Causerie sur les Parallèles et Différences dans les Fléaux Africains et leurs Solutions.
Allant chercher mon fils scolarisé dans une école sise non loin des Champs Elysées à Paris, dans la rue Marbœuf, en passant devant un café, je tombe sur deux jeunes hommes noirs, bien beaux en conversation avec un Blanc qui, avec ses manières de Charlus, semblait être à la Recherche de quelque chose de perdu. Ces folles ne sont pas rares dans ce quartier de riches qui semble en abriter un grand nombre au mètre carré. A croire que l’inversion fait bon ménage avec l’appartenance à la classe des nantis. Comme s’ils étaient employés par l’établissement, les deux Noirs se tenaient sur le seuil du café dont ils barraient l’entrée, dominant de leur grande taille le Blanc court sur pied quoique un peu corpulent qui était à un niveau plus bas sur le trottoir. Les compères avaient l’air de bien se connaître et se parlaient sur un ton badin. Le Blanc était juste en face du « corps beau » et le mieux vêtu ; celui-ci portait une veste noire qui montrait sa chemise blanche ouverte sur sa poitrine musclée. L’autre Noir était svelte, et dans un accoutrement quelconque. Il se fendait la poire sans arrêt de ce que disait le Blanc comme dans ces sitcoms où la fonction du rire fait partie de l’effet comique lui-même. En l’occurrence, on eût dit que, moqueur, son rire avait pour fonction d’euphémiser l’obscénité des propositions de leur client audacieux. Lorsque, après avoir suivi la scène de loin, j’arrivai à leur hauteur, le Banc disait à son vis-à-vis : « On vous invitera un de ces soirs à dîner, et vous pourrez passer la nuit… » et ce disant, il caressait sans complexe et avec douceur la poitrine nue du Noir, comme s’il se fût agi du dos d’un chien. Le Noir engrangeait les caresses avec une indifférente passivité bien assumée.
A vrai dire j’étais outré à la vue d’une pareille scène. Beaucoup de choses me révoltent dans l’aspect sexuel des échanges nord sud que l’on peut percevoir dans l’environnement urbain des capitales d’Europe. Par exemple le caractère injuste des appariements sexuels sous le couvert du discours amoureux qui semble réglés par un démiurge aveugle et tout acquis à la cause du Blanc. Révoltant en effet de voir que dans cette distribution de la denrée sexuelle les hommes Noirs absolument beaux écopent toujours des mêmes rebuts féminins du marché sexuel local, là où le Blanc le plus ordinaire brandit avec une malicieuse fierté le trophée noir, canon de beauté incomparable, condition et rapports quasi exclusifs sous lesquels il consent à s’abaisser à un tel commerce. Mais si une telle imparité a de quoi révolter toute personne éprise de justice, on se console par la connaissance des lois non avouées de la science de l’amour, et ce indépendamment des considérations de race.
Tel n’est pas le cas du spectacle désolant d’inversion qui se déroulait sous mes yeux. Certes, l’une des particularités les plus choquantes de la sexualité mâle invertie en Europe réside dans la différence des codes d’approche entre les partenaires, et le caractère crû de certains gestes. Sans savoir qui jouait l’homme et qui jouait la femme dans ce jeu de rôle, il m’apparaissait évident qu’un homme n’aurait pas eu le courage, en situation normale, de caresser en public la poitrine d’une femme – fût-elle noire – qu’il entreprenait. Mais la spécificité des rapports homosexuels réside dans la possibilité pour les partenaires de jouer sur les deux tableaux de leur insertion sexuelle : homme par la biologie, ne se revendiquent-ils pas de la féminité par la psychologie ? Aussi n’hésitent-ils pas à abriter leurs assauts sexuels les plus débridés derrière des comportements de camaraderie masculine.
En l’occurrence, ma révolte touchait à la reconnaissance dans cette scène banale du signe du destin du Noir ; forme sexuelle des échanges nord sud, blanc/noir ; manière pour le Noir d’être pieds et poings liés à la merci des fantasmes du Blanc, dans tous les domaines : économique, financier, démographique, énergétique, matériel, et bien entendu sexuel. Dans le domaine sexuel, toutes les palettes des couleurs des fantasmes du Blancs sont servies « avec amour » : de la pédophilie à la pédérastie en passant par toutes les variantes de la prostitution, jusqu’à l’idéal type socialement valorisé sous le nom mythique de l’amour.
