Petite histoire d'un consensus frauduleux.
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Le parti socialiste s’indigne du caractère tendancieux du sondage réalisé par Opinionway pour le Figaro et LCI et rendu public jeudi. Ce sondage révèle que Nicolas Sarkozy a été jugé plus convaincant que Ségolène Royal : 53 % des personnes interrogées auraient jugé le candidat UMP « plus convaincant », contre 31% pour la candidate PS et 16% qui répondent ni l'un ni l'autre ou ne se prononcent pas.
Aussi légitime soit-elle, aussi nécessaire soit-elle, la protestation du Parti socialiste est tout de même tardive et sélective. Le candidat de l’UMP a jeté son dévolu sur l’utilisation des sondages comme outil d’installation d’un consensus frauduleux. Depuis des mois un fleuve de sondages coule régulièrement et qui va grossissant au fur à mesure qu’on s’approche de l’embouchure électorale, et dont le but, en avantageant systématiquement Sarkozy, est d’utiliser leur effet performatif. L’effet performatif d’un message est l’effet qu’il produit sur la vérité de son contenu. Ainsi, lorsque le maire dit
« Je vous déclare mari et femme » cette déclaration a un effet sur le lien entre ceux à qui elle d’adresse. Cet effet est qualifié par les linguistes de performatif. C’est sur l’usage effréné d’un tel effet que l’UMP et son candidat, aidés par un réseau épais de médias à leur solde, ont jeté leur dévolu.
Par exemple cette manipulation a été fort utilisée pour crédibiliser la candidature de Ségolène Royale et la susciter. En effet, pour toutes sortes de raisons, Sarkozy avait horreur de se retrouver face à un candidat masculin du PS ou même du Centre. Il était persuadé que la différence entre eux et lui, – éthique, esthétique, idéologique, morale, intellectuelle – sauterait aux yeux. Aussi a-t-il voulu masquer cette différence par un schéma plus soft, plus « à l’eau de rose ». C’est ainsi que pendant des mois et des mois, Ségolène Royal – dont Sarkozy dans sa conclusion du débat d’hier louait, non sans cynisme, le talent pour être parvenue à ce niveau de la compétition, cynisme qui sous-entend la part malicieuse que son appareil de manipulation y a prise – a surfé sur les sondages. Pendant des mois et des mois, elle a été la coqueluche des instituts patentés de sondage, et était donnée gagnante. Puis tout à coup, après son investiture par le Parti socialiste qui quoique étant le résultat d’une élection interne n’était pas moins déterminée par les certitudes frauduleuses établies par les sondages, elle s’effondra comme par enchantement. Fut déclassée par son adversaire que tous les sondages par la suite fixeront comme le favori de l’élection.
Or, pendant tout le temps que durait la manœuvre cousue pourtant de fil blanc, le Parti socialiste et ses communicants n’ont pas élevé la moindre protestation. Ils n’ont pas été saisis du moindre doute. Parce que dans un premier temps le rêve était très beau et le schéma tentant.
Maintenant que la manœuvre après ses deux premières phases est entrée dans sa dernière ligne droite ; maintenant que Sarkozy et ses hommes continuent d’utiliser l’effet performatif des sondages pour parfaire leur consensus frauduleux, au parti socialiste on se met à pousser des cris d’orfraie. Malheureusement, ce n’était pas le meilleur moment pour dénoncer la manœuvre. Cela ne veut pas dire que l’effet performatif recherché par Sarkozy eût atteint ou atteindrait nécessairement son but. Car, compte tenu du risque de boomerang qu’il y avait à l’utiliser sans arrêt, – la certitude affichée du succès pouvant susciter une moindre mobilisation dans leur camp – si Sarkozy et ses hommes continuent de faire recours sans vergogne ni scrupule à cette manoeuvre c’est qu’ils n’ont aucune certitude sur son action réelle.
Pendant ce temps, refusant de faire preuve de bon sens, les sondeurs, tout à leur oracle et à leur manoeuvre ne semblent pas du tout faire cas des résultats du premier tour. Ils se refusent à prendre en compte le calcul que fait tout un chacun, et qui ne va pas dans le sens qu’ils s’échinent diablement à marteler. Ce calcul a beau être naïf, il ne manque pourtant pas de fondement. En effet si on prend les 31% de Sarkozy + les 6% qui constituent le noyau dur des électeurs UDF ; si on y ajoute encore 6% provenant du côté d’un Le Pen qui a recommandé l’abstention massive à ses troupes dont le degré de fidélité sera d’autant plus élevé qu’ils constituent le reste d’un électorat largement siphonné ; si toujours généreux on accorde à Sarkozy les 2% de Villiers, et le 1% de je ne sais quel autre écologiste de droite, eh bien qu’obtient-on en faisant les comptes, calculette en main ? On a : 31+ 6 + 6 + 2+ 1= 46 ! Ce qui est loin du compte. En faisant la même chose pour Ségolène Royal, selon les hypothèses retenues, on parvient même à dépasser les 46 %. Preuve s’il en est que le jeu est ouvert. Mais pour cette armée de sondeurs patentés, ces pseudo-scientistes prébendés, les résultats du premier tour n’ont pas la valeur de leurs projections savamment élucubrées.
C’est cette valorisation qui fait problème, en même temps qu’elle est solution. En effet, elle révèle les limites de l’effet performatif et ses risques.
Là réside la chance de Ségolène Royal, au-delà des cris tardifs d’un Parti socialiste qui a manifestement manqué à son devoir de vigilance.
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Eloi Goutchili
Copyright, Blaise APLOGAN
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