Mon Idéo va, court, vole et tombe sur...
Guerre à la guerre !
« Yayi Boni déclare la guerre aux étrennes » titrent les journaux. Mais au sens propre du mot guerre, les étrennes ne sont pas la tête de pont d’une armée ennemie. Au sens figurée, les étrennes ce n’est pas une habitude tenace ; jusqu’à preuve du contraire, elles n’étaient pas illégales ; en tant que pratique, elles n’ont rien d’obscur, elles ne découlent pas d’une mauvaise
intention ; elles n’ont rien de répréhensible, rien d’immoral en soi ; ce n’est pas comme la corruption qui touche aux mœurs, et qui est d’autant plus injuste qu’elle est pratiquée à grande échelle, touche aux structures de la société, et imprègne la mentalité collective ; les étrennes ce n’est pas non plus une maladie endémique ni une pandémie. Enfin elles ne constituent pas un délit. Il s’agit d’une tradition, qui sévit annuellement dans les administrations. Or le chef suprême de l’administration n’est que le chef du gouvernement lui-même. Il lui suffit conformément à ses légitimes convictions d’interdire ces pratiques. Il n’y a donc pas de quoi en faire tout un plat ; pas de quoi fouetter un chat. Or nos indomptables journalistes parlent de déclaration de guerre. Cela signifie-t-il que les PDG et autres chefs des administrations persisteraient dans cette habitude indécente si elle était formellement interdite ? Nous n’osons pas le croire en ces temps de changement.
Le vrai problème est dans la construction rhétorique des journaux. Rien de fortuit dans tout cela. Le chef de l’Etat lui-même n’endosse-t-il pas la tunique du guerrier ? Et n’est pas peu fier d’apparaître comme celui qui, au premier chef, guerroie sans relâche contre ceci ou cela. La corruption, en tout premier lieu ; qu’elle soit un fait criminel ou un artefact politique, qu’elle soit réelle ou imaginaire. Pour ce faire, le grand guerrier n’est pas avare d’un coup d’éclat par-ci et d’un geste spectaculaire par-là. Il se veut sur tous les fronts à la fois. Multipliant décisions et contre-décisions dans une précipitation démentielle et un autoritarisme suranné qui se veut d’autant plus salutaire qu’il contrevient aux règles de procédure démocratique, quand il ne viole pas tout simplement les lois. Après avoir branché la métaphore médicale du Docteur censé sauver le grand corps malade de la nation, le Président de la République, sans demander son reste se mue en guerrier intrépide. Les journaux dont beaucoup sont à la botte, et pas seulement parce que le changement est dans l’air du temps, n’ont pas besoin d’un dessin pour deviner les desseins du chef : ils savent cirer les bottes, et couvrir ses faits d’armes des lauriers de la victoire future. Dans cette flagornerie guerrière, le changement n’est plus ce mouvement intérieur qui transforme l’homme en profondeur et rejaillit sur la conscience collective de la société ; elle est toute extérieure et se pare des couleurs de l’agitation martiale, des bruits de bottes, des trompettes de guerre et des rodomontades sans lendemain. Ce n’est sans doute pas par hasard qu’au lieu de chercher à enrayer un fléau aussi grave que l’analphabétisme qui touche près de 70% des Béninois, le gouvernement préfère à coup de milliards s’attirer les bonnes grâces de l’Armée par la résurrection d’un service patriotique dont l’expérience n’a pas été convaincante par le passé. Sans coup férir, les militaires se voient bombardés au premier rang de la lutte pour l’inculcation du sens patriotique, de l’idée du lien social et de l’unité nationale comme si tout ceci devait s’abattre sur le citoyen contraint et forcé au lieu de faire l’objet d’une pédagogie intériorisée d’inspiration éthique, c'est-à-dire choisie. Où est le rôle de l’éducation dans tout ça ? Où sont les professeurs ? Les philosophes, les sociologues, les sages, les écrivains, les artistes créateurs, ces jardiniers de l'imaginaire collectif ? Certes, la culture de l'imaginaire n'a pas de prix mais combien de milliards faudra-t-il budgétiser pour impliquer tout ce beau monde dans le mouvement ? La guerre du changement est une chose trop intérieure pour être laissée aux seuls militaires. Il va sans dire que ce taux d’analphabétisme constitue un frein pour la victoire sur la pauvreté, sans parler de l’émergence, naïve politisation d’un concept feu follet abusivement sorti du champ clos des théories du développement. C’est aussi dans ce double état d’esprit militaire et suborneur que le mot « stratégie » est mis à toutes les sauces. Stratégie de réduction de la pauvreté, stratégie nationale de développement, stratégie sectorielle de développement, stratégie de renforcement de l’engagement du gouvernement, stratégie d’éducation, stratégie de croissance, bref, toutes ces stratégies et ces guerres commencent à faire un peu trop… Et si tout cela n’était que tactique d'un Changement mal engagé ?
Allez, brave gens, un peu de trêve ne ferait guère de mal ! Guerre à la guerre !
Eloi Goutchili
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007, © Bienvenu sur Babilown
Et oui, Marc tes rappel et précision sont on ne peut plus justes : la tradition des étrennes n'est pas quelque chose comme ça qui se fait à la sauvette ; elle s'insère dans un fonctionnement normal des organisations. Aussi est-il souhaitable que le cadrage nécessaire de cette pratique se fasse dans la sérénité, bien loin des flagorneries à courte vue de quelques griots, et du parti pris populiste qui anime le régime actuel.
Cette façon que le gouvernement a d'aborder la question est, je le crains aussi, fort intrigante. Pourvu qu'il n'y ait pas d'anguille sous roche : vigilance !
Merci pour l'intervention.
Rédigé par : Blaise | 14 septembre 2007 à 18:26
J'espère que ton message sera lu par nos journalistes qui ne font que nous décevoir. Juste un petit recul aurait permis de poser la question sur les étrennes obigatoires que toute administration centrale d'un pays doit offrir. Est-ce que le gouvernement béninois veut centraliser l'activité des étrennes à la présidence ou au ministère de l'économie...? Que veut-on nous cacher sur cette décision populiste? La limitation des montants budgétaires à consacrer aux étrennes est inévitable, mais les supprimer est presque impossible dans le management des organismes...
Salut!
Rédigé par : -Marc Akplogan Kanho | 13 septembre 2007 à 00:20