Telle est l’actuelle condition de l’Afrique que d’être le lieu de production de l’objet noir à disposition de l’appétit du Blanc. Cette scène interceptée au hasard d’une rue de quartier huppée de Paris n’est pourtant qu’une goutte d’anecdote dans l’océan de l’historique domination du Noir par le Blanc. Une domination dans laquelle, en dépit qu’il en aie, la France a joué et joue encore sa partition avec force subtilité. Une domination qui a son objet, sa logique, sa structure et ses formes. Si les formes changent, si l’objet se module au gré du temps, les structures et les acteurs restent essentiellement les mêmes.
En ce qui concerne la structure, on constate que l’exploitation de l’Afrique quels qu’en soient la forme ou l’objet, se fait sur le mode médical de l’hémorragie. L’esclavage, l’immigration, la fuite des cerveaux, et la fuite des capitaux : tous ces fléaux sont autant d’avatars du même démon de l’hémorragie qui hante l’Afrique depuis des siècles.
Cette permanence structurelle s’exprime aussi dans la différence des tempéraments et des styles nationaux des puissances coloniales ou néocoloniales. Certes, on peut imaginer que la même scène impudique se produise dans une quelconque rue d’un quartier huppé de Londres ; mais la similitude anecdotique entre Paris et Londres sous ce rapport ne saurait cacher la différence des traitements et de l’histoire du rapport à la domination du Noir dans les deux grandes nations ex-coloniales que représentent ces deux capitales. Un examen de cette différence au cours de l’histoire du demi-millénaire des rapports entre l’Europe et l’Afrique, entre Blancs et Noirs, apparaît lui aussi frappant dans son caractère structuré et structurant. Quels que soient les formes/objets du rapport hémorragique entre l’Afrique et l’Europe considérés, le caractère structurel de cette différence entre les deux nations saute aux yeux. Par exemple, si de part et d’autre de la Manche, pendant plus de trois siècles, on a tranquillement taillé dans le bois d’ébène, sans s’émouvoir de l’inhumanité du crime d’esclavage, force est de constater que pour toutes sortes de raisons, qui ne sont pas toutes philanthropiques, le monde anglo-saxon et l’Angleterre en particulier ont été les pionniers actifs de l’abolitionnisme. Le mot actif doit être bien compris, même si ce n’est pas faire tort à la sensibilité humaniste issue des Lumières et portée aux nues par la Révolution française de n’avoir pas fait du thème de l’abolition de l’esclavage une priorité. Mais sous cet angle, la différence entre l’Angleterre et la France est de taille. La France est aussi douée dans l’art de générer les belles idées éthérées que peu portée à les appliquer dans les faits, quand elle n’est pas souvent encline à faire ou à être in fine le contraire de ce qu’elle proclame tout haut : cela fait partie du tempérament national. Tandis que l’Angleterre, en vertu de sa philosophie pragmatiste ne tire ses idées que de la pratique concrète. Cette différence apparaît bien dans l’histoire de l’abolitionnisme. En matière d’abolitionnisme ce n’est pas superflu de souligner la distinction entre abolition de l’esclavage et l’abolition de la traite des Noirs. L’une, l’abolition de la traite des Noirs est un acte de politique commerciale touchant à un fait de nature marchande, tandis que l’autre, l’abolition de l’esclavage est un acte de politique intérieure touchant à un fait sociologique à retombées socioéconomiques et sociales. Etant donné que ces faits résultaient d’une longue histoire des rapports humains dont la fin ne pouvait être décrétée du jour au lendemain, force est de constater que, comme la traite des Noirs précède leur esclavage, toute volonté sérieuse d’abolir l’esclavage devrait être conditionnée à une éradication du commerce des esclaves. Cette logique n’était pas toujours suivie en France. