Vite fait, vite dit
Professeur Hodonou, vous êtes historien des idées, nous sommes heureux d'avoir vos éclaircissements sur la notion de laïcité.
Professeur Hodonou : Merci à vous de me permettre de partager avec vos lecteurs et internautes mes vues sur cette notion clé de l'histoire de la démocratie. A vrai dire, l'idée de laïcité est ancienne. En effet, le mot "laïc" est issu du latin "laicus", de même sens, lui-même issu du grec "laikos", qui signifie "qui appartient au peuple" par opposition aux organisations religieuses. Le concept de laïcité, en tant que séparation du pouvoir religieux et du pouvoir séculier est ancien, on pouvait déjà le voir dans l'antiquité gréco-romaine.
De même, au Ve siècle, le pape Gélase Ier avait énoncé la doctrine des deux glaives visant à séparer le pouvoir temporel et l'autorité spirituelle.
Alors, concrètement que peut-on dire de son acception moderne ?
Professeur Hodonou : Eh bien, le concept moderne de laïcité, lui, émerge lorsque les États décident de tolérer d'autres religions que leur(s) religion(s) d'État. Les termes apparus au XIXe siècle (laïque, laïcité) désignent un principe de séparation du pouvoir politico-administratif et du pouvoir religieux. Ils signifient « Qui est indépendant vis-à-vis du clergé et de l'Église, et plus généralement de toute confession religieuse. »
Toutes les laïcités se ressemblent-elles, ont-elle la même pratique ?
Professeur Hodonou : Bien sûr que non, toutes les laïcités ne se ressemblent pas. Comme toutes les idées, leurs pratiques sont historiquement situées et culturellement déterminées. Bien que le principe de la laïcité vise le même but dans toutes les sociétés, leur conquête, fruit de luttes spécifiques menées dans des contextes nationaux spécifiques, sont l'objet d'applications souvent différentes. Deux grandes conceptions de la laïcité méritent toutefois qu'on s'y arrête : La conception française et la conception américaine.
La conception française est peut-être la plus avancée
Profeseur Hodonou : Oui, vous avez raison, la conception française est, dans son principe, la plus radicale des conceptions de la laïcité. La justification de ce principe est que, pour que l'État respecte toutes les croyances de manière égale, il ne doit en reconnaître aucune. Selon ce principe, la croyance religieuse relève de l'intimité de l'individu.
Un principe phare de l'histoire des idées politiques.
Tout à fait. On connaît la formule célèbre de Charles Péguy qui préconisait la séparation de la métaphysique et de l'Etat. Mais outre Charles Péguy, ce principe de séparation a été énoncé essentiellement en deux temps : d’une part sous la Révolution française, notamment dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et reprise dans le préambule de la Constitution de 1958, dont l'article Ier rappelle que : La France est une République laïque. Et d'autre part, par la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l'État, qui introduit les principes de non-ingérence et de séparation avec les institutions religieuses ; une séparation réciproque.
Finalement l'idée est intimement liée à la Révolution.
Professeur Hodonou : Oui, en tant qu'elle découle des Lumières. De ce point de vue, il n'y a pas que la Révolution française qui l'a générée : la Révolution Américaine n'est pas en reste.
Alors qu'en est-il de la conception américaine ?
Professeur Hodonou : Les États-Unis sont une République fortement imprégnée par les valeurs chrétiennes. Cependant les Père fondateurs étaient farouchement pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Officiellement, la religion est séparée de l'État par le premier amendement de la constitution de 1787. Fait notable pour l'époque, ni la constitution ni la Déclaration des Droits, les deux textes fondateurs de la République américaine, ne font référence à Dieu ou à la Providence. Ainsi, depuis la fin du XVIIIe siècle, il n'y a pas de religion officielle dans ce pays.
Pourtant, les références à Dieu sont légion dans le pays de George Bush.
Professeur Hodonou : Oui, vous avez raison. les références à Dieu sont omniprésentes dans le pays de George Bush. Mais c'est un autre George, de plus grande envergure politique et humaine – George Washington – qui fut le premier Président à introduire le serment sur la Bible. On note également le In God we trust sur les billets qui est devenu une devise officielle des États-Unis le 30 juillet 1956.
Toutes choses qui nous éloignent de la sensibilité française.
Professeur Hodonou : Oui, les Français sont et se veulent cartésiens dans leur application du principe. Ceci tient à l'histoire et aux conditions douloureuses dans lesquelles la loi de séparation y a vu le jour. Si en France la séparation se veut tatillonne dans le discours et les rituels officiels, on lâche plus de lest dans la réalité sociale et juridique. Ainsi, contrairement à la France, dans le système éducatif américain, l'État fédéral ne subventionne aucune école religieuse. Enfin, il ne faut pas oublier que le premier amendement fait partie de la première constitution à garantir la non ingérence de l'État dans les religions et la liberté de culte.
Enfin de compte quelle leçon pouvons-nous en tirer, nous autres Béninois du Renouveau démocratique ?
Professeur Hodonou : Eh bien la leçon est simple : nous devons rester nous-mêmes, tout en étant ouverts à l'expérience des autres, dans l'espace et le temps. Sans lésiner sur un principe fort de la démocratie qui a fait ses preuves, nous devons tenir compte de nos réalités, sociales, historiques et économiques. Toutefois, ces réalités et plus généralement nos spécificités ne doivent pas constituer un prétexte commode à une adaptation fantaisiste de la laïcité. Il n'y a pas de laïcité occidentale et de laïcité tropicale. La laïcité est la laïcité. Avec son corollaire juridique, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, elle réalise dans l'histoire des démocraties un grand pas en avant dans le sens de la rationalité légale. Toute tentative de les utiliser à des fins politiciennes serait à la fois une mystification et un grand pas en arrière.
Professeur Hodonou, je vous remercie...
Professeur Hodonou : C'est Moi !
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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