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« Miwo-Nonvi » : l’Art pour l’Eau
Héritage naturel, l'eau marque de façon indélébile l'identité des peuples comme elle imprime sa remarquable empreinte sur leurs terroirs. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer les communautés le long du Gange, de l'Orénoque, du Nil, ou de l’Ouémé et de nos jours un Toffinou qui s’abstrait de son milieu aquatique est-il encore un Toffinou digne de ce nom ?
La culture de l'eau renvoie d'abord et avant tout à une approche multiple et globale de la dimension environnementale, sociale, humaine, éthique, religieuse et économique des écosystèmes aquatiques.
Depuis sa parution dans le Cosmos il y a quatre milliards et demi d'années, la dotation en eau de notre terre n'a pratiquement pas changé. Elle en a fait la Planète Bleue comme aiment à dire les astronautes qui la contemplent du haut de l'empyrée. Elle a imprimé sa marque sur notre environnement : massifs montagneux et forestiers, moraines, gouffres, déserts, glaciers, cheminées de fée, vallées et canyons portent la marque séculaire du lent et continuel travail de l’eau qui dicte ainsi nos conditions de vie.
Comprendre la culture de l'eau est essentiel pour bien gérer la ressource dans le respect des racines des bénéficiaires, racines qui plongent profondément dans leurs données géographiques, historiques et religieuses.
Ainsi en Afrique les règles du savoir-vivre font que l'offrande de l'eau de bienvenue est un élément clé de la culture de l'eau des peuples et trouve son origine dans l'organisation même de la communauté voire sa conception de la propriété privée. Joseph Ki-Zerbo explique : « L'eau, par exemple, ne se vendait pas au prix du marché. Il m'est arrivé de nombreuses fois dans la brousse, quand je tombais en panne, qu'une fillette s'approche de moi pour m'offrir de l'eau. Personne ne lui avait demandé cette eau, mais c'est un droit pour ceux qui viennent d'ailleurs au point que le dicton dit : « L'étranger, c'est l'eau... »
De bien graves incompréhensions peuvent naître si on n'intègre pas ce type de données culturelles dans la gestion et l'aménagement des ressources naturelles.
L'archéologie prouve que, vers 3800 avant J.C., ce sont les progrès de l'irrigation qui ont permis la forte progression démographique observée au Proche-Orient.
L'inondation dirigée du Nil, le fleuve-dieu, remonterait au règne du pharaon Ménès vers 3200 avant J.C. Vers 3000 avant J.C., la répartition de la crue du Nil a nécessité la tenue d'un cadastre et la mise au point du nilomètre pour mesurer la hauteur de l'eau à Memphis ; ce qui permettait au pharaon de déterminer le taux d'imposition sur les récoltes car, bien évidemment, plus importante est la crue du fleuve, meilleurs sont les récoltes et les rendements.
La Chine doit, en grande partie, sa civilisation séculaire aux puissants fleuves que sont le Yangtsé et le fleuve Jaune qui descendent du plateau tibétain. Vers 1200 avant J.C., le Zhouli est un manuel chinois d'hydraulique et d'hydrologie.
L'eau et la montagne sont fondamentales pour comprendre la civilisation chinoise, sa culture, ses croyances, sa peinture, sa philosophie, son art de vivre, ses exploits guerriers... L'art pictural chinois, par exemple, peint des « Montagnes Célestes », ce qui ne serait rien d'autre qu'« une quête du sacré entre le shan (la montagne) et le shui (l'eau), une méditation sur la condition humaine entre la nature et le divin, entre le poète et le peintre, entre le Ciel et la Terre.»
Pour les taoïstes, l'eau est un symbole de sagesse, car elle se fraie son chemin en contournant les obstacles, victoire de la faiblesse apparente sur la force. Selon le peintre Lan Ying, de l'époque Ming (1368 - 1644), le principe du Guandao vise à « développer une philosophie de la vie semblable à la loi de l'eau qui s'écoule silencieusement, naturellement, sans jamais revenir en arrière ».