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 avait un caractère juridique et visait d’abord l’esclavage sans référence à la traite ; de même qu’en 1794 la Convention déclarait l’esclavage aboli sans se préoccuper de la traite. Au contraire, à Londres, à peu près à la même période, la Chambre des Communes votait l’abolition de la traite en 1792. Certes dans les deux cas l’intérêt des conservateurs reprendra le dessus et ces textes seront annulés, mais de part et d’autre de la Manche, chacun restait fidèle à son tempérament national : la France, au mépris de la logique des faits, et plus soucieuse de philosophie, planait au firmament des idées, tandis que l’Angleterre faisait preuve de bon sens et abordait l’abolition en vue d’une solution effective. Et de fait, sur ce sujet, l’Angleterre aura une belle longueur d’avance sur la France. En 1807 l’Angleterre interdit la traite et engage une action internationale pour la réprimer, par des accords sur le droit de visite des navires. L’accord avec la France sera conclu seulement en 1831. Cette année là, le dernier navire négrier, l’Amélie, échoue et coule au Diamant, une centaine de captifs Ibo sont noyés. En France, l’idée de l’abolition de la traite n’eut pas le vent en poupe avant longtemps, bien qu'elle connût de brefs épisodes de succès politique entre 1815, année de la condamnation portée par les Grandes Puissances au Congrès de Vienne, et 1831 année où la France consentit à signer l’accord sur les Droits de visite des navires initié par l’Angleterre.
En ce qui concerne l’abolition de l’esclavage proprement dite, en Angleterre, elle intervint en 1833. En France, il faudra attendre le décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848 et les interventions de Victor Schœlcher pour que l'abolition de l'esclavage soit définitive.
Dans tous les cas, l’Angleterre a une longueur d’avance sur la France. Bien sûr, la position de l’Angleterre avait sa rationalité. Le passage au capitalisme industriel exigeait un nouveau type de travailleur : le salarié. Il ne manque pas de thèses malicieuses qui mettent en cause cette évidence. En voulant porter la cause de la bonne volonté abolitionniste du seul côté des forces morales, avec un zeste de reconnaissance flatteuse de l’héroïsme harceleur des esclaves. Mais si la volonté des Noirs de se libérer a connu ses héros, ses lettres de noblesse, ses lieux et ses moments forts, si des personnalités politiques, morales ou des organisations religieuses se sont impliquées dans la lutte pour l’abolition de la traite des Noirs, il reste qu’on ne voit pas pourquoi tous leurs efforts ont attendu quatre siècles pour être traduits dans les faits. On peine aussi à savoir pourquoi l’Angleterre qui détenait plus de 50% du marché négrier saborderait ses intérêts économiques pour les beaux yeux d’une morale qu’elle a violée tranquillement pendant trois siècles, surtout si comme le démontrent ces thèses qui visent à faire la part belle au mythe du réveil moral des sociétés occidentales, elle devait payer plus cher l’abolition que ne lui est revenue la traite tout eu long de l’histoire ! Et pourquoi depuis ce geste magnanime de l’Occident chrétien, comme les événements bibliques miraculeux, aucun autre geste similaire de l’Occident n’est venu combler les Noirs d’Afrique ou d’ailleurs ? Est-ce que le prétendu réveil moral des sociétés judéo-chrétiennes est une comète qui arrive tous les 1000 ans ? Il faut le croire et espérer.
Mais bien d’autres formes objets étayent la permanence structurelle des rapports entre les Blancs et les Noirs, entre l’Europe et l’Afrique, à travers la différence des approches et du tempérament national de part et d’autres de la Manche. Ainsi en est-il du thème ô combien moderne de la fuite des capitaux, qui est aussi un thème éminemment hémorragique. Selon un récent rapport publié par la CNUCED, l’agence de l’Onu pour le développement, La fuite des capitaux des pays africains depuis leur indépendance, représente 400 milliards d’USD en 30 ans, soit près de deux fois la dette du continent. Entre 1991 et 2004, la fuite des capitaux a représenté chaque année en moyenne 13 milliards de dollars, soit un pourcentage vertigineux de 7,6% du produit intérieur brut (PIB) annuel du continent, relève la Cnuced. Pour la seule année 2003, les sorties de capitaux auraient atteint les 30 milliards USD. Dans certains cas, c'est la dette elle-même qui aurait fourni les fonds pour les sorties de capitaux, note le rapport. La fuite des capitaux continue de priver les pays africains d'une quantité considérable de ressources pour l'investissement. Si ces ressources étaient allouées à des investissements productifs, elles permettraient à coup sûr de créer des emplois et de fournir des revenus à de larges segments de la population. En leur qualité d’anciennes puissances coloniales en Afrique, l’Angleterre et la France sont concernées par ses mouvements de capitaux, même si pour la plupart, ils atterrissent dans des paradis fiscaux. Paris et Londres, leurs capitales respectives restent des plaques tournantes de ce trafic et des mouvements de leurs auteurs. L’activisme néocolonial de Paris et celui de Londres se situent dans le droit fil de leurs philosophies coloniales respectives, corolaire de leur tempérament national. Cette différence apparaît dans la vie politique africaine, à travers le clivage entre les pays francophones et les pays anglophones sous l’angle de maints aspects comme : la plus ou moins grande propension à régenter l’Afrique, à générer des autocrates à vie, la fréquence des coups d’états, des guerres civiles ou des génocides, l’institutionnalisation de la corruption en cheville avec les structures politico-étatiques officieuses de l’ancienne puissance coloniale. Comme le montre l’actualité, ce clivage n’est pas à l’avantage de la France dont la zone d’influence est celle qui cumule le plus grand nombre de guerres, de coups d’état, de génocides et de monstrueuses affaires de corruption que l’Afrique ait connues depuis une vingtaine d’années.
Dans le monde francophone, cet activisme néocolonial de la France en Afrique et ses travers portent un nom : Françafrique. Cette Françafrique est aux avant-postes de la culture de corruption d’Etat qui sévit dans l’espace francophone de l’Afrique, avec son lot de scandales économico-financiers monstrueux dont le plus emblématique reste l'Affaire ELF. Comme l’explique Régis Hounkpè, dans un article fort précis « Cette affaire aux accents mafieux de l'argent pétrolier met aux prises des présidents africains comme Paul Biya du Cameroun , Omar Bongo du Gabon , Denis Sassou N'guesso du Congo Brazzaville et Pascal Lissouba ancien président ( pour ne citer que ceux-là ) avec des grands patrons de la multinationale à savoir Alfred Sirven, Loïk Le Floch Prigent, André Tarallo et autres magouilleurs de luxe. L'affaire ELF révélera l'existence de réseaux hauts-placés, passés maîtres dans l'art de l'industrie de la corruption, du clientélisme politique, des compromissions de haute voltige au détriment des pays africains, bénéficiaires légitimes des revenus de la manne pétrolière. Ce fut le règne de la Françafrique dénoncée par François- Xavier Verschave, l'un des illustres pourfendeurs de la politique souterraine de la France en Afrique, qui fait remonter toutes les filières de cette " mafiafrique " ou encore " France à Fric " jusqu'aux plus hautes autorités de l'Etat français de tous bords politiques, de gauche comme de droite ».
Bien sûr tout n’est pas rose sous le ciel anglophone de l’Afrique, loin s’en faut ; la situation sociopolitique du Nigeria, l’un des plus grand pays du continent, le montre bien. Au Nigeria la corruption est un phénomène social total qui embrasse toute la structure sociale, bien que chapeautée par le pouvoir politique. Les tensions ethniques qui secouent ce pays, sur fond de pillage des ressources du pétrole par une minorité, ainsi que la nature dictatoriale des régimes qui se sont succédé pendant plus de deux décennies à la tête du pays, ne sont pas étrangères à cette culture de la corruption. La corruption au Nigeria a ses grands noms politiques tels que les Babangida, Sani Abacha et bien d’autres, même si la discrétion relative des civils en la matière ne le cède en rien au pouvoir de nuisance économique de leurs compères politiques. Mais au Nigeria une lutte anti-corruption a été engagée par le régime démocratiquement élu, lutte dont le leitmotiv est le retour dans les caisses de l’état de sommes considérables volées par d’anciens dictateurs. Certes l’ambition est louable, mais encore doit-elle compter avec le caractère balbutiant de la démocratie nigériane et la nécessité de faire prévaloir la paix dans une nation ethniquement et religieusement composite et dont l’unité reste instable.
