ou le procès des Honorables
Conte politique
II : Histoire d’une folie
1. Tractations.
Le mystère réside dans l’histoire de tout ce qui avait précédé ce curieux silence. On s’en souvient, après son élection, le Président Yayi Boni était resté fidèle à ses engagements. Les hommes et partis politiques qui, en girouettes madrées, avaient couru derrière le vent du Changement, en choisissant le candidat le mieux placé au second tour, n’avaient eu de cesse de se convaincre et de convaincre l’opinion que c’étaient eux les faiseurs de roi. Du reste, l’élection de Yayi Boni avait donné lieu à une prodigieuse surenchère de paternité. Tout ce beau monde, partis et hommes politiques, s’était donc retrouvé dans le bateau du Changement. Qui aux places d’honneur, qui au bastingage ou à la chaudière, qui dans les soutes, qui sur le pont, braillant et hurlant leur appartenance réelle ou incantatoire à la mouvance du nouveau Pouvoir :
« Vive Yayi Boni ! Vive le Changement ! »
Mais pour nombre de ces néo-changistes, le bateau du Changement était plutôt un Cheval de Troie. En politiciens malins, ces commensaux de ceux que le Peuple appelait la Mafia, s'ingéniaient à donner le change plutôt qu'à épouser l'ère du changement. Aussi dès qu’ils virent que le Gouvernement qu’ils se targuaient de soutenir ne fit rien pour sauver de l’embastillement l’un des leurs, représentants de poids mêlé à une de ces affaires de vol qui ruinent l’économie nationale, les députés sentirent le vent du boulet passer très près d’eux. Ils comprirent que pour le nouveau Président élu par le Peuple, le Changement n’était pas un vain mot. Ils se rangèrent en ordre de bataille. Contre l’exécutif et le Peuple, ils déclarèrent une lutte d’arrière-garde. Curieux paradoxe que de voir des députés, ceux qu’on appelle en fon "dèmènu ", entrer en guerre contre ceux dont ils étaient les "dè." Sans état d'âme, ils avaient jeté leur langue au chat. Situation cocasse et absurde qui en annonçait bien d’autres.
Après que toutes les formes de recours furent épuisées, la loi fut promulguée. Maîtres du calendrier, les députés se sentaient désormais maîtres du jeu politique. Mais vis à vis du Peuple, dans leur âme et conscience, ils ne menaient pas large. Pour un oui ou pour un non, nos Honorables prenaient la mouche. La situation absurde dans laquelle ils s’étaient mis les rendaient irritables. Ils étaient en pleine parano. L’exécutif était cerné et subissait leurs caprices. Avant la promulgation de la loi, et tout de suite après, les députés se plaignaient d’être victimes de l’attaque en règle des médias. Presse, journaux, radios et télévisions étaient dans leur collimateur. Vis à vis du Peuple, ils voulaient le mon-yô et l’argent du mon-yô : avoir piétiné le pacte qui les unissaient au Peuple en méprisant sa volonté en même temps que bénéficier d’une bonne image au sein des électeurs. Une véritable quadrature du cercle qu’ils essayaient de réaliser vaille que vaille, en montant sur leurs grands chevaux, intimidant à tout va, menaçant de-ci de-là tous ceux qui se trouvaient sur le chemin de leur image écornée.
Pour justifier la contre-offensive, l’Assemblée se plaignit que son Président était menacé de mort. Des groupes d’activistes fumants, accusés d’agir plus ou moins spontanément pour le compte de la mouvance présidentielle, étaient clairement désignés comme responsables de ces menaces qui pesaient soi-disant sur la sécurité des Députés. Dans leur vie quotidienne, les Députés se plaignaient d’être pris à partie par le Peuple furieux. Comme si le Peuple n’était pas assez mûr pour se mettre en colère tout seul, les Députés trouvaient leurs boucs émissaires dans certains groupuscules politiques spontanés dont les excès blâmables étaient à la mesure de la trahison de nos clercs. Tout pleins d’eux-mêmes, les Députés enjoignirent au Président de la République de faire une déclaration publique pour rappeler le Peuple au respect de l’institution parlementaire, et faire arrêter toutes les dérives contre le parlement. Ils demandèrent au gouvernement de faire diligenter une enquête pour identifier les auteurs de menaces contre eux, de les poursuivre et de les mettre hors d’état de nuire. Enfin, ils exigèrent que leur sécurité fût renforcée.
Sachant que la meilleure façon de se défendre est d’attaquer, les députés s’en prirent de plus belle à la Société civile et aux médias accusés de tous les maux. A les en croire, la Société civile outrepassait son rôle, tandis que les journalistes étaient tout simplement hors-la-loi. Contre les ténors zélés de la Société civile, ils intentèrent des procès en bonne et due forme pour outrage et diffamation ; quant aux journalistes accusés de violer les règles de leur métier, ils écopèrent d'une résolution autorisant le Président de l’Assemblée à saisir la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication aux fins de faire constater par celle-ci la violation du code de déontologie de la presse par certains organes à qui ils reprochaient une dérive grave dans le traitement des informations les concernant. Selon les députés, ces organes auraient de par leurs commentaires touchant la Société Civile sur la révision de la constitution, tenu des propos calomnieux traitant les députés de criminels.
