Boom des reprises, Misère de la créativité
La vogue des reprises domine le domaine de la chanson et de la production musicale depuis quelque temps au Bénin. Cette vogue a émergé il y a une vingtaine d’années par le succès ambigu de certains artistes qui, épaulés par des structures sophistiquées, ont exploité avec une certaine facilité le répertoire des chansons ou les airs consacrés pour se lancer. De nos jours, cette rationalité exogène a fait boule de neige ; elle est devenue le nec plus ultra, la référence obligée des producteurs et des artistes béninois. Que ce soit dans le domaine des variétés modernes comme celui des chansons relevant du répertoire traditionnel, la reprise est partout. La bonne volonté douteuse avec laquelle certains artistes de premier plan, souvent aidés par une logistique redoutable, se sont emparés des titres à succès du patrimoine de la chanson nationale, a servi de détonateur à cette nouvelle vague.
Loin d’être un simple phénomène de mode, toutefois, la tendance prend racine, se fait culture et envahit l’espace socioculturel tout entier, aidée en cela par la culture du mimétisme aveugle du Béninois. Un mimétisme ambigu dont on ne sait si la frénésie de duplication, de répétition, de réplique, de reproduction à l’identique à laquelle elle donne lieu vise à rendre hommage à un succès même lorsque celui-ci met mal à l’aise, ou si au contraire, au moins de façon inconsciente, elle ne participe pas d’une volonté délibérée de lui couper l’herbe sous le pied, de le noyer sous un déluge de médiocrités.
Ainsi, sur dix titres au box office de la chanson béninoise actuelle pas moins de cinq émargent au chapitre des reprises, anthologies ou autres formes parodiques des succès consacrés. Ce cannibalisme culturel tous azimuts, sous ses dehors bon enfant, cache bien un problème : celui tragique de la stérilité culturelle de toute une génération qui, acculée par les besoins pressants du temps en terme de qualité de production, est obligée de se tourner vers le passé pour y puiser le meilleur.
Bien sûr, l'adoration des idoles de la chanson du passé n'est pas en soi une mauvaise chose ; elle embrasse un aspect religieux, surtout dans un pays où le culte des ancêtres est une valeur centrale. Mais même basée sur les ancêtres, une religion a besoin du sang neuf, faute de quoi, elle s'étiole, s'éteint et perd son lien intime entre le passé et le présent, la vie et la mort ; elle finit à terme par confondre le passé avec l'éternité, dans la mesure où tout passé se dépasse par un présent assumé. Par ailleurs, le recours aux grands artistes et à leurs chansons célèbres concourt à raviver la mémoire du passé dans un pays où, avec astuce, on organise la mise hors jeu de la mémoire collective, et la conspiration du silence autour de la diversité potentielle des valeurs intellectuelles et politiques.
Ces aspects positifs du recours aux chansons à succès du passé sont exacts. Mais hélas, il est fort à craindre que la vague des reprises qui sévit actuellement au Bénin ne soit moins inspirée par le religieux ou l'anthologie que par la paresse et la médiocrité. Cette vague est révélatrice du fait que ceux qui se mettent au devant de la scène dans notre pays sont souvent incapables d'être réellement à la hauteur des exigences des positions autoritairement ou subrepticement occupées.
Le fonctionnement incestueux d’une mentalité sociale cernée entre le démon du népotisme et le mépris de l’adéquation entre compétence et posture éthique et politique des acteurs est à l’origine de la cruelle difficulté de renouvellement qui frappe tous les domaines de notre vie sociale. Dans le domaine culturel, ce mépris rend raison du boom des reprises, façon paresseuse et pseudo esthétique de se tourner vers les chansons du passé.
Restauration négative, restauration faute de mieux, créativité en trompe-l'oeil : Misère de la créativité !
Binason Avèkes
Copyright Blaise APLOGAN, 2007
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