ou le Procès des Honorables
Conte politique
III : Le Siège de l’Assemblée
Nous en étions là lorsque le 30 juin 2008, un peu avant midi, la nouvelle tomba : les députés étaient passés à l'acte ; une nouvelle loi prorogeant leur mandat d'une année venait d'être votée. Une deuxième année de plus ? Ah, incroyable, quel cauchemar ! La foudre tombant au pied du Peuple n'eût pas produit plus d'effet. Et pourtant c'était vrai... Tout le pays était en émoi. Porto-Novo la capitale politique entra en effervescence. Des communes d'Ahouantikomè, Akron, Houéyogbé, Vèkpa, Atakè, Avassa, Déguè-Gare, Djassin, Ouenlinda, Avakpa, Kandévié, Foun-Foun, mais aussi de Houèzoumè, Iléfiè, Oganla, et de Zèbou, bref de partout, les gens sortaient et clamaient leur indignation pour ce qui se tramait. Jeunes et moins jeunes, femmes et enfants vitupéraient la folie des députés. Des rassemblements spontanés se formaient. Peu à peu, comme des centaines de bras de rivière, tous ces groupes fusionnaient et se dirigeaient, fleuve en crue, vers la Place du Palais des Gouverneurs. Là-bas, la foule grossissait. En l’espace de quelques heures, la Place de l’Assemblée était devenue une mer humaine. Au-delà de la Place du Palais des Gouverneurs, tous les quartiers limitrophes : Adjina, Victor Ballot, Kokoyè, mais aussi Avakpa, Ouenlinda, Djassin, et Katchi étaient noirs de monde. Partout les gens brandissaient des rameaux, des branchages ou des feuilles vertes et criaient leur ras-le bol de la folie des députés.
Assemblée de vicieux !
Non au viol en réunion !
Non aux attouchements textuels !
Notre Loi doit rester Vierge !
Les Porto-Noviens n’étaient pas les seuls à affluer sur la Place des Gouverneurs. De tout le pays, les gens soucieux d’en finir avec les révisions à répétition de la Constitution et le blocage du pays se dirigeaient vers la capitale pour crier leur ras-le-bol à la face des Députés, et les empêcher de mettre la Nation entière devant le fait accompli de leur folie. Les gens étaient sur les routes : Parakou, Tchaorou, Natitingou, Kandi, Bassila, Dassa, Abomey, Savalou, Allada, Lokossa, Covè, Kétou, Sakété, Pobè, Agouè, Adja-ouèrè. Des coins les plus reculés du pays, les gens refluaient vers Porto-Novo pour dire non aux députés. En peu de jours, le Peuple avait fait le siège de l’Assemblée. De mémoire de Porto-Noviens, personne n’avait jamais vu un tel afflux dans la capitale. Une solidarité populaire s’était nouée parmi les manifestants. Le Béninois d’habitude si égoïste et doté d’un sens aiguë de chacun pour soi faisait soudain montre d’un véritable esprit d’échange et de solidarité. A l’égard des gens venus de loin, les Porto-Noviens se montraient accueillants. Des comités civiques de solidarité virent le jour un peu partout et eurent pour tâche de gérer les besoins les plus pressant posés par cet afflux inhabituel du Peuple dans la ville.
Le Gouvernement était pris au dépourvu, et se trouvait dans l’embarras. Sa gène était d’autant plus grande que la mobilisation du Peuple contre le Parlement, baptisée « Printemps vert » par les médias se déroulait à ciel ouvert devant les caméras du monde entier. Au début lorsque le mouvement n’en était qu’à ses débuts et que nul ne pouvait prévoir son ampleur, le Gouvernement y voyait bien une occasion d’en découdre avec l’Assemblée. Mais la mobilisation s’étant amplifiée au-delà de toute prévision, et l’affaire ayant pris une tournure médiatique pour le moins inattendue, le Gouvernement se demandait comment sortir du guêpier sans encombre.
