Mon Idéo va, court, vole et tombe sur...:
La Rhétorique Ambiguë de la Presse
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L’appropriation de l’Etat par ceux qui le dirigent, la personnalisation à outrance de son fonctionnement est tellement intériorisée par tous que ce sont les médias qui en principe sont censés en dénoncer les dérives qui, bille en tête et pince sans rire, les prennent à leur compte. Tenez :
« Hier à la cérémonie d’investiture du nouveau président nigérian Umaru Yar’Adua, Obasanjo offre 2000 tonnes d’engrais et un milliard FCfa à Boni Yayi »
Voici en effet le titre d’un article qu’on pouvait lire dans le Journal Fraternité d’aujourd’hui…
Oh, sacré journaux ! Evidemment ce sont les mêmes qui, le cas échéant, mettront allègrement en une ce type d’annonce :
« Yayi Boni s’est enfui au Pérou avec 2000 tonnes d’engrais et un Milliard de francs offerts par Obasanjo ». Quand on est dans le registre de la personnalisation, on peut aller jusqu’au bout. Ce développement sinistre n’est pas pour déplaire aux journaux : au contraire c’est du pain béni pour eux… puisque, à coup d’images et de petites phrases ambiguës, ils en auront savonné la planche à l’avance…
Qui nous sauvera de nos vices…? Quand les journaux sérieux se permettent d’annoncer de telles manchettes, qu’est-ce qui empêche les hommes politiques de les prendre au mot ? Qu’est-ce qui les empêche de se faire propriétaires directs de ce qui revient à la collectivité ? Qu’est-ce qui les empêche de prendre cette vicieuse métaphore au mot en empochant les sommes qu’ils ont reçues de leurs mains, ou en s’appropriant indûment telle initiative dont les racines plongent dans le fonctionnement normal de nos institutions, de l’action de la collectivité ? Est-elle révolue cette époque bénie où sur certains véhicules ou infrastructures on pouvait lire " Don du Peuple Américain" ? Pourquoi cette mise hors jeu vicieuse du collectif ? Est-ce par simple raccourci iconique fleuri ? Qu'on ne s'y méprenne pas : la personnification de l'Etat est chose saine mais la personnalisation à outrance du même Etat est un vice gros de mille perversités aux conséquences ruineuses. En l’occurrence l’intérêt que Monsieur Obasanjo nourrit pour le Bénin n’est pas en cause. Si ces dons ont été effectifs, ils doivent beaucoup à l’implication personnelle de ce dirigeant nigérian dans la vie sociopolitique de notre pays. Et on ne peut que lui en savoir gré, dans la mesure où, en frère, il ne fait que traduire les liens de fraternité qui unissent nos deux pays, nos deux peuples, liens hérités de la géographie de l’histoire et du sang et qui sont indéfectibles. Et, en l’occurrence, avec son effacement politique, le Bénin perd un des ses plus fervents avocats et bienfaiteurs au plus haut sommet de l’Etat nigérian. Pour autant, sous couleur d’image journalistique, donner de façon racoleuse dans la rhétorique de la personnalisation des actes politiques, est malsain, puisque cette rhétorique renvoie à des pratiques et à des manières de concevoir le rapport à l’Etat qui sont à bannir de notre imaginaire et de notre langage au quotidien. En attendant de les bannir de nos habitudes... Cela fait partie de la mission pédagogique de la presse.
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Eloi Goutchili
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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