L’homme Sarkozy.
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Dans ta dernière lettre, entre autres choses, tu me demandes ce que je pense du discours africain de Sarkozy. Je te remercie de me poser la question, preuve de l’intérêt que tu portes à mes cogitations, mais sans rien te cacher, je dois avouer que je ne sais rien de ce discours. Comme, je te l’ai dit une fois je crois, à l’instar de mon attitude à l’égard des questions que je juge inessentielles, je n’ai rien entendu du
fameux discours de Monsieur Sarkozy en Afrique et j’imagine sur l’Afrique. Fermement persuadé que le locuteur a beau être Président de la France, l’homme Sarkozy était bien mal placé pour donner des leçons de quelque nature que ce soit sur l’Afrique ; qu’il n’est ni de l’étoffe ni du bord de ceux dont les leçons sur nous sont bonnes à prendre. Dussent-elles, ces leçons, contenir des vérités qui sont du genre de celles qui blessent...
Je n’ai rien suivi non plus du débat passionné auquel ce discours et les provocations délibérées qu’il contenait ont donné lieu pas plus que je n’ai ouï grand-chose des vives réactions qu’il a suscitées. Même si j’ai perçu ça et là des signes d’une agitation passionnée sur le continent et dans les milieux africains de la diaspora où écrivains, personnalités politiques ou vedettes putatives ont pris position et donné de la voix. Je considère que ce genre de passion distrait l’Afrique de sa conscience active. Et s’y adonner n’est point exempt d’ambiguïté. Mais on a beau faire, on ne peut passer dans la forêt et ne pas entendre le cri des oiseaux. Et la forêt médiatique est ainsi faite que toutes sortes de bruits sont colportés par une prodigieuse armada de moyens et, qu’on le veuille ou non, on finit par entendre les grondements des passions les plus serviles.
Un mot ou plus exactement deux mots me sont parvenu de cette diatribe orchestrée. C’est le mot « L’homme Africain » qu’aurait utilisé le président Sarkozy. Un mot qui soudain reprend valeur de concept. Les mots renvoient au motif, et la pensée à l’arrière-pensée. Pourquoi Sarkozy dit-il « l’homme africain » au lieu de « l’Africain » ? Pourquoi de l’Afrique Sarkozy découvre-t-il soudain l’homme, lui qui dans son gouvernement ne la représente que sous le trait exclusif de la femme ?
Tu me diras qu’il y a Homme et homme, qu’il ne faut pas confondre le tout et la partie, et que la femme est aussi un homme. Je suis tout à fait d’accord avec toi Pancrace, mais il n’empêche, en matière de discours, le dit renvoie au non-dit et il ne faut pas en rester au mot. Au contraire, il faut prendre le locuteur au mot sur le vif. Se demander quelle est l’utilité ou plus exactement la fonction d’une telle précision emphatique. Et, c’est vrai qu’en ouvrant les yeux on s’aperçoit que la précision a une fonction de contre-feu. En tendant l’oreille, on entend ce que Sarkozy sous-entend : « Je vais poser dans mon discours des questions qui toucheront à l’identité humaine de l’Africain. Pour ne pas me voir taxer de négrophobe ou d’antinégrite, je commence par désamorcer tout soupçon, en affirmant d’entrée de façon éminente ce que je m’appliquerai ensuite et in fine à questionner à la limite de l’ambigüité, sinon de la négation »
C’est à ce négationnisme anthropologique à visée polémique que le mot « L'homme africain » sert d’euphémisme. Le négationnisme anthropologique appliqué à l’Africain est une vieille lune de la pensée essentialiste occidentale. Ce syndrome de la « substance noire » dénoncé par Aimé Césaire a été à l’origine de la controverse de Valladolid qui a ouvert les vannes de l’esclavage de l’homme africain, et par là même les veines de l'Afrique, lui infligeant une longue hémorragie de quatre siècles !
Souffrance océanique. C’est sur les vagues de cet océan de souffrance que surfe l’homme Sarkozy.
Voilà mon cher Pancrace ce que je peux dire du discours africain de Sarkozy, en somme pas grand-chose. Je suis gêné par la brièveté de ma réponse, dans la mesure où elle s’inscrit en contrepoint de la réaction générale suscitée par le discours provocateur de Sarkozy sur l’Afrique. Mais comme tu le sais, la provocation est le mode de communication de l’actuel président français. Dans ce cas est-ce bien raisonnable que les Africains lui fassent de la publicité ? Les femmes africaines qu’il a nommées en exclusivité sexuelle dans son gouvernement ne suffisent-elles plus à cela ? Ne font-elles pas leur boulot ? Que ne sont-elles à la hauteur de leur mission cosmétique !
Amicalement,
Binason Avèkes
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