Sur le terrain africain en tout cas, force est de constater que, pour l’instant, ce n’est que dans la partie anglophone que la question du retour des sommes volées par les hommes politiques a été abordée avec sérieux ; action qui a parfois connu quelques succès, aussi symbolique soient-ils au regard de la gravité de l’hémorragie financière que constitue la fuite des capitaux. Dans la Françafrique en revanche, les fortunes mal acquises des dirigeants sont culturellement et politiquement admises comme relevant d’un fait acquis. C’est encore dans cette zone que l’on compte des dictateurs ou des autocrates au pouvoir depuis plusieurs décennies sans discontinuer ou qui sont en cas de nécessité remplacés au pied levé par leur descendance dans des pays qui pourtant se proclament sans états d’âme République.
Certes, il va de soi que le tempérament national du maître colonial d’hier continue dans une large mesure d’influencer les pratiques et les esprits en Afrique, et justifie ces différences. Mais en tout état de cause, la permanence structurelle des rapports entre les Blancs et les Noirs, à travers la différence du tempérament national examinée ici, en ce qui concerne la fuite des capitaux, ne se mesure qu’à la bonne volonté des anciennes puissances coloniales pour éradiquer le fléau. Sans tomber dans le mythe du réveil des forces morales, on peut se demander ce qui a été fait sur le terrain européen, de part et d’autre de la Manche. Or autant qu’on puisse en juger, du côté français, on a plus souvent qu’autre chose entendu parler de protection de génocidaires (Rwanda), d’annulation de procédure dans des atteintes aux droits de l’homme (Affaire des disparus du Beach), etc. Mais jamais une réelle procédure visant à redonner aux Etats francophones congolais, zaïrois, gabonais ou togolais pour ne citer que ceux-là des sommes colossales détournées dans les milieux politiques de ces pays.
Du côté anglais au contraire, de réelles évolutions se dessinent. Comme dans le cas de l’interdiction de la traite des Noirs ou de l’abolition de l’esclavage, la Grande Bretagne d’aujourd’hui, à l’instar de l’Angleterre d’hier a une longueur d’avance sur la France. Pour preuve la coopération sincère et étroite entre Londres et Abuja en matière de lutte contre la fuite des capitaux et la corruption. Loin des vœux pieux et des déclarations sans lendemain, cette coopération vient d’inscrire à son actif un acte encourageant pour le Nigeria et pour l’Afrique tout entière. Comme dans maints pays africains, il y a plusieurs types de corruption qui gangrènent le tissu socioéconomique du Nigéria. Parmi eux, on peut citer la corruption politique, la corruption administrative, la corruption financière et économique, et la corruption sociétale, qui est le précipité culturel de toutes ces corruptions dans l’imaginaire collectif et dans la pratique de tous les jours. En ce qui concerne la corruption politique, le Nigeria étant une Fédération de plus de trente états, la corruption politique se situe à au moins deux niveaux : au niveau fédéral, et au niveau des états. Contrairement à ce qu’on peut croire, la corruption au niveau des états dépasse de loin celle du niveau national, dans la mesure où elle a des ramifications nombreuses sur tout le territoire, concerne un plus grand nombre de personnes et assume une fonction sociale de redistribution ethnique des ressources publiques. Aussi, n’est-il pas sans intérêt, pour l’efficacité de la lutte contre la corruption, de s’attaquer au problème dans sa chair en ciblant le niveau secondaire des états, puisque la nuisance socioéconomique de toutes ces corruptions secondaires réunies dépasse de loin celle du niveau national. D’ailleurs une enquête publiée par un journal nigérian bien connu n’a-t-elle pas révélé que la fortune de 7 Gouverneurs nigérians dépassait le budget national du pays !
