Dans la culture béninoise, les langues et les pratiques magico-religieuses s’articulent autour du principe de bôgbé ou incantation magique. Le bôgbé est une clause rhétorique qui met en jeu des principes psychologiques et épistémologiques arcboutés sur le présupposé du pouvoir agissant du verbe. La culture du bôgbé soumet la réalité à l’ordre de la volonté du sujet dont la parole est le véhicule. Pour autant, cette parole n’est pas n’importe laquelle ; il faut que de par l’évidence des liaisons qu’elle met en jeu, elle atteste de sa légitimité naturelle et sociale. Le bôgbé est donc à la fois un fait de langage et un fait de croyance ; il est intimement enraciné dans les structures symboliques de notre société. Un tel enracinement a une influence non-négligeable sur les consciences individuelles et sur l’imaginaire collectif. A l’instar de certaines techniques propres aux pratiques religieuses, le bôgbé joue un rôle positif dans la régulation des affects, et influe sur l’état d’esprit de leurs usagers. Si le réel est rationnel l’irrationnel est aussi réel. Le bôgbé, en tant que fait de croyance, a donc son côté bénéfique. Mais le bôgbé, dans la mesure où il instaure un impensé social de l’incantation n’a pas que des avantages. Si elle devient le mode paradigmatique de la pensée sociale, la culture magico-religieuse du bôgbé peut dégénérer vers une valorisation tous azimuts de la pensée incantatoire. C’est le cas de la mentalité sociale béninoise où les effets induits de la culture de l’incantation court-circuitent la dynamique des interactions sociales. Au Bénin, l’aveuglement sur soi inhérent à la culture du bôgbé enferme les acteurs dans des certitudes délirantes mâtinées de cynisme qui travestissent les règles du jeu de l’économie des échanges sociaux. Des individus ou des groupes sociaux restreints n’hésitant pas à confondre leur volonté avec la volonté générale, agissent en dépit du bon sens social et tiennent pour vrais ou fondés des faits ou des actes dont ils sont les seuls garants de la légitimité. Cet aveuglement génère d’autres cultures comme celles de l’individualisme, du tchédjinanbisme, de la béninoiserie, du mépris de soi et du sentiment national. Toutes ces cultures dérivées constituent autant de vices sociaux qui affectent la dynamique sociale, l’imaginaire collectif et pèsent sur l’émergence d’un esprit social sain tourné vers le progrès. |
Dans la culture béninoise, les langues et les pratiques magico-religieuses s’articulent autour du principe de bôgbé ou incantation magique. Le bôgbé est une clause rhétorique qui met en jeu des principes psychologiques et épistémologiques de la sympathie, de l’induction, de l’analogie, et de l’inférence implicite arcboutés sur le présupposé du pouvoir agissant du verbe. La culture du bôgbé fait une part prépondérante à la volonté du sujet, en vertu de laquelle son pouvoir ou celui des instances
dont il se réclame garantissent l’effet de sa parole sur la réalité. Il s’agit donc d’une épistémologie qui soumet la réalité à l’ordre de la volonté du sujet dont la parole est le véhicule. Pour autant, cette parole n’est pas n’importe laquelle ; il faut que de par sa pureté, de par l’évidence des liaisons et des rapports qu’elle met en jeu, elle atteste de sa légitimité naturelle et sociale, qui sont les gages de sa vérité.
Le bôgbé est donc à la fois un fait de langage et un fait de croyance ; de ce fait, il est intimement enraciné dans les structures symboliques de notre société. Un tel enracinement a une influence non-négligeable sur les consciences individuelles et, par-delà les consciences, sur l’imaginaire collectif. A l’instar de certaines techniques propres aux pratiques religieuses, comme les prières, les mantras ou les invocations, le bôgbé joue un rôle positif dans la régulation des affects, dans la gestion des énergies émotionnelles et de ce fait, influe sur l’état d’esprit de leurs usagers occasionnels ou professionnels.
Si le réel est rationnel et les faits de nature physique scientifiquement indépendants de la volonté humaine, le résultat des actions humaines, même lorsqu’elles mettent en jeu des réalités physiques, n’est pas indépendant des conditions psychologiques des acteurs. La raison matérialiste a beau fustiger le bien fondé de la religion, la rabaissant à la fonction d’opium politique, il reste que dans l’histoire humaine, elle ne peut expliquer pourquoi ce n’est pas elle mais la foi seule qui soulève les montagnes. Or ce qui est vrai pour la religion le demeure pour les actes de croyance. Le bôgbé, en tant que fait de croyance, a donc son côté bénéfique.
Mais le bôgbé, dans la mesure où il instaure un impensé social de l’incantation n’a pas que des avantages. Dans la mesure où, de fait de croyance, elle devient le mode paradigmatique de la pensée sociale, la culture magico-religieuse du bôgbé peut dégénérer vers une valorisation tous azimuts de la pensée incantatoire. Le cas échéant, cette dégénération a des effets sur la césure épistémologique nécessaire à établir entre la subjectivité et l’objectivité sociale. C’est le cas de la mentalité sociale béninoise où les effets induits de la culture de l’incantation court-circuitent la dynamique des interactions sociales. Au Bénin, l’aveuglement sur soi inhérent à la culture du bôgbé enferme les acteurs dans des certitudes délirantes mâtinées de cynisme qui travestissent les règles du jeu de l’économie des échanges sociaux. Des individus ou des groupes sociaux restreints n’hésitant pas à confondre leur volonté avec la volonté générale, agissent en dépit du bon sens social et tiennent pour vrais ou fondés des faits ou des actes dont ils sont les seuls garants de la légitimité. Cet aveuglement incantatoire, lorsqu’il devient un mode de fonctionnement collectif, conduit inexorablement à la désintégration du lien social. C’est alors qu’en synergie avec d’autres facteurs – sociaux, économiques, historiques, etc.. – la culture de l’incantation génère d’autres cultures comme celles de l’individualisme, du tchédjinanbisme, de la béninoiserie, du mépris de soi et du sentiment national. Toutes ces cultures dérivées constituent autant de vices sociaux qui affectent la dynamique sociale, l’imaginaire collectif et pèsent sur l’émergence d’un esprit social sain tourné vers le progrès.
Comme on le voit, la culture du bôgbé qui imprègne notre mentalité n’est pas d’un usage anodin. Partie intégrante des pratiques magico-religieuses, le bôgbé a ses vertus bénéfiques pour l’individu et pour la société tout entière. Mais dans la mesure où le principe épistémologique du bôgbé dégénère et domine la perception sociale de la réalité, alors il corrompt nos représentations, notre imaginaire et influe sur nos attitudes et pratiques. Sans un recul critique par rapport à la prégnance du bôgbé dans notre société, au lieu de profiter des effets bénéfiques de ses vertus, nous subirons longtemps ses vices qui nous minent.
Binason Avèkes
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