ou le procès des Honorables
Conte politique
I : Mystère
Mai 2008. Le Bénin prenait un nouveau départ après un long moment de crise. Du fait de leur tyrannie, il y avait longtemps que les députés, dans leur immense majorité, avaient perdu tout honneur. Chose curieuse, depuis les événements qui marquèrent ce que les journaux appelaient leur deuxième coup de folie, et dont je vais parler, nos parlementaires avaient renoncé à leur vocation essentielle qui est de parler. Certes, il y avait belle lurette qu’ils ne parlaient plus au nom du Peuple. Mais au lendemain de la plus grande crise politique qui ait jamais secoué notre pays, nos députés semblaient avoir tout à coup perdu l’usage de la parole. En dehors de l’un d’entre eux, Moïse Kourikan, dont le comportement fut jugé exemplaire tout au long de ces jours de crise, tous les autres étaient devenus muets.
Ce mutisme, aussi intrigant soit-il, n’était pas une vue de l’esprit, mais un fait à prendre au sens propre. Ces hommes et femmes qui par culture et par vocation avaient le verbe haut et la langue pendante, multipliaient des interventions dans la presse écrite, faisaient publier des mises en garde menaçantes, écrivaient des articles, ou donnaient des compte rendus de leurs activités par écrit, mais depuis leur deuxième coup de folie – évènement d’une extrême gravité et qui mit à mal la démocratie – ils ne prenaient plus la parole en public. Le silence faisait l’objet de rumeurs folles que les députés s’évertuaient à démentir mais sans jamais apporter la preuve irréfutable : à savoir prendre la parole en public.
On parlait à leur sujet de conspiration du silence, de mépris des média audio-visuel. Plus grave, on insinuait que certains d’entre eux étaient malades, mais n’osaient l’avouer. Les rumeurs les plus audacieuses disaient qu’ils avaient été victimes d’empoisonnement collectif, suite à un rituel de pacte de sang ou de serment au cours duquel, un bokonon malintentionné leur aurait fait boire une liqueur suspecte appelée « boisson coupe-parole » Ce qui aurait été fatal à leur aptitude naturelle à parler comme tout un chacun.
Les journaux multipliaient article sur article pour expliquer le mystère. Ainsi selon la presse, on aurait vu l’un de ces députés conjurés dans une clinique chinoise à Cotonou couché sur un brancard, la bouche ouverte et la langue hérissée d’aiguilles d’acupuncture. Un autre journal avait publié un article concernant une députée célèbre qui serait allée se faire soigner dans une clinique italienne spécialisée en ORL. Bien que dans ces pays-là le secret médical soit bien gardé, il est apparu après recoupement que tout laissait supposer que le mal dont souffrait la députée touchait à la langue.
Quoi qu’il en soit, le silence des députés semblait bien lié à une perte de la faculté d’user la langue pour parler, un peu comme si cet organe avait disparu ou à tout le moins été frappé de paralyse. En témoigne une célèbre photo prise à l’Assemblée où visiblement il apparaissait que deux députés en face à face direct semblaient utiliser le langage gestuel des sourds pour communiquer entre eux. L’autre certitude est que le mal frappe tous les députés à l’exception d’un seul qui se trouve être justement celui qui, depuis le début de leur fronde, et tout au long des crises auxquelles elle donna lieu, resta égal à lui-même dans son parti pris éclairé de ne pas mépriser la volonté du Peuple. Il s’agit de l’honorable Moïse Kourikan. Enfin, il ne fait l’ombre d’aucun doute que le mystère a commencé après la fin du Siège de l’Assemblée, dans la mesure où pendant la crise plus d’un député avait pris la parole en public pour expliquer leur position.
En tout cas, le silence des députés couvait un secret. Et les observateurs avertis de la vie politique se demandaient : Pourquoi nos parlementaires payés pour parler ne parlaient plus soudain ? Eux qui avaient tenu la dragée haute au Peuple et à l’exécutif, eux qui avaient voté maintes résolutions folles pour faire taire les médias, la presse, les journaux et l’opinion publique ; ces hommes, d’habitude si éloquents, haut-parleurs et beaux parleurs soudain se taisaient. Mystère !
à suivre
© Binason Avèkes, 2006.
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