Min Yin avalé
Liminaire
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Feuilleton littéraire par :
Que le Gankéké résonne !
http://www.museevirtuel.ca/Exhibitions/Instruments/Anglais/measa_j_txt06a_en.html
Go’n kéké kéké ! Go’n kékékéké ké !
Go’n kéké kéké ! Go’n kékékéké ké !
Go’n ké!
Venez écouter l’histoire du premier but de Tundé ! Venez écouter l’histoire de l’éventail buteur, celle du ballon que l’on disait ensorcelé et d’autres histoires des stades.
Mais avant que je puisse prendre la parole, que de l’au-delà, Celia Cruz, l'inégalable chantre de la divinité Tchango invoque les Orishas, sollicite et apaise tous les esprits.
http://www.goear.com/listen.php?v=1a699db
Gens de tous horizons, à présent que les voix du gong ont retenti trois fois pour solliciter votre écoute, après que la voix de l'immense cantor se soit tue ici-bas, portée vers d’autres
mondes, en ce moment où je me tiens debout sur cette place, avec autour de moi votre assemblée attentive aux dits que je m’en vais vous confier, qu’il me soit permis d’invoquer en premier lieu les Azizas, tous les Azizas, eux les génies de la brousse, inspirateurs des arts, de la parole, de la musique, toutes les Azizas dis-je donc, celles du monde des morts comme celles du monde des vivants ; qu’ils m’assistent, qu’elles soutiennent ma voix afin que je puisse trouver le ton juste pour vous transmettre ces dires des stades de football. C’est ensuite vers le souvenir de ma grand-mère Iyawo Hêviosso que ma pensée voudrait se tourner en cet instant, afin que son souffle porté par l’harmattan, sous-tende mon souffle et que sa voix tisse solidement les cordes de la mienne. Comment pourrais-je sacrifier à ce devoir de mémoire dès lors que c’est elle qui m’a appris à l’âge tendre que l’histoire est comme un enfant que l’on porte en soi et qui ne prend corps et vie que lorsque l’on s’en délivre par la parole. En cet instant, résonne à mes oreilles le timbre doux et grave de sa voix chaque fois qu’elle entonnait au cœur des nuits d’enfance le chant de mémoire de son lignage, de notre lignage, cette complainte qu’aucun d’entre nous, prêchait-elle, ne se devait d’ignorer et qui racontait l’événement de ce jour lointain, des centaines d’années en arrière, ce jour où les deux frères jumeaux, jeunes hommes les plus vigoureux de Hessa s’en allèrent pêcher à l’épervier sur le fleuve des crocodiles. De cette randonnée, disait le chant, un seul des jumeaux devait revenir à bout de souffle au terme d’une course folle. Le second disparut à tout jamais et ce n’était pas le grand fleuve qui l’avait ravi à son clan. Mais cela est une autre histoire qui n’est pas qu’une histoire mais bien un véritable nœud de l’histoire. Et si ce noeud m’habite avec une obsession dont je ne pourrais vous signifier la profondeur, il n’est cependant point le sujet du moment ; Et de nouveau la réminiscence de Iyawo Hêviosso me visite. N’était-ce pas encore elle qui nous enseignait qu’un dire est comme une voie que vous empruntez et pendant que vous y cheminez, mille autres voies peuvent la croiser sur lesquelles vous ne pourrez vous empêcher de poser les pieds ; il appartient au pèlerin disait-elle, de savoir maintenir le cours de ses pas sur le sentier qui le conduit à sa destination, fut-il plus insignifiant que les voies qui croisent sa marche. Aussi, Gens de tous horizons, permettez que je me détourne pour le moment de l’histoire de la disparition du jumeau, ce noeud de la grande histoire en contenant les interrogations dont il charge mon front pour en revenir aux dits plus ou moins badins des stades que je me propose de mettre entre vos mains. C’est alors le souvenir d’un de mes condisciples de l’école primaire qui remonte en ma mémoire. Qu’a-t-il à faire avec ces histoires des stades vous interrogez-vous, gens de tous horizons ? Je vous réponds qu’il est la deuxième voix de ces histoires. Une histoire disait ma grand-mère, doit être déclinée sur au moins deux tons, le ton haut et le ton bas, la voix grave et la voie aigue, le son mâle et le son femelle ; c’est comme le Ganvinon aux gongs géminés, c’est à l’image du couple des tambours Sato, c’est semblable aux voix des djembés de mon ami Boundia Diemé. Cette seconde voix est celle de Thomas Cofi Zan-Nata. Qui est-il donc ce Thomas Cofi Zan-Nata vous demandez-vous ? Je vous réponds qu’ à l’époque, c’était ce garçon étonnant à plus d’un titre, que les écoliers espiègles que nous étions, avions tôt fait de surnommer Thomas Bolou peu de temps après son arrivée à l’école Saint-Joseph et que nous nous empressâmes de rebaptiser promptement Thomas Ballon lorsque les pères jésuites mirent en circulation le signal, cette redoutable pièce de bois pendue au bout d’un fil marron qui se mit à semer appréhension, suspicion, et mutisme au sein des bandes d’ordinaire jacassantes qui s’égaillaient à l’ombre des acacias sur les deux cours pendant les heures de récréation.
Qu’a-t-il à voir avec ces histoires insistez-vous ? Sachez pour l’instant qu’il fut l’un des rares, peut-être le seul connu de moi qui porta à l’époque sur ces faits une opinion sinon singulière, du moins résolument différente de celle partagée par bon nombre de nos concitoyens des plus jeunes aux plus âgés. De Thomas Cofi Zan-Nata, dit Thomas Ballon, je ne dirai pas davantage pour l’instant sauf à ajouter qu’il resta à l’école catholique à peine trois mois, trois mois pendant lesquels il nous déconcerta à maints égards, trois mois au bout desquels, il quitta la classe et l’école Saint-Joseph de façon fort cavalière, un après-midi lors d’une privation de récréation pour ne plus jamais y revenir, installant dès lors sa classe buissonnière sur les gradins du stade Charles de Gaulle, au su et au vu de toute notre ville. Il ne réussit pas moins brillamment en candidature libre à son certificat d’études deux ans plus tard, se classa la même année premier ex-aequo national au concours de bourse, à égalité de points avec le jeune prodige Samuel Coovi, futur juge à la Cour, refusa d'intégrer la 6ème au prestigieux lycée Béhanzin avec une bourse et demie et choisit de s’installer sur les flancs des collines de Dassa, à proximité de la fertile vallée du fleuve Ouémé, pour s’initier à la culture du maïs, du manioc et de l’igname aux côtés de son oncle maternel.
Mais moi qui me tiens devant vous sur cette place, qui suis-je donc, vous interrogez-vous, pour oser vous convier à prêter oreilles à mes propos ? Permettez, gens de tous horizons, que je vous réponde que l’adulte aux tempes argentées qui vous interpelle en ce moment n’est que le médiateur de cet enfant de la ville qui quelques décennies en arrière fut témoin et acteur à bien des égards de ces événements. Si je dois donc soulever un coin du voile sur ma personne, c’est à cet enfant qu’il convient que je cède maintenant la place afin qu’il vous ouvre lui-même les portes de son royaume.
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Thomas C. Nouatin
GERBES ET BALLONS D’ENFANCE
(Parution Automne 2007, Pan@fricart editions)
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Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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