Cette réalité donne du sens à la politique de coopération entre Londres et Abuja en matière de lutte anticorruption. Une politique illustrée récemment par le cas de Joshua Dariye, l’ex-gouverneur de l’Etat de Plateau. Convaincu de corruption par la justice britannique, Joshua Dariye, qui dans un premier temps a échappé par subterfuge en se déguisant en femme est activement recherché par la police de Londres. Le cas de Joshua Dariye qui n’est pas isolé montre bien l’implication de Londres et la bonne volonté du Royaume Uni, comme l’a dit Monsieur James Ansley son Haut Commissaire intérimaire au Nigeria, de ne plus être « un terrain libre pour les activités de transfert d’argent acquis illégalement ou par la corruption. » Fait rare dans les annales des relations politiques entre les deux pays, le gouvernement britannique, par l’intermédiaire de James Ansley remettait récemment au gouvernement nigérian deux chèques, d’un montant de plus de 11 millions de Livres sterling que Joshua Dariye aurait volé et caché en Grande Bretagne. Le remboursement de cet argent pillé, a dit James Ansley est le fruit d’une "parfaite coopération de longue haleine" nouée entre la police londonienne et la Commission Nigériane de lutte contre les crimes économiques et financiers. Ansley a aussi affirmé que la police métropolitaine avait saisi des biens d’une valeur de 34 millions de Livres, supposés appartenir à Joshua Dariye et à Diepreye Alamieyeseigha, respectivement anciens gouverneurs des Etats du Plateau et de Bayelsa.
Certes cette action est une goutte dans l’Océan des sommes qui ont fui le Nigeria depuis des décennies vers les paradis fiscaux et judiciaires ; mais venant d’une ancienne puissance coloniale qui, à l’instar de toutes les puissances coloniales, avait jusque là exploité sans états d’âme le filon de la corruption pour déstabiliser et assurer la continuité de son œuvre d’exploitation d’une autre manière, le geste, aussi symbolique soit-il, méritait d’être salué.
Pendant ce temps, à Paris le « réveil moral » cher à certains historiens bat son plein, les belles idées éthérées circulent à tout va, sans aucune action concrète. Cela mettra tout le temps de la différence structurelle entre Londres et Paris en matière de rapport à l’Afrique ; différence, comme on l’a vu, consacrée par l’histoire. Et pourtant dans le giron français en Afrique, ce n’est pas les criminels financiers qui manquent. Certains sont considérables. Qu’il suffise de retenir ici deux grandes pointures bien connues citées par Odile Tobner dans un article récent : Omar Bongo et Denis Sassou N’guesso. « Omar Bongo est à la tête du Gabon depuis 1967. Selon une investigation du Sénat américain, il se réserverait chaque année 8,5 % du budget de l’État (111 millions de dollars). Résultat : malgré un PIB moyen par habitant élevé pour la région (5 500 $), la population gabonaise n’a même pas de quoi se soigner. Omar Bongo reçoit régulièrement les personnalités politiques françaises. Selon afriquecentrale.info, il a rencontré le 19 mars, à Paris, le candidat de l’UMP Nicolas Sarkozy. Il a également reçu, dans sa résidence parisienne François Bayrou, candidat de l’UDF. Denis Sassou N’guesso a été au pouvoir au Congo Brazzaville entre 1979 et 1992, avant d’y revenir par la force en 1997. Lors des guerres civiles de l’été 1997 et de 1998-99, financées par Elf et plusieurs banques françaises, ses milices (les Cobras) ont massacré et violé de façon systématique. On parle de 100 000 morts. La justice française a reconnu en 2006 qu’on pouvait parler de lui comme d’un « dictateur », auteur de « crimes contre l’humanité ». Le livre Afrique, Pillage à huis clos de Xavier Harel rapporte qu’entre 2003 et 2005, il aurait organisé l’évaporation de près d’un milliard de dollars de revenus pétroliers. Proche de Jacques Chirac, Sassou N’guesso a reçu la semaine dernière la visite de la ministre déléguée à la Coopération, Mme Girardin. »
