On peut écouter la dernière compilation de Gbessi Zolawadji, mais mieux vaut voir en même temps les images car le Seigneur du rythme Agbadja rénové a le don de nous en mettre plein la vue. En ces temps de technologie débridée, il va sans dire que les supports des oeuvres musicales forment un tout : CD, clip vidéo, et DVD vont ensemble, l'un renvoyant à l'autre. Dans bien des cas hélas, cette belle unité n'est pas bien servie. L'attelage est souvent boiteux, et les deux ordres de récit -- celui de la musique et celui de l'image -- manquent cruellement d'harmonie.
Heureusement, tel n'est pas le cas de la dernière compilation de Zolawadji, un joyau d'harmonie et d'équilibre entre la musique et son exécution scénique et corporelle. Dans cette compilation, on peut le dire sans excès, la musique renvoie à la danse et la danse s'allie à son expression de façon magistrale. Le rythme syncopé de l'Agbadja rénové se marie à la douceur mélodieuse de la voix du Seigneur Zolawadji. Cette unité est source d’une joie qui se lit sans les corps, dans les gestes et dans les mouvements ; elle suggère sans détour l'empire de la fête, et l'emprise de l'effusion. Comme dans toutes ses chansons, Zolawadji a les mots justes pour décrire, louer, exorciser. De sa voix envoûtante, le Seigneur du rythme Agbadja énonce les maux de l'âme et les mots du coeur; il dénonce les tares de la société. Et malgré la sincérité du propos et sa rigueur, on n'a pas l'impression qu'il se pose en donneur de leçons. Les thèmes sont variés : le bien, le mal, la foi, le culte, l'espérance, la cupidité, la haine, la trahison, la polygamie, etc. bref toutes choses qui nous touchent au plus profond de nous et qui sont déclinées au rythme des circonstances.
Et puis, il y a le rapport à l'audience qui prend ici une signification inédite et forte. Zolawadji sans le dire nous montre ses racines ; elles sont bien ancrées dans les eaux vivifiantes du mono ; ces eaux qui unissent plusieurs nations et qui, à l'instar du rythme Agbadja sont rebelles aux frontières. A l'évidence cette pédagogie n'est ni fortuite ni anodine. Elle est chargée d'un double symbolisme politique et anthropologique. Pour l'aspect politique, le mono n'est pas une ligne de séparation, mais un lien entre les peuples du golfe du Bénin. Ces peuples sont unis par leurs racines et leurs histoires communes baignées par les mêmes eaux et le même océan. Il s'agit-là d'un décloisonnement symbolique d'une grande portée politique. Le symbolisme anthropologique quant à lui, trouve sa justification dans les origines aquatiques de la vie, au sens large ; aux eaux utérines de la matrice primitive où tout un chacun a d'abord navigué avant de mettre pied à terre ; à l'eau en tant que raccourci et source de la vie qu'il faut savoir emprunter, préserver, vivre et laisser vivre...
Discours anthropologique mais discours écologique aussi ; message universel de tolérance délivré en toute simplicité et qui, tout au long invite les hommes, tous les hommes à l'unité. Cette prouesse avec laquelle le Seigneur Zolawadji parvient à faire le lien entre le local et le global, à faire du terroir le miroir du monde est tout simplement géniale !
Enfin, il y a le côté impérial de l'artiste, chef de son ensemble musical, imposant dans ses atours, et ses attributs de médium ; la maestria avec laquelle Zolawadji maintient l'enchaînement vocal et rythmique dans l'unité d'une mélodie dont lui seul a le secret, et qui coule comme l'eau d'une source vivifiante.
Il nous faut beaucoup d'effort pour retrouver la sève de nos racines qui nous hante par son manque. Mille chemins nous en détournent et nous errons souvent dans la nuit de l'aliénation, passons en zombie à côté de nous-mêmes. Or le génie d'un Gbessi Zolawadji est de nous restituer à nous-mêmes sans crier gare. Il suffit de savourer sa dernière compilation pour se rendre à l'évidence : seul lui a le don de mettre le feu au lac !
Assiongbon Nicaise, correspondant, Cotonou
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