Non à la Politique Politicienne !
Le Président de la République, Monsieur Boni Yayi a encore trois ans pour convaincre. Durée décisive d'un mandat au cours duquel, sous sa houlette, le Bénin est censé avoir pris le chemin de l'émergence. En effet, deux années après son accession au pouvoir sous le mot d’ordre affriolant de changement, tout observateur sérieux a eu l’occasion de faire le tour de ce que veut faire le nouveau Président ; de sa manière de faire, et de ce qu'il peut faire. Nombre de ceux qui croyaient à une époque radicalement nouvelle, à l’ère de la politique pour le Peuple, déchantent peu à peu. On commence à mettre un peu d'eau dans le vin du changement.
Les sages se disent qu’à l’expérience, Yayi Boni a découvert que la direction d’un pays ce n'est pas la même chose que la gestion d’une banque, fût-elle africaine ; la réalité est plus compliquée qu’il n’y paraît et le changement ne se limite pas à une simple manifestation de bonne volonté ; et qu’ayant compris cela, le Président se normalise, et devient comme ses prédécesseurs ou pairs africains : à défaut de panser les plaies du pays, il pense à sa propre carrière et à celles de ses amis.
Les sceptiques pensent que l’inexpérience affichée du Chef de l'Etat a un coût que le pays ne peut supporter plus longtemps ; surtout si le solde de ce noviciat n’est pas compensé par des réussites tangibles dans les domaines de la vie sociale, du quotidien des gens, et de l’économie du pays, où il est urgent de passer des paroles aux actes, des gesticulations à l’action, des poses de première pierre fictives à des constructions réelles, des promesses lénifiantes aux réponses concrètes.
Les opposants qui mènent un combat d’arrière-garde font un constat affligeant de la situation socioéconomique du pays et, l’écume à la bouche, ils nous prédisent le pire. Pour eux, le Bénin est mal parti, mal géré et Yayi Boni avec ses méthodes de banquier Ouest-Africain, ses cafouillages, sa dispersion et son volontarisme benêt n’est pas à la hauteur des défis du vrai changement dont le pays a besoin.
Faux, rétorquent les hommes de Yayi Boni : le changement est en acte et l'action doit s'inscrire dans la durée. Le débat s’enlise dans le terrain scabreux des projections politiciennes, à mille lieues des problèmes directs du pays. En clair, on fourbit déjà les armes de la prochaine élection présidentielle, alors que celles de la précédente sont encore toutes fumantes. Ainsi, à défaut de trouver les solutions aux problèmes des Béninois, comme si on avait pris son parti de l’impossibilité d’y remédier, les nouveaux dirigeants cèdent doucement mais sûrement au syndrome du cercle enchanté : la politique sert à faire de la politique, c'est-à-dire à assurer le destin des hommes politiques et leur bon plaisir, pas à améliorer le sort du peuple, ni changer la condition d’un pays enlisé dans la pauvreté.
A défaut d’être un Président à vie, Yayi Boni pense à sa vie de Président, et comment en optimiser la durée constitutionnelle. L'homme se voit dans son fauteuil présidentiel pour dix ans, et tous les actes qu’il pose s’inscrivent dans cette démarche projective. Tout se passe comme si, au mépris de la pudeur, et en dépit du bon sens, il proposerait le moment venu ses services de timonier à un pays déçu par lui et croupissant dans la misère, abandonné à l’obscurité des délestages et à l’obscurantisme des sectes en tous genres; et s’il le faut, il les imposerait avec les moyens dont il dispose. Pour jouir à terme de la durée, il faut en jeter les bases très tôt, prendre en compte la variable de pérennité. D’où la prédominance de la politique politicienne et des mesures de contrôle politique à long terme dont l’utilité pour le pays laisse à désirer. D’où cette tendance à vouloir couvrir seul toute la surface politique de la démocratie, la tendance à l’autosatisfaction, la mainmise subtile sur l’espace médiatique qui devient peu à peu le théâtre à guichet fermé du discours spéculaire sur le génie et les œuvres du chef; doù l'intérêt accordé à la propagande au détriment de l'information saine. Même en démocratie, en tout cas en Afrique, la durée de vie politique active d’un Président digne de ce nom se veut compter en décennies. Dès lors le gros souci de Yayi Boni est : comment assurer de se faire réélire en 2011 ? Comment être un « Président africain normal » ? Ce souci entache les prises de positions du Président ; il hante ses actes et ses décisions, ses dits et ses non-dits.