Pour moi, l’occident chrétien est une civilisation mélange de cannibalisme et de pédophilie. Depuis des siècles, ils ont mis le Noir dans leur assiette ; ils l’ont intégré à leur chaîne alimentaire, le consomment sans relâche à toutes sortes de sauces. La sauce change mais, charnelle à tous les sens du mot, la consommation ne change pas. Il y a eu dès le départ une disparité technologique et politique entre eux et nous, au lieu que la rencontre soit l’occasion de combler humainement cette disparité dans un échange fructueux, ils n’ont conçu d’autre attitude que d’exploiter jusqu’à la corde cette disparité à leur fin. Ils ont dès le début et de manière continue choisi de nous manger, de nous exploiter, de nous violer dans les coins comme le font les pédophiles récidivistes ; la chose est plus fort qu’eux, et d’autant plus que le Nègre lui-même par son incapacité à prendre conscience de sa situation y prête flanc. Quand vous trouvez plus jeune que vous seul et sans personne et qu’au lieu de lui indiquer le chemin, vous le coincez dans un antre pour le violer sans lui laisser de répit, eh bien ça s’appelle de la pédophilie ! C’est ce que les Européens, et d’une manière plus générale les Occidentaux, les Blancs on fait et continuent de faire avec l’Afrique depuis des siècles.
Cela n’a-t-il pas un air de famille, « une ressemblance structurelle » avec la scène que je venais de vivre dans la rue Marbœuf, cette façon pour le Noir, d’être un objet à disposition de la palette des fantasmes du Blanc. La scène me révoltait. Non pas en elle-même, mais en raison de sa signification, et de la réalité dont elle n’est que l’expression : une Afrique passive, pauvre, acculée à une hémorragie tentaculaire et protéiforme. La révolte me secouait encore les tripes lorsqu’au retour, je repassai dans la même rue, devant le même café. Le pédé blanc était déjà parti. Plus de scène de caresse, mais les deux Nègres, comme fidèles au poste, barraient toujours de leur haute carrure l’entrée du café et tenaient conversation. Au moment où passant devant eux, je m’évertuais à les fixer du regard, « le corps beau » baissa la tête comme s’il ne tenait pas à être reconnu. Mais manque de pot, je réussis à percevoir quelques bribes de leur conversation, et pus identifier qu’ils étaient des Nigérians, puisqu’ils parlaient le edo. Cette certitude ne fit qu’ajouter à ma révolte. Ah, des Nigérians, quelle coïncidence ! « Ces enculés étaient donc des frères », me murmurai-je tout bas… La chose était d’autant plus consternante que le matin même j’avais reçu de Imoisili mon ami nigérian, edo lui-même, une lettre dont le sujet tournait autour du même thème de la révolte contre l’insoutenable iniquité des relations entre Blancs et Noirs. Imoisili disait ceci :
« I was at a Starbucks Coffee Shop on Georgia Avenue NW seeping my Arabian Mocha Sanani and at the same time perusing the Washington Post searching for a job when a perfunctory greeting with two strangers turned into a conversation which ultimately affected my mood for the entire afternoon. You see, an American couple, one with a bachelors degree in the sciences, and the other with a technical school education claims to be expatriates in the Nigerian oil industry. Both praised Nigeria to high heavens and gleefully showed me pictures of their mansions, chauffeurs, gardeners, housemaids, and security details in Port Harcourt and Lagos. Damn, thirty-five years in America and I still don’t have a mansion, chauffeurs, gardeners, housemaids, and security details.
No one respect Africans. At home and abroad, Whites and Purple people enjoy sticking it to Africans. They make fun of us in movies and literature. They call us names. Yet, no one has ever been sanctioned...»
Je n’ai pas le cœur ni le temps de traduire cette lettre au lecteur. A quoi cela servirait-il ? De toute façon, il y a tout le temps de la « différence structurelle » entre Londres et Paris à attendre. Pour tout dire, je suis un peu comme mon ami Imoisili, et considérant la scène qui a été à l’origine de cette causerie, je dirai « it ultimately affected my mood for the entire afternoon. »
Binason Avèkes.
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007, © Bienvenu sur Babilown
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