17, rue du Loup Pendu
14
Le jeudi, comme prévu, je me rends à Joinville. Le studio était ouvert et j’étais content de pouvoir rencontrer enfin Monsieur Dubosc. Lorsque je demande d’après lui au guichet, la jeune femme me dit de monter au troisième étage et de frapper à la porte de la pièce 305. Ce que je fais sans tarder tellement j’avais envie de voir ce Monsieur Dubosc, le nouveau maître de Montcho. A la pièce 305, je tombe sur un gros Monsieur qui fumait un gros cigare devant un gros bureau. Le Monsieur parlait au téléphone quand je suis entré, et pour ne pas le déranger, je me suis assis sur une chaise devant son bureau. Quand il a eu fini, il me regarde d’un air furieux
« Qui êtes-vous ? demande-t-il
— Mon nom est dah Kpossouvi.
— Et qui vous a dit de vous asseoir ? Quelles sont ces manières ? Vous vous croyez dans la brousse ici ? Allez, levez-vous! »
Le Monsieur était vraiment furieux. Comme je ne voulais pas d’histoire, je me lève et il me regarde un moment d’un air méchant en fumant son cigare et après, il me demande ce que je cherchais et je dis :
« Monsieur Dubosc, s’il vous plaît
— Monsieur Dubosc ?
— Oui, Monsieur Dubosc, le maître de Joko.
— Vous tombez mal, Monsieur Dubosc n’est plus avec nous.
— Et où est-il ?
— Ecoutez, Monsieur, je n’en sais fichtrement rien ! »
Je voulais essayer de lui demander l’adresse de Monsieur Dubosc, mais il n’y avait pas moyen, le gros Monsieur ne me laissa pas parler.
« Je peux vous demander une faveur ? dit-il
— Quoi ?
— Très bien, fichez-moi la paix ! »
Ainsi, je suis reparti des studios de Joinville bredouille, et j’étais triste et je ne savais pas quoi faire. Au retour à l’hôtel, après avoir réfléchi dans tous les sens, une idée m’est venue à l’esprit : retourner aux studios de Joinville avec Léa et moi je serais un perroquet, peut-être que le gros Monsieur pourrait parler à Léa parce que Léa, avec ses cheveux en or ce n’était pas la même chose.
Le soir j’ai été voir Léa. Elle avait des clients et nous n’avons pas pu rester longtemps ensemble ; elle m’a dit que Roland n’était pas venu l’embêter et elle était très contente. Lorsque je lui ai dit pourquoi j’étais venu, elle était d’accord, elle voulait m’aider et nous avons pris rendez-vous dans un café de Joinville pour le lendemain matin. Léa était bien belle ce matin-là : elle avait mis une longue veste rouge et une jupe rouge et ses cheveux en or lui tombaient en boucle sur les épaules. Dans les toilettes d’un café, je suis devenu un perroquet africain et Léa m’a pris sur son épaule comme quand j’étais avec Aruna, et nous avons pris le chemin qui mène aux studios. Dans la rue, les gens ne cessaient de nous regarder. Ils s’intéressaient à moi. Certains passants s’approchaient de Léa et disaient : « Ah, le bel oiseau ! » et Léa répondait : « Oh, oui, il vient d’Afrique. » Après un certain temps de marche, Léa a pris un taxi, parce que les studios étaient un peu éloignés de la gare, et elle ne voulait pas prendre le bus pour que les gens ne lui posent pas trop de questions. Avec le taxi, nous sommes arrivés aux studios en quelques minutes. Quand Léa a dit qu’elle voulait parler à Monsieur Dubosc, la femme du guichet était étonnée, et elle dit : « Monsieur Dubosc ? » et Léa dit : « Oui, Monsieur Dubosc, le maître de Joko ». En entendant ça, la jeune femme regarde Léa et le perroquet et elle prend le téléphone et parle quelques instants. Ensuite, elle dit à Léa : « Vous pouvez monter, c’est au troisième étage, pièce 305. » Nous sommes montés Léa et moi, c’est à dire Léa est montée et j’étais perché sur son épaule. Dans la pièce 305, le gros Monsieur au cigare était assis devant son gros bureau. Quand il a vu Léa dans sa veste rouge et ses cheveux en or qui tombaient en boucle sur ses épaules, il a déposé le téléphone en ouvrant de grands yeux ; puis il a levé ses deux bras en l’air en disant : « Chère Madame, que puis-je faire pour vous ? » Evidemment, je n’ai pas reconnu l’homme furieux qui m’avait dit : « Fichez-moi la paix ! » Au contraire, il était devenu doux comme un vrai Parisien amoureux. Léa lui a dit qu’elle cherchait Monsieur Dubosc pour lui donner le perroquet et le gros Monsieur a dit : « Ah, quel bel oiseau ! » Puis il a dit à Léa de bien vouloir s’asseoir et en quelques minutes il a dit à Léa tout ce qu’elle voulait. Monsieur Dubosc ne travaillait plus au