Si je sais compter.
Soixante-trois partis et associations de la mouvance cauris ont réussi à fusionner en un seul mouvement derrière Yayi Boni ! Chiche, voilà un succès pour les adeptes du changement ; une bonne nouvelle dans un pays ou l’atomisation est reine, et où le chacun pour soi, sur fond de copier/décoller est valeur. Lors d’une réunion à New Delhi récemment, une Américaine noire qui a des origines haïtiennes, sûre de son fait, et me prenant à parti devant un parterre de Chinois et d’Africains, ne me lança-t-elle pas : «Vous les Béninois, vous vous haïssez, le mépris de soi est votre sport national, et la méfiance du collectif une valeur sûre» ? Je dois dire, que je n’ai pas trouvé grand-chose à répondre pour nous défendre ; et ce n’était pas seulement parce qu’il me fallait répliquer en anglais : la remarque n’était pas dénuée de vérité. C’est dire que toute occasion d’union pour le Bénin est une bonne chose, surtout si c’est derrière son Président, fou du changement et visionnaire de « l’émergence ». Mais au-delà de la messe politique, la kermesse médiatique orchestrée autour laisse perplexe. Que doit-on retenir de ça ? Le message rebattu sur tous les tons, medias et unes de dizaines de feuilles de choux complaisantes est : « Nous sommes les disciples du Messie, seul détenteur de la Voie, unique vrai bâtisseur du Bénin, et seule Source de Cauris. » Or le cauris, c’est-à-dire l’argent est chose qui a déjà perverti l’âme du Béninois. L’argent facile surtout. Celui dont on n’a que les yeux pour voir les réalisations pharaoniques, lorsqu’il est pris dans la superstructure maffieuse de la corruption des politiciens affairistes d’Etat ; ou celui auquel on a goûté soi-même à travers l’infrastructure de la corruption généralisée qui a ruiné et ruine toujours le tissu socio-économique du pays. Mais on ne sait pas pourquoi ces fusionnés de la dernière heure seraient les seuls à être dans la Voie du changement, et pourquoi les autres en seraient exclus. Le peuple béninois veut le changement ; donc ce changement doit lui être apporté par tous ses représentants sans exception. Il appartient au peuple de les désigner à cet effet. Il y va de la santé même de notre démocratie. A la vérité, toute rodomontade électoraliste lénifiante mise à part, si je sais compter, Yayi Boni ne peut dans l’absolu compter que sur 189 électeurs ! Certes le Président a incontestablement une masse de partis derrière lui ; mais vu que le nombre de sympathisants des partis est inversement proportionnel au nombre de ceux-ci, et qu’en règle stricte, il ne faut pas plus de trois personnes pour fonder un parti, on comprend comment ici 63x3= 189 !
Si bien que tout le reste est avant tout une belle rodomontade hypnotique, chronique douteuse d’un effet annoncé qu’il sied de dénoncer. En effet quel est le but d’un tel tintouin ? Faire croire que les jeux sont faits. Vendre en cauris d’or la peau de la panthère sans l’avoir mise à terre ! Sur la base de ces 189 électeurs absolus, les néo-trafiquants d’influence politique qui ont fait du changement leur fonds de commerce s’en vont ânonnant sur les médias et dans tous les espaces assujettis à leurs œuvres leur victoire future, certaine et évidente. Mieux, ils prédisent à cor et à cris avec une précision insolente les scores de rêve des lendemains qui chantent. Sans vergogne, ils n’hésitent pas à avancer des chiffres, et on nous parle de 60 %, de 70 % voire ! La chose trahit certes le totalitarisme manichéen des adeptes du changement. Mais il y a aussi l’aveuglement extatique d’un événement inespéré que l’on veut rééditer : le raz-de-marée de mars 2006. Comme si les deux événements, celui d’hier et celui à venir avaient la même nature et les mêmes enjeux. Ce qu’on oublie c’est que ce qui a réussi à Yayi Boni naguère, ce n’était pas l’assurance d’un combat gagné d’avance, mais la bonne surprise de celui qu’on n’attendait pas. Ce sont les héritiers autoproclamés de cette surprise d’hier qui aujourd’hui par toutes sortes de stratagèmes, d’incantations et de gesticulations veulent exorciser l’effet de surprise et s’en donnent à cœur joie d’annoncer les choses à l’avance. Tout ceci est d’une insolence pour le moins navrante. Subtile, cette insolence est d’abord une manière de rhétorique. Mais le peuple béninois n’est pas dupe. Le changement qu’il appelle de ses vœux est tout sauf de la nature d’une incantation. C’est un changement vrai qui n’est pas à projeter dans un avenir incertain ; un changement sans experts naturels en changements mais où chacun peut sans exclusive ni préjugés apporter sa pierre ; un changement ouvert où seul compte le changement. Un changement ici et maintenant. De ce point de vue, on ne voit pas en quoi certains auraient le monopole d’une telle exigence. Nul n’a le monopole du changement ; pas moins les « cauristes » que les autres. Ce serait une insulte au citoyen que de vouloir lui faire croire à un tel manichéisme délirant, surtout lorsqu’on connaît les vraies motivations des uns et des autres. Ce serait manquer de respect à l’électeur que de lui faire accroire d’autorité que les jeux sont faits, et même oser fixer à l’avance et en toute insolence tel ou tel score. Même si le Béninois est fanatique de la médiocrité à guichet fermé, dans l’intérêt de notre démocratie, le jeu doit rester ouvert. Car l’enjeu dépasse les intérêts égoïstes des cauristes – ces solistes qui s'ignorent.
Du reste, il n’est pas exclu que la montagne de cauris qui fait saliver du monde actuellement ne finira pas par accoucher d’une souris électorale. Face à un tel krach de la bourse des valeurs politiques, les zélateurs du changement devront se résoudre à dévaluer leur monnaie fétiche, le cauris. A titre de consolation, ils conserveront au moins un autre monopole : celui de la surprise... malheureuse pour le coup…
Binason Avèkes
© Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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