Sur le chemin de ce rêve, Yayi Boni a devant lui un boulevard. Il a d’abord le privilège d’être déjà dans la fonction ; il y a aussi les retombées de la volonté de changement qui, à l’instar de la majorité législative taillée au forceps, a conduit au renouvellement du personnel politique. Ces deux éléments et bien d’autres ont pour fonction de baliser le terrain et de dégager le boulevard, de l’épurer.
Toutefois, malgré l’idéalité de sa situation,Yayi Boni ne peut pas dormir sur ses deux oreilles. En effet, si le boulevard est épuré il n’est pas apuré pour autant. A l’autre bout se trouve un monstre sacré, dont la stature est réelle, la structure et l’infrastructure imposantes. Surtout si, comme on peut le craindre, l’action du Président Yayi Boni et de ses thuriféraires, loin de faire émerger le pays comme promis, n’aura conduit entre bluffs et précipitation qu’à l’immerger davantage dans la misère et la corruption, aussi rationalisée soit-elle.
Ce monstre sacré a nom Houngbédji. Voilà un homme qui nourrit depuis belle lurette le précieux rêve d’être Président ; à l'occasion, il n'hésitera pas à faire valoir ses droits constitutionnels à cet effet, quand bien même il aurait l’air d’un dinosaure. Comme les Français en d'autres temps, les Béninois auront à choisir entre un homme du passé et un homme du passif. Ce qui est sûr, c'est que le Président du PRD ne sera pas de ceux qui tiennent le crachoir à leur adversaire. Il sera probablement le seul dans ce cas. Ce sont là les données cardinales d’un combat de gladiateurs qui se prépare, et dont les observateurs avisés perçoivent déjà ça et là les signes avant-coureurs dans et autour de l’arène politique nationale. Combat pour le succès duquel, dans l’esprit des uns et des autres, aucun sacrifice n’est trop grand.
Or donc, je voudrais le dire haut et fort, cette ligne de conduite est immorale. Immoral en effet que pour un pauvre pays comme le Bénin, les dirigeants se mettent déjà en ordre de bataille et déterminent leurs gestes, actes et décisions d'aujourd'hui en fonction d’une élection prévue dans trois ans. D’un côté comme de l’autre, ce n’est pas sain de sacrifier tout ce qui doit être fait aujourd’hui pour sortir notre pays de sa misère chronique sur l’autel des rêves de grandeurs de quelques individus. Et ceci au frais des contribuables et dans leur dos. Est-ce la preuve que l’immensité de la tâche de redressement national la rend quasiment impossible au point que ceux qui s’y frottent se brûlent les ailes et n’en ressortent que gagnés par le cynisme et un repli habile sur leurs intérêts égoïstes ?
Il est regrettable que la vocation constructive de l’opposition ne soit pas valorisée ; et que chaque fois qu’il y a pour l’un de ses membres une chance d’être un jour Président, aussi infime soit-elle, celle-ci fasse l’objet d’une fixation implacable, en dehors de laquelle, il n’y a point de salut, point d’action, point d’espérance pour le pays. Mais il est encore plus immoral et proprement malsain qu’un Président fraîchement élu entre dans ce jeu-là et y dédie toute son industrie alors qu'elle devrait tourner à plein régime au service du redressement du pays.
En vérité, aussi légitime soit-il, le fait de se représenter aux élections pour un Président en exercice, et de vouloir être réélu, ne doit rien devoir à des intrigues projectives, mais uniquement à son seul succès, à la réussite éclatante de sa politique, à la prospérité retrouvée. La réélection est un contrat clair de poursuite d'une politique qui a fait ses preuves, pas un abus de position. La morale recommanderait même que sans biaiser un Président honnête ne cherchât pas à renouveler son mandat à tout prix, surtout lorsqu’il n’a pas tenu l’essentiel de ses promesses. Cette exigence est d’autant plus précieuse pour la sauvegarde de la démocratie que, sous nos cieux, en raison d’une culture enracinée de la fraude– et les récentes élections législatives en ont encore administré la preuve – le pouvoir en place perd rarement les élections.
Les Béninoises et les Béninois doivent réclamer à cor et à cri l’assainissement en profondeur de nos mœurs politiques afin que nos dirigeants placent l’intérêt concret du Peuple au-dessus de leurs intérêts mesquins. C’est la condition préalable pour sortir le pays de la pauvreté et de la misère qui le minent depuis trop longtemps. S'il y a un espoir que l'élection de Yayi Boni a confirmé c'est que ces fléaux ne sont pas une fatalité et que nous pouvons les éradiquer ; mais pour ce faire il faut que nos dirigeants tournent le dos à la politique politicienne et s'engagent dans une politique vraiment au service du Peuple.
Binason Avèkes
© Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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