studio, mais il habite une ville nommée Robinson, non loin de Paris. Le gros Monsieur s’est levé et il est allé vers une armoire derrière son bureau. Après avoir cherché un certain temps des choses dans l’armoire, il est revenu avec une fiche sur laquelle, il y avait tout ce qu’on pouvait savoir sur Monsieur Dubosc : son nom, son prénom son adresse et sa photo avec Joko, c’est à dire Montcho. En tenant la fiche dans sa main, le gros Monsieur s’est approchée de Léa et quand il a été tout proche de Léa, il a commencé à me caresser en répétant : « Ah, quel bel oiseau ? » ; et en projetant la fumée de son cigare sur moi, il a ajouté : « Pour un perroquet, il m’a l’air bien taciturne » Léa n’a pas compris et elle dit : « Taxi quoi ? » et le Monsieur a dit : « Enfin, il n’est pas très causant, vous ne trouvez pas ? » Alors, Léa a expliqué que j’étais triste parce que j’avais envie de voir Joko, et j’ai dit : « Quelles sont ces manières ? Vous vous croyez à la brousse ? » et le Monsieur était étonné mais il ne savait pas pourquoi j’avais dit exactement ça. Ensuite, il s’est tourné vers Léa en disant : « Ah, vous êtes ravissante » et il a pris dans la poche de sa veste une petite carte et il a donné ça à Léa en disant : « C’est personnel, j’aimerais tant vous revoir. » Léa a souri et a pris la carte des mains du Monsieur.
« Ça peut s’arranger, dit-elle…
— — Oh oui, vous m’en voyez ravie…
— — T’inquiète pas mon chou, j’t’appellerai un de ces soirs »
Quand Léa a dit ça, le gros Monsieur est resté bouche bée un instant. Ensuite, tout s’est passé très vite, et il a remis la fiche de Monsieur Dubosc à Léa et Léa l’a remercié, en promettant encore de l’appeler un de ces soirs.
C’est ainsi que grâce à Léa, j’ai réussi à connaître l’adresse de Monsieur Dubosc et j’étais très content parce que je savais maintenant où trouver Montcho. Pour fêter ça, nous sommes allés dans un bar à Joinville et après que je suis devenu moi-même, nous avons commandé à boire. Léa m’a montré la fiche de Monsieur Dubosc et j’ai regardé la photo de Joko, c’est à dire Montcho. Dès que j’ai vu la photo de Joko, j’ai tout de suite pensé à Montcho. Même quand en chien, il y avait quelque chose dans son visage qui lui ressemblait étrangement et on aurait dit qu’il avait la même cicatrice et ses yeux étaient ronds et le blanc de ses yeux était blanc comme le blanc des yeux de Montcho : il n’y avait pas de doute, c’était bien lui. En buvant, Léa m’a dit que depuis l’autre nuit, elle n’avait plus peur de Roland ni de personne. Elle avait décidé de travailler pour elle même. L’adresse de Monsieur Dubosc était : « Monsieur René Dubosc, 17, rue Loup Pendu, 92350 Robinson » et Léa m’a indiqué comment il fallait faire pour me rendre là-bas.
Après le bar, nous avons repris le boa jusqu’à Paris. Léa avait rendez-vous avec son propriétaire à Pigale, et nous nous sommes séparés. Moi j’ai pris la direction de la ville nommée Robinson.
En route pour Robinson, j’avais la photo de Joko sous les yeux, et je pensais à Montcho de toute la force de mon esprit. Je ne voulais qu’une chose : retrouver Montcho et le convaincre que sa vie était à Ajalato près de notre clan et de ma famille où j’avais besoin de lui pour me fabriquer chaque nuit mon breuvage de la joie, et non pas quelque part dans le pays des Blancs en train de faire du cinéma dans la peau d’un chien. J’étais sûr que Montcho finirait par me suivre. Puisqu’il a choisi de vivre dans le monde des vivants et non pas dans le monde des morts, pourquoi ne viendrait-il pas vivre près de ma famille comme avant lui son père avait vécu avec mon grand-père et son grand-père avec mon aïeul ? Je pensais aussi à sa relation avec Nan-Guézé et je ne voulais pas que Montcho pense qu’il sera la honte de notre famille parce qu’il aimait Nan-Guézé vu que Nan-Guézé n’était plus la femme de mon grand-père. Je voulais qu’il revienne librement chez nous sans peur ni honte et vive comme avant. Comme j’étais son maître, et j’avais hérité de tous les bôs de notre famille qui font de moi le Demi-Frère-Des-Dieux-Et-Des-Esprits, je pouvais à tout moment utiliser mon pouvoir contre lui et s’il résiste à ma volonté, il ne pourra pas résister à mon pouvoir, mais je préférais le convaincre que de le contraindre, et j’espérais qu’il serait si heureux de me voir qu’il n’hésiterait pas à me suivre chez nous.