Les jours passaient et la mobilisation ne faiblissait pas. Le Peuple, tel une armée pacifique et déterminée, continuait le Siège. Le Printemps béninois battait son plein. Pendant ce temps, les instances juridiques et politiques se livraient à une passe d’arme féroce, échanges d’argumentaires de haute volée pour ruiner les positions des uns et des autres. Ainsi, après qu’ils eurent voté la loi de révision de la constitution, les députés se trouvant confrontés à la difficulté de faire passer le texte de la loi à la Cour Constitutionnelle pour sa validation, demandèrent à la Cour d’accepter le principe d’une validation différée compte tenu de l’obstruction créée par le Siège de l’Assemblée. Ce à quoi la Cour Constitutionnelle s’était opposée de manière catégorique en usant d’un argument dont la logique ne manquait pas de bon sens. En effet, la Cour Constitutionnelle estima que les Députés, en leur qualité de représentants, ne pouvaient en aucune manière se prévaloir d’une obstruction du Peuple à la validation d’une loi à l’initiative de laquelle, selon la Constitution, le Peuple était censé avoir été, à travers leur personne. Dans ces conditions, les Sages de la Cour renvoyaient la balle au députés leur enjoignant de négocier directement avec le Peuple la levée de l’obstruction dont ils se plaignaient ; car ajoutaient-ils, une telle négociation relevait de la vocation des députés et faisait partie de leur mission !
Tel est pris qui croyait prendre ! Avec finesse et droiture, les Sages de la Cour Constitutionnelle venaient de redresser la barre de ce qui pendant les longs mois qu’avait duré la folie législatrice des Députés ressemblait à une dérive de leur institution. Malgré sa simplicité et son bon sens ordinaire, ce jugement des Sages allait servir de déterminant à l’équation politique posée par la folie des Députés. En effet, le Peuple y trouva un renfort inattendu et y basa tout entier l’inspiration de sa stratégie d’obstruction. L’idée était que si les Députés ne pouvaient pas faire passer le texte à la Cour Constitutionnelle, et à concurrence du délai prévu par la Loi, eh bien, à terme, la révision n’allait pas tarder à faire long feu. Sur cette base, ils sassignèrent pour objectif de tenir le Siège de l’Assemblée et d'y séquestrer ses membres aussi longtemps que constitutionnellement nécessaire.
De leur côté, les députés accueillirent l’avis des Sages avec une surprise teintée d’amertume. Habitués depuis deux ans à voir la Cour Constitutionnelle avaliser les différentes lois et révisions de la Constitution qu’ils avaient initiées, ils en étaient arrivés à considérer cette institution comme une annexe du Palais des Gouverneurs. Se prenant pour un donneur d’ordre et la Cour pour simple caisse de résonance juridique, ces hommes et femmes aux abois, sous la pression du Peuple, isolés de leur famille et tournant en rond comme des lions en cage, se sentirent soudain dos au mur. Avec la rage désespérée de fauves blessés, ils jurèrent de trouver solution à leur problème en comptant sur leur seul génie sans tenir compte du conseil des Sages dont l’ironie discrète ravivait leur rancœur et froissait leur amour propre de détenteurs putatifs du pouvoir politique réel.
Jusque-là, nul ne sut quelles mesures ils tentèrent pour rompre leur isolement et contourner le Siège du parlement. Comme chacun sait, la détermination du Peuple a fini par payer. Les jours et les nuits de manifestations ont dressé un véritable remparts humain autour du Palais des Gouverneurs. Ce n’est un secret pour personne que ce deuxième coup de folie révisionniste des députés a échoué. L’Assemblée n’a pas réussi à faire promulguer la révision dans les délais prévus par la loi. Cet échec fut salué dans la liesse populaire et l’unité nationale retrouvée. Mais dans l’euphorie de la victoire, pas moins au sein du Peuple que parmi les élites et les journalistes d’habitude si curieux, nul ne s’était demandé quelle était la raison véritable de l’échec des Députés. Pourquoi n’étaient-ils pas parvenus à contourner le Siège de l’Assemblée comme ils s’étaient juré de le faire ? Pourquoi leur génie avait-il tourné court ? Que s’était-il vraiment passé durant les deux semaines de leur conclave pathétique ? Pourquoi la montagne de la conjuration avait-elle accouché d’une souris ?
