou rouge entre les pouvoirs personnels et le pouvoir démocratique. Si l’on veut bien admettre que les coalitions étaient alors en train de jouer leurs partitions légitimes dans la préservation des acquis démocratiques, le devoir de mémoire nous fait déplorer cependant qu’elles aient omis de le faire à une époque, sous le régime précédent où il y avait des raisons patentes à exercer ce devoir. Car d’avoir gardé le silence à cette époque où leur rôle institutionnel commandait l’expression de la désapprobation peut faire douter de la sincérité des positions qu’ils prétendent défendre aujourd’hui. Cela dit, il faut réaffirmer que la démocratie n’exclut pas l’affirmation de l’autorité de l’Etat. On l’aura compris, dire que la démocratie n’exclut pas l’affirmation de l’autorité de l’Etat constitue une litote. Car plus que cela, la démocratie exige l’autorité de l’état. Et de tous les régimes de gouvernement c’est celui qui légitime le mieux l’exercice sans concession de l’autorité étatique.
Il n’échappe non plus à personne qu’il faut remonter plus loin dans le temps pour trouver l’origine des problèmes sociaux. Si l’on fait abstraction de la flambée des prix actuels dont une composante importante relève de la conjoncture mondiale comme le témoignent les malaises qui frappent même les pays les plus avancés, est-il besoin de rappeler que ceux qui formulent ces critiques sont ceux là mêmes, qui depuis 15 ans ont été super ministres, président, présidents de parlement. Donc ceux-là mêmes qui ont occupé des positions privilégiées où ils auraient pu impulser des politiques à même d’adoucir aujourd’hui le quotidien des populations. En effet voilà 10 ou 15 ans qu’il aurait fallu mettre en place une politique énergétique qui aurait assuré la couverture énergétique aujourd’hui. Une politique agricole qui aurait porté ses fruits aujourd’hui, il aurait fallu la mettre en œuvre depuis 15 ou 20 ans pas 2 ans. La responsabilité des problèmes sociaux d’aujourd’hui incombe à nous tous, à tous les niveaux, où que nous soyons ou n’incombe à personne. Désigner des boucs émissaires spécifiques et s’exclure du nombre est à la limite une attitude peu convaincante.
Nous ne pouvons qu’espérer pour la démocratie béninoise une nouvelle ère de vérité où les intérêts partisans ne prennent pas le pas sur l’intérêt collectif. A ce stade de notre histoire, l’intérêt collectif recommande une rupture effective avec les pratiques et les modes de fonctionnement qui retardent notre progrès et amènent les observateurs étrangers de haut rang, issus de peuples pragmatiques, à considérer notre classe politique comme perpétuellement en proie à des luttes intestines et corporatistes qui relèguent au second plan les préoccupations de la grande masse. En regardant plus loin, le pétrole de notre voisin auquel nous sommes adossés n’est pas inépuisable. La roue de la mondialisation avance à grands pas. Toute la population du Bénin est à peine celle d’un grand centre urbain de Shangaï. Perdre de vue ces données et user nos énergies à traîner des luttes intestines relève d’un nombrilisme dont nos descendants pourraient avoir à payer le prix. En effet, le moindre ressortissant de pays riches ou d’un pays émergent qui peut s’installer sur nos contrées et se faire expédier des ballots de textiles fabriqués avec les cotons de nos paysans peut nous mettre sous sa botte comme employé ou domestique au tarif de son choix. Ce serait à prendre ou à laisser. Aucune lutte syndicaliste ne peut empêcher cela. Si nous n’y prenons garde, si nous n’avançons pas sur le chemin d’une réorganisation plus efficace, une forme insidieuse d’esclavage, qui aura lieu cette fois-ci sur terre africaine est déjà à nos portes.
Au regard de ce que le futur nous réserve nous ne pouvons faire l’économie d’un changement de fond qui affecte autant le niveau central que les collectivités décentralisées. Quelle que soit la configuration politique qui sortira des élections du 20 Avril, il importe que l’option pour le changement exprimée en Mars 2006 n’abdique pas cette composante fondamentale de sa mission, celle d’assurer, de garantir aux niveaux locaux, l’émergence d’une gestion plus responsable et plus efficiente de la chose publique en rupture avec le fonctionnement auquel les régimes successifs ont habitué le pays depuis l’indépendance. Détenir des fiefs électoraux que l’on s’imagine acquis ad vitam aeternam ne doit pas exclure l’obligation de résultat et le devoir de rendre compte. N’est-il pas temps que nous rompions enfin avec le langage elliptique, pseudo-diplomatique, celui du non-dit, le langage du biais, pour affirmer clairement ce qui est ? Car à vouloir toujours nous voiler la face, nous risquons de ne plus savoir où nous allons et même qui nous sommes. A ce sujet, la direction donnée par le Président Yayi Boni au cours des deux ans écoulés indique qu’il a à coeur de faire sien ce devoir primordial à une démocratie du mieux pour tous. Mais les dangers de toujours sont là, il convient de ne pas les négliger. En effet le risque n’est pas minime que les tendances lourdes du système, la propension à la facilité, au gaspillage du patrimoine, le risque n’est pas négligeable que ces facteurs freinent les réformes indispensables à une avancée rapide vers le progrès collectif. La vigilance est de règle.
Théophile Nouatin
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