C’est ainsi que je pensais sur le chemin de Robinson avec le rêve dans ma tête et l’espoir au cœur, mais quand je suis arrivé au numéro 17 de la Rue du Loup pendu, le rêve s’est suspendu. La maison était vide. J’ai sonné à la porte et au bout de cinq minutes, un homme très grand à l’œil vif avec des cheveux argentés est arrivé et dès qu’il m’a vu, il a dit : « C’est pour Joko, je présume ? » et il m’a dit d’entrer. Puis sans autre formalité, il s’est présenté. « Je suis Monsieur Lhommeau, dit-il, Thomas Lhommeau » et il a commencé à me parler de la maison sans me laisser le temps de lui dire pourquoi j’étais venu. Il m’a conduit vers le plancher de la véranda, et dans un coin, il m’a montré une petite case pour chien fermée par un rideau d’étoffe jaune avec de la paille dedans et il a dit : « Voici sa niche, c’était un beau chien d’arrêt comme il n’y en a plus ! » Et quand j’ai entendu ça, j’ai cru que Joko était mort et j’ai eu peur parce que quand un Abikou meurt dans la peau d’un animal, ça veut dire qu’il a choisi pour de bon le pays des morts et il ne viendra plus dans le monde des vivants. Alors j’ai demandé au Monsieur : « Excusez-moi, il est mort ? » et il a dit : « Oh, non, rassurez-vous, cher Monsieur, Joko est toujours en vie, fort heureusement. » Après ça, il m’a donné des détails sur la vie de Joko, en décrivant ses réveils matinaux, ses habitudes, comment il allait à la rencontre de son maître puis il a dit que Joko était un chien d’arrêt et quand bien même je ne savais pas ce que cela voulait dire il a continué en disant :
« Oui, cher Monsieur, Joko est un chien d’arrêt très court. Il est un peu petit, sans compter que ses pattes de devant ne sont pas tout à fait droites, mais légèrement arquées, ce qui ne répond pas tout à fait à l’idéal d’une race pure. Toutefois, sa légère tendance au fanon lui sied à merveille ; sa couleur est très belle. Sa robe est d’un brun roux, tigré de noir. Sur son crâne et sur ses oreilles fraîches, le noir forme avec le rouge un très joli dessin velouté, et ce qu’il y a de plus plaisant, voyez-vous, cher monsieur, c’est la touffe qui marque le milieu de son poitrail et qui s’y tient droit. Et puis, entre nous, monsieur chien d’arrêt ou pas, africain ou pas qu’importe ? Quelle intelligence, Joko ! Si vous voulez mon avis, c’est pour ça qu’il est la bête de cinéma que le monde entier nous envie… »
Le Monsieur a continué à parler ainsi pendant un certain temps et je ne pouvais même pas lui poser une question. Il parlait comme s’il lisait un livre invisible, et ne me regardait même pas. De temps en temps, sa parole était bruyamment interrompue par une quinte de toux, puis elle repartait de plus belle. De cette manière, il était parvenu à me parler de l’histoire des chiens, et ne cessait de dire : « Oh, vous savez, Dieu a crée les loups, l’homme a inventé le chien. » De fil en aiguille, il en est venu à parler de la femme de ménage de Monsieur Dubosc, une jeune africaine qui s’occupait de Joko. Cette femme, dit-il, était aux petits soins de Joko et le promenait les soirs à son retour des studios. Certains soirs, elle pouvait rester devant la niche de Joko jusqu’à très tard la nuit.
Le Monsieur a continué de parler et je ne savais pas comment l’arrêter. Heureusement, la sonnerie de la maison a retenti, alors, il a retrouvé ses esprits « Venez, me dit-il, nous avons de la visite » Je le suivis à l’entrée de la maison. Sur le pas de la porte, deux jeunes femmes attendaient. Elles étaient venues voir Joko. Mais le Monsieur les détrompa et ce fut pour moi la fin de mes rêves. Après avoir salué, l’une des femmes avait dit : « Monsieur, nous sommes venues voir la maison de Joko
— L’ancienne maison, corrigea le monsieur, Eh oui, figurez-vous, mesdames que depuis quelque temps, Joko ne vit plus ici hélas ! »
En entendant ça, je tombai des nues.
« Monsieur Dubosc n’est plus ici ? demandai-je
— Non, Monsieur, je croyais que vous le saviez, Monsieur Dubosc est parti sans crier gare, et j’hérite de ce lieu avec la légende de Joko. »
Sur ces paroles, comme un guide de musée, le monsieur entraîna les deux visiteuses en direction de la niche du chien. Je restai sur le pas de la porte perdu dans mes rêves. Quelques instants après, la voix du monsieur résonna du fond de la cour. Elle lisait le même livre invisible que je venais d’entendre. Mon espoir de trouver Montcho s’évanouit pour de bon. Je sortis de la maison désorienté. Depuis que je cherchais Montcho, c’était la première fois que je ne savais pas où donner de la tête.
A suivre...
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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