Autant de questions essentielles restées sans réponse et dont le mystérieux silence des Députés ne faisait qu’obérer les chances d’être un jour clarifiées.
Or, bien que les journaux et les observateurs de la chose politique fissent un silence complaisant sur ces questions, préférant, dans le courant de l’euphorie générale s’atteler à des questions plus dignes d’intérêt, moi, je m’interrogeais. Bien loin de la démarche spectaculaire des journaux souvent étayée par des demi-vérités, des affirmations imaginaires et des suppositions douteuses, moi je cherchais la clé du mystère de la langue perdue des députés. J’étais persuadé que nos ex-honorables, dans leur quasi totalité avaient perdu l’usage de la parole. Car une chose était leur silence, une autre le silence sur ce silence, et c’est ce subtil aspect métaphysique qui me mettait la puce à l’oreille. Et je voulais plus que tout élucider le mystère, ou à tout le moins j’espérais qu’il serait levé à tout moment par la preuve du contraire. Comme lorsqu’on démontre le mouvement en marchant. Mais j’habitais Bruxelles et la chose n’était pas facile, il faut l’avouer. Pour répondre à des questions occultes de ce genre, mieux valait être sur place. Certes, j’étais en contact permanent avec le Bénin. Après avoir tourné le dos à la vie politique du pays pendant une décennie en raison du triomphe de l’éthique d’irresponsabilité sans conviction, sur fond de corruption, de gabegie, de gestion sans boussole ni console de la chose publique qui régna sous le régime précédent, avec l’élection triomphale du nouveau Président, l’envie de participer au Changement m’avait redonné le goût de la politique au pays. De ce point de vue, si je peux me permettre de lancer un message, pendant qu’il est encore temps : je recommande à tous les Béninois de l’étranger de se demander en leur âme et conscience, quelle peut être leur contribution, dans l’état actuelle de notre pays, pour aider le nouveau régime à restaurer les bases de son décollage éthique, économique et social. Cette pensée citoyenne m’habitait intimement. Et, ne serait-ce que dans l’intérêt de la vérité historique, je me disais que résoudre l’énigme de la langue perdue des Députés, c’était ma façon à moi de contribuer à aider au décollage de notre beau pays.
J’en étais là de mes réflexions et de mes interrogations, lorsqu’un jour, le hasard faisant bien les choses, je reçus un coup de téléphone tout à fait inattendu d’un labadens que j’avais perdu de vue depuis quelques années. Directeur d’un journal en vue, il m’arrivait d’apprécier ses éditoriaux bien réfléchis. « Tu sais, me dit-il, après nos protestations d’inconstance amicale, à propos du silence des Députés, un des leurs veut te parler…
– Que me vaut cet honneur ?
– Ecoute, dit mon ami, tu as beau être en Europe, tes idées sur la culture et la politique sont connues au pays, et sans vouloir te flatter, beaucoup de gens apprécient leur originalité, ta droiture et ton honnêteté. Je crois que c’est pour cela que son choix s’est porté sur toi
– Eh bien, fis-je, flatté par ces compliments qui me surprenaient, que faut-il que je fasse ? Tu peux lui donner mon numéro de téléphone...
– Téléphone ? Tu parles, ce n’est pas une affaire de téléphone, à vrai dire l’Honorable Moïse Kourikan, le seul à mériter toujours ce titre concédé par le Peuple, tient à te parler en face à face.
– Bien, je vais y réfléchir… »
Dans ma quête intime de vérité, l’occasion me paraissait belle. Il fallait la saisir. Je remerciai mon ami d’avoir bien voulu jouer les intermédiaires dans la manifestation d’une vérité que je considérais jusque-là comme vaguement métaphysique. Or plus tard, lorsqu’il me fut donné de la connaître, je reconnus que métaphysique cette vérité l’était à plus d’un titre.
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