Mais cette avalanche de mesures n’eut pas les effets escomptés. De la nasse où les Députés avaient enfermé leur image compromise, le Chef de l’Etat ne fut pas dupe du subterfuge consistant à écorner la sienne pour retirer la leur. Le Président évita de faire une quelconque déclaration solennelle en faveur des Députés prétendument exposés à la vindicte d'activistes forcenés. Quelle est cette conception sélective du rôle de l’exécutif, relevait-on dans l’entourage du Gouvernement, qui consiste à ignorer les positions du Président de la République lorsque la révision de la constitution est en jeu, puis, l'instant d'après, à requérir son intervention pour éteindre l’incendie allumé par l’aveuglement des Députés ?
2. Apothéose
Hormis leur premier succès juridique, de tout côté, les Honorables n’avaient pas gain de cause dans leurs diverses actions. Et comme ils se savaient désormais maîtres des lois dans un système où tous les acteurs du paysage démocratique s’entendaient à merveille pour respecter la Loi, ils décidèrent, dans ces affaires hautement politiques, de ne s’en remettre qu’à leur seul pouvoir dont l’efficacité était d’autant plus redoutable que sa légalité inattaquable. Eh bien, se dirent-ils, toutes les décisions en notre faveur que les diverses instances de l’Etat ne veulent pas entériner, nous autres honorables, faiseurs des lois, nous les y contraindront légalement !
Aussitôt dit, les députés s’enfermèrent dans la tour d’ivoire du Palais des Gouverneurs, transformé depuis quelque temps en bunker. De là, ils cogitèrent leurs ripostes. Dans une solitude insolente, ils révisèrent à nouveau la Constitution en quelques points cruciaux. L’article 115 fut révisé et le mandat des membres de la Cour constitutionnelle fut ramené à deux ans renouvelable sur dix ans. A n'en pas douter, c'était là une manière de tenir la Cour en laisse, d'autant plus que le nombre de ses membres élus par l’Assemblée fut porté à six contre un seul pour le Président ! Et pour couronner le tout, alors que l’article 115 stipulait que la fonction de membre de la Cour était incompatible avec l’exercice de tout mandat électif, de tout emploi civil ou militaire, ils l’ouvrirent aux élus et militaires. L’article 121 fut aussi légèrement modifié et excluait désormais le Président de la République de la prérogative du recours en constitutionnalité des lois avant leur promulgation. Curieusement, dans un fair-play pour le moins déroutant, ces points furent entérinés par la Cour elle-même qui n’opposa pas son refus. Par son geste, la Cour cautionna la substitution de suprématie en matière de validation des lois en faveur de l’Assemblée. Dans la foulée de cette toute puissance acquise, quelques mois plus tard, une autre vague de révisions eut lieu. Elle permit à l’Assemblée d’amputer l’article 35 qui stipulait que : « les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun. » L’article rénové disposait désormais que « les citoyens chargés d’une fonction publique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun » Le mot « élus » en a été supprimé. Dans ce même esprit, l’article 57 a été amputé de sa substance, réservant l’initiative exclusive des lois à la seule Assemblée Nationale au détriment du Président de la République. Quant à l’article 23, il avait été purement et simplement supprimé de la Constitution.
A chaque fois, fidèle à son refus de s’ingérer dans la politique, la Cour constitutionnelle se contentait de vérifier la constitutionalité de la loi et la jugeait recevable sans discussion, au grand dam du Peuple et du Gouvernement désarmés. La Machine infernale de l’Assemblée s’emballait. Dans le prurit révisionniste qui les tenaillait, les députés n’allaient pas s’arrêter en si bon chemin, ils eurent une pensée spéciale pour tous leurs ennemis, à commencer par la Société Civile, les intellectuels, les journalistes et les médias. Pour chacune de ces instances civiles ou professionnelles, les députés touchèrent à la Constitution, ou pondirent des lois pour contrecarrer leurs agissements. Enfermés dans leur cocon délirant, les députés qui formaient désormais à eux seuls un parti, le PDF, Parti des Députés Fédérés, avaient la haute main sur le pouvoir politique. Du haut de ce pouvoir, ils s’ingéniaient à contrecarrer le Gouvernement, à le marquer à la culotte, lui faire des crocs-en-jambe dans l’espoir que l’échec de ses initiatives contribueraient à ruiner sa lune de miel avec le Peuple. Mais plus le Gouvernement échouait à faire passer ses projets, à les réaliser, plus le Peuple lui en était reconnaissait du mérite de les avoir initiés, attribuant à tort ou à raison la responsabilité de leur échec au seul Parlement. Mais quels que fussent les bénéficiaires politiques et médiatiques de cette guérilla parlementaire pour le moins délirant, le pays était le premier perdant. La misère héritée de l’ancien régime corrompu avançait. La masse des sans-emplois grossissait à vue d’œil, surtout à Cotonou et à Porto-Novo où l’espoir promis par le Changement avait produit un grand appel d’air. Les gens, vivaient de la débrouille. Les salaires étaient au plancher et, dans les administrations, leurs arriérés s’amoncelaient. Les systèmes défaillants et les pratiques pernicieuses hérités de l’ancien régime étaient toujours bien ancrés ; en dépit des promesses du Gouvernement de les éradiquer, ils tenaient bon et contribuaient à freiner le Changement promis.
Face à cette situation vicieuse et préjudiciable à la vie du pays, les députés, enfermés dans leur certitude perfide, espéraient que le vent politique allait se retourner en leur faveur. Dans leur calcul, ils s’en donnaient à cœur joie de penser que le Peuple ne pouvait vivre éternellement d’amour et d’eau fraîche. Et, de fait, même si les voies de l’amour étaient impénétrables, l’eau fraîche commençait à faire défaut. Et le temps passait et le Bénin, promis pour être le pôle d’émergence économique de notre zone, au contraire, sombrait de jour en jour dans la misère la plus noire.
Mais le temps passait aussi pour les Députés ; après qu'ils eurent mangé le pain blanc de leur législature prolongée, les voilà au terme légal de leur mandat. Alors que tous les observateurs politiques et le Peuple en premier se disaient entre deux soupirs : « Enfin, l’ère du vrai Changement va pouvoir commencer », les Députés firent à nouveau parler d’eux. A la surprise générale, la rumeur éclata que les députés se préparaient à nouveau à voter une loi prorogeant d’une nouvelle année leur mandat. La nouvelle était incroyable. Pour faire diversion, les députés commencèrent d’abord par procéder à une revalorisation de leurs émoluments et privilèges. Pour des raisons de sécurité, ils avaient réussi à s’attribuer des voitures blindées à l’épreuve des balles, deux garde-corps pour chacun, et un triplement de leur salaire avec effet rétro-actif depuis la dernière révision de juin 2006 ! Comme lors de la promotion scandaleuse d'un colonel au passé douteux au rang de Général par l'ancien régime, l'exécutif n’osa pas broncher. Le Gouvernement avait peur de heurter les Honorables et de voir à nouveau la machine de l’Assemblée nationale s’emballer. De toute façon, les députés étaient maintenant tout puissants et la Cour constitutionnelle agissait à leurs ordres. Très vite, il apparut que ce que tout le monde considérait comme rumeur, à savoir la folle intention des Députés de se donner à nouveau une année, était bel et bien réelle. L’annonce en fut faite par le Président de l’Assemblée en personne et publiée dans les journaux. Tout le pays tomba des nues. Les gens n’arrivaient pas à croire à ce qui était dit ouvertement, écrit noir sur blanc dans les journaux. Le Peuple était en colère. Le gouvernement très embêté mais que faire ? Depuis deux ans, la seule image dont se prévalait notre pays à l’extérieur était le bon fonctionnement de notre démocratie. Dans ces conditions, l'exécutif préférait tenir la grogne sous le boisseau plutôt que d’attiser le conflit. Le Gouvernement espérait que les députés en resteraient à l'intention si aucune provocation ne venait susciter leur courroux comme ce fut le cas en 2006. Mieux valait, pensait-on, laver le linge sale du délire des Honorables en famille. En toute sagesse, on se disait que mille intentions de cette nature ne valaient pas un acte irréversible de folie et qu'à force d'être ménagés, nos députés égarés finiraient bien par retrouver raison et descendre de l’Ariès de leur conjuration. Mais le Peuple qui souffrait dans sa chair du blocage créé par les députés depuis deux ans n’entendait pas la chose de cette oreille. Le Peuple en avait par-dessus la tête des députés et de leur manège. La logique de coup d’Etat cyclique dans laquelle les Honorables s’étaient enfermés devenait insupportable. Dans tout le pays, le Peuple s’organisait. De Malanville à Ouidah, en passant par Cotonou, Porto-Novo et Parakou, on manifestait, criait sa colère et son refus de subir le chantage à la révision. Des rumeurs de coup d’Etat militaire circulaient. Tantôt on parlait de l’intervention imminente de jeunes militaires démocrates qui voulaient crever l’abcès. D’autres au contraire agitaient l’ombre redoutable de Généraux douteux qui voulaient saisir l’occasion de se refaire une santé politique en réalisant leur sombre destin présidentiel.
Désorienté par ces bruits, le Peuple était partagé entre le sentiment de révolte et la sagesse, entre le désir d’en finir avec la folie des Députés, et la volonté d’être à la hauteur de sa réputation non usurpée de Peuple démocratiquement mûr.
Nous en étions là lorsque le 30 juin 2008, un peu avant midi, la nouvelle tomba : les députés étaient passés à l'acte ; une nouvelle loi prorogeant leur mandat d'une année venait d'être votée. Une deuxième année de plus ? Ah, incroyable, quel cauchemar ! La foudre tombant au pied du Peuple n'eût pas produit plus d'effet. Et pourtant c'était vrai...
à suivre
© Copyright Binason Avèkes, 2006
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