Chez les Fons au Bénin l’eau et ses sources diverses font l’objet d’une vénération rituelle à fonction propitiatoire. Ainsi la mer est-elle vénérée au travers de la trinité ondine Hou, Agbé, Avlékété. Le premier élément étant l’Océan et les deux autres des génies qui président aux mouvements des vagues. Le temple principal du Hou est à Ouidah non loin de celui de Hêviosso, qui en tant que divinité de la Foudre est en rapport étroit avec la pluie. Naguère la légende tenait que « le " Hounon " ou le ministre du dieux houleux, assis sur un taureau blanc s’avançait sans se mouiller jusqu’à l’Olympe de Hou, au fond de la mer naturellement, et y séjournait ainsi sept jours en tête-à-tête avec la divinité. Au bord de la mer, durant ce temps, ce n’était que fête, danse tam-tam. "Hounon" parti sur un taureau blanc réapparaissait avec un tout noir, investi de nouveaux pouvoirs et de nouveaux messages… »
De nos jours, plus modestement, le Hounon se contente de tremper les pieds dans la mer et revient chez lui escorté par les féticheurs qui distribuent sur leur passage des friandises à tous ceux qui veulent les accueillir.
Concurremment au culte de la mer, se pratique aussi surtout au sud du Bénin le culte des fleuves sacrés. Il est des cours d’eau habités par des esprits, sur lesquels il est interdit de faire du bruit et même de tousser ; dans lesquels il ne faut ni cracher ni se laver les mains. L’Ahouangan et le Linhouin, deux cours d’eau du Bénin seraient paraît-il le théâtre de manifestations de ces esprits très jaloux du respect de ces interdictions. Une légende tenace veut que les fleuves et les cours d’eau reçoivent en offrande certains monstres qui ainsi sacrifiés accédaient au rang de divinité lacustre ou fluviale dénommées Tohossou, qui veut dire littéralement « Roi des eaux »
Les Tovodouns, quant à eux, constituent un culte vodoun dédié aux eaux mais avec une insertion familiale ou clanique. Ainsi nombre de familles de la région d’Abomey pratiquent-elles le culte du Tovodoun comme élément de leur identité propre. Les cérémonies en l’honneur des Tovodouns se déroulent à échéances plus ou moins régulières avec une importance à la mesure de celles-ci. Chaque famille ayant la responsabilité d’un sanctuaire Tovodoun se doit de les honorer après quelque temps et de les montrer au public. La cérémonie commence par un pèlerinage qui conduit les initiés à aller chercher les vodouns au marigot sacré.
Cette remontée vers le marigot sacré se fait en une longue procession indienne qui avance sur plusieurs kilomètres. Pendant les jours qui suivront, les vodouns danseront tous les soirs face au sanctuaire familial devant les villageois.
Mythes, croyances et symboles liés à l'eau prouvent que celle-ci est le vecteur d'une culture enracinée dans les perceptions et l'imaginaire des hommes sous toutes les latitudes même si une symbolique unique de l'eau est difficile à prouver.
Cette culture de l'eau est aussi vecteur d'une éthique de la fraternité comme nous le prouve le thème du deuxième atelier « Miwo nonvi » : «L'homme, l'eau et la vie», initié par la structure «Artisttik» Bénin, en collaboration avec l'ONG Gtz et le Partenariat national de l'eau. Ainsi pendant deux semaines, l'eau sera au cœur de la créativité et inspirera des artistes Togolais, Ghanéen et Béninois qui s'intéresseront à son multiple usage dans la société africaine, son implication dans le spirituel, le cultuel, et la religion en Afrique, notamment lors des rites d'initiation. Une telle initiative est bienvenue dans un contexte mondial porté à la de prise de conscience des dangers de pénurie en eau qui menace notre planète et qui pourrait être une des sources majeures des conflits à venir. Le représentant du Président de la structure Artisttik Bénin Soubérou Osseni, ne s’y est pas trompé pour qui le but est de sensibiliser la population à la gestion intégrée des ressources en eau. Cette sensibilisation par le biais des artistes et les acteurs du monde culturel est sans doute la meilleure façon de faire passer le message pour qu’il trempe bien les esprits afin que ceux-ci se l’approprient comme un poisson dans l’eau….
Signalons pour terminer que « Miwo-Nonvi » est un atelier d'échange et de perfectionnement pour les artistes.
Par Binason Avèkes
© Copyright Blaise APLOGAN, 2006
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