1. L'ivresse du religieux
Une ivresse du religieux s’empare de plus en plus de la société béninoise. Le phénomène religieux n’est pas nouveau ; il connaît depuis des décennies une expansion soutenue qui se traduit par la multiplication dans tous les coins et recoins du pays, villages et hameaux reculés de toutes sortes de sectes avides de posséder les âmes informes, pétries de croyances et proies faciles des marchands d’illusions. Ces sectes grouillantes naguère opéraient toutefois dans une relative discrétion et faisaient montre d’une certaine pudeur dans leur rapport aussi bien à l’Etat qu’à tout ce qui touche à la politique. Maintenant, l’ivresse du religieux se fait offensive et adopte une posture décomplexée. Avec les nouveaux moyens de diffusion, les marchands d’illusions religieuses ont le vent en poupe ; leur fureur évangélique, remontée comme une houle marine en furie, n’hésite pas, telle une marée noire, à se déverser sur les plages innocentes des consciences socialement déboussolées. Une nouvelle junte de rhéteurs assoiffés de manipulations et formés aux méthodes de harponnage publicitaire en odeur de sainteté dans les sphères religieuses anglo-saxonnes, utilisant les peurs, les croyances, les superstitions, les réalités du quotidien, essaient d’attirer vers leurs subtiles chapelles les âmes égarées, prêtes à se laisser embobiner par leurs discours frelatés. La télévision est devenu leur média providentiel : facile, direct, visuel, leur reality-show évangélique scandé en un jeu de contrepoint idiomatique, où langue occidentale et autochtone se relaient en boucle, a de quoi ébaudir les âmes simples.
Mais le phénomène religieux, les vapeurs religieuses semblent diffuses et si répandues dans l’espace mental de la société béninoise ; elles semblent tellement imprégner les mentalités, faire partie du souffle intime et quotidien d’un grand nombre de gens que les qualifier d’âmes simples ne suffira pas à donner une juste mesure du phénomène.
De plus en plus, les aboyeurs de prophéties évangéliques, les rhétoriqueurs patentés et passablement suborneurs s’enhardissent, se sentent en terrain conquis dans la mesure où ils semblent avoir reçu leur sauf-conduit des autorités politiques de haut niveau. Comment saurait-il en être autrement lorsque ceux-ci, par machiavélisme ou par engagement personnel, n’hésitent pas à instaurer un climat trouble de mélange des genres entre le religieux et le politique ? Toutes dérives qui constituent des entraves sérieuses non seulement au principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais surtout à la consolidation de la rationalité légale dans notre démocratie.
Ce mélange des genres instauré au plus haut niveau de l’Etat est parfois, de manière parodique, récupéré par certains de ces aboyeurs évangéliques. Ceux-ci, dans leurs reality-show, affublés des oripeaux nationaux, n’hésitent plus à adopter des postures d’Etat. Comme s’ils étaient liés aux hauts personnages de l'Etat par une fraternité institutionnelle, les voila qui s’en donnent à cœur joie de les apostropher à l’occasion de grotesques cérémonies de vœux sans commune mesure avec leur mission et leur place réelle dans la société. La naïveté avec laquelle ces nouveaux manipulateurs se prennent au jeu du mélange des genres en dit long sur le flou entre l’Eglise et l’Etat dans notre pays.
Chez nous, dans les affaires publiques, Dieu a bon dos, et ceux qui l’invoquent ne sont pas toujours au-dessus de tout soupçon. Que le Béninois soit par culture avide de croyance est une chose. Mais que les hommes politiques et tenants de l’Etat dans leur fonction et leur posture d’Etat naturalisent cette hypothèse en est une autre. La politisation de Dieu ne va pas dans le sens d’une rationalité légale. Comme le montrent ces parodies médiatiques qui au nom de Dieu abaissent l’Etat à travers ses institutions et ses rituels, la politisation de Dieu est aussi source d’une confusion de légitimité, entrave sérieuse au progrès démocratique et social.
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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