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Du changement
Par Edgard Gnansounou, Imaginer et Construire l’Afrique de demain (ICAD)
Massivement élu il y a bientôt 123 jours, Yayi Boni s’attèle à mettre en œuvre son programme dont le maître mot est le changement. Le début de son mandat a été marqué par une offensive diplomatique. Il fallait rassurer les Chefs d’Etats influents dans notre continent ; leur expliquer que le changement dont il s’agissait n’était nullement dirigé contre eux. Présentés de manière plus positive, ces voyages visaient à rehausser la place du Bénin dans le concert des Nations engagées en faveur du progrès de l’Afrique. De manière plus intéressée, il s’agissait pour le nouveau Président béninois de trouver les solutions pratiques à des problèmes pressants parmi lesquels figuraient les dysfonctionnements de l’approvisionnement en produits pétroliers des populations béninoises.
Ainsi, l’offensive diplomatique de Yayi Boni loin de servir un idéalisme panafricaniste visait d’abord à lui donner davantage de marges de manœuvre dans le défi de politique intérieure qu’il devra relever.
Faire le bilan des 123 premiers jours de Yayi Boni c’est d’abord clarifier le défi qu’ensemble le peuple et le nouvel élu se sont lancés. Le changement certes mais quel changement ?
La promesse du changement
Yayi Boni a hérité d’une situation économique et sociale mitigée. Le Bénin a des atouts certains mais aussi de nombreuses faiblesses. Les bons points · La paix sociale règne dans le pays contrairement à la situation dans d’autres pays frères ; la diversité ethnique, si elle a pu être largement instrumentalisée ces dernières années aux fins de politique partisane n’a pas été, au cours de la dernière décennie, une source de violence.
· L’armée est acquise à une culture républicaine et s’est progressivement éloignée de l’esprit putschiste qui avait imprégné les mentalités de cadres militaires au cours des trois premières décennies après l’indépendance du pays.
· Le choix en faveur d’une démocratie pluraliste fait par la société béninoise lors de la conférence des forces vives de la Nation a été conforté au cours de la dernière décennie, confronté aux jeux de forces politiques, aux groupes de pression économiques et aux velléités de confiscation du pouvoir par les forces conservatrices.
· L’image du Benin à l’extérieur n’est pas mauvaise en particulier, le pays entretient de bonnes relations avec ceux qu’il est convenu d’appeler « les bailleurs de fonds ». Les performances du pays avaient été considérées comme satisfaisantes par eux, en particulier par le Fonds Monétaire International (FMI). Ainsi, en mars 2005, l’agence de rating « Standard & Poor’s » avait confirmé les mentions à long terme « B+ » et à court terme « B » accordées au pays pour sa stabilité institutionnelle et sa gouvernance.
Les mauvais points
Les mêmes « bailleurs de fonds » nuançaient leurs appréciations de la situation béninoise et préconisaient :
1. Le renforcement du cadre judiciaire et du système de passation des marchés publics.
2. La réforme du secteur de la justice et la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent.
3. Le renforcement du secteur privé et la consolidation de l’Etat de droit .
Le Benin fait partie des nations les plus pauvres du monde et est classé 161ième sur 171 pays sur la base de l’indice du développement humain. Ainsi, compte tenu des mauvaises performances du pays dans les domaines de l’éducation (48% de taux d’illettrisme pour les hommes et 76% pour les femmes dans la période 2000 – 2005), du chômage endémique, de la forte proportion de la population vivant de l’économie de subsistance, de la faiblesse des institutions de sécurisation sociale, le rapport 2006 sur l’indice Bertelsmann de transformation affirmait que les préalables n’étaient pas remplis au Benin pour une véritable liberté de choix. Il faut noter que ce rapport a été publié avant l’élection présidentielle.
Après avoir indiqué que le Général Kérékou n’avait jamais marqué d’intérêt à la chose économique à laquelle il ne connaissait rien, le rapport concluait que la Communauté Internationale accueillerait favorablement tout successeur de Kérékou qui aurait cependant besoin de temps pour se faire une place au sein de la classe politique béninoise connue pour sa volatilité. Le premier dossier que le successeur de Kérékou devrait empoigner selon le rapport serait le secteur du coton où il serait urgent de lutter contre la corruption et le commerce illégal qui s’étaient installés au sommet.
Il convient de préciser que le Benin est un pays fortement dépendant des «bailleurs de fonds » dont les dons constituent la ressource principale pour équilibrer un déficit budgétaire tenu pour structurel ! Ceci signifie que, comme c’est la pratique au sein de la zone UEMOA, le déficit budgétaire est calculé après déduction des dons. Ainsi, il serait possible d’afficher un excédent si les Gouvernants parvenaient à obtenir le maximum de dons ! Ainsi, la quête des dons est inscrite dans le cercle vertueux de la Gouvernance qui nous est prescrite !
Compte tenu de la réalité de notre dépendance, il serait légitime de se demander si l’ex banquier Yayi Boni n’était pas le candidat des «bailleurs de fonds » comme avait été avant lui Nicophore Soglo au lendemain de la Conférence nationale ! Dans ce cas l’objectif du changement serait exclusivement l’assainissement de l’économie.
La convergence des attentes
En réalité la candidature de Yayi Boni s’est trouvée portée à la fois par les «bailleurs de fonds » et une large partie de la population. La gestion purement politique des affaires du pays par le Général Kérékou a en effet laissé l’économie dans un état de délabrement poussé, et ceci, malgré les bons points donnés par les institutions financières internationales. Les appréciations positives du FMI et du groupe de la Banque mondiale sanctionnaient davantage la stabilité politique du Bénin et l’élève moyen qu’était le gouvernement béninois au regard des critères libéraux des « bailleurs de fonds ». Mais la gestion quotidienne de l’économie souffrait de dysfonctionnements très graves : naufrage de la filière du coton du fait de la mauvaise gestion aggravée par la chute des cours internationaux ; contrebande aggravée avec le Nigeria ayant conduit le gouvernement nigérian à fermer la frontière ; aggravation de l’insécurité et de la criminalité poussant au développement inquiétant de la « vindicte populaire » ; trafics de toutes sortes et en particulier celui des enfants, etc. ; corruption aggravée entretenue par un système d’impunité dont les responsabilités remontaient au sommet de l’Etat béninois ; la privatisation des entreprises publiques fournissaient l’occasion de malversations financières qui même lorsqu’elles étaient dénoncées par les institutions internationales et la presse nationale restaient impunies. Le cas de la SONACOP est un exemple éloquent.
Ainsi, le changement souhaité par les « bailleurs de fonds » en vue d’un assainissement a rencontré celui des électeurs béninois qui attendent d’abord du nouveau Président qu’il apporte au pays plus de prospérité. De ce point de vue, les attentes du peuple sont faciles à interpréter : en finir avec les conditions de vie précaires ; améliorer sensiblement l’accès à une alimentation saine, à la santé, à l’éducation, à la sécurité des biens et des personnes.
Yayi Boni a su cristalliser autour de sa personne cette convergence des attentes des « bailleurs de fonds »et des électeurs. En choisissant comme emblème le cauris, signe de prospérité, il a réussi une véritable opération de communication sociale dans un pays frappé d’un taux élevé d’illettrisme. Les électeurs ont cru qu’avec Boni Yayi la pauvreté s’en irait (blo ni yayi : fasse que la pauvreté s’en aille)!
Le nouveau Président a répondu à cette convergence des attentes non pas par un discours stratégique et programmatique structuré mais par un slogan, « la révolution économique », ponctué d’actions concrètes visant à résoudre les difficultés quotidiennes de la population. Il en va ainsi des mesures adoptées par son gouvernement et auxquelles il a pris lui-même une part prépondérante en vue de mieux approvisionner le pays en carburants.
L’arrestation du richissime homme d’affaire Fagbohoun sur lequel pèsent de lourds soupçons de malversations financières n’a pu être possible sans l’accord du nouveau Président, même si ceci relève de la justice censée être indépendante de l’Exécutif. Le nouveau pouvoir, en frappant aussi fort un symbole des années Kérékou aurait-il voulu donner un gage de lutte contre l’impunité aussi bien au peuple béninois qu’aux « bailleurs de fonds » ? Il aurait réussi cette opération à peu de frais, M. Fagbohoun pour des raisons obscures étant tombé en disgrâce dans le clan Kérékou à la veille du départ de ce dernier. Le lâchage de Fagbohoun par l’ancien Président fait –il partie d’un accord entre Kérékou et son successeur ? Yayi Boni aura-t-il les mains totalement libres pour mener à terme une véritable opération d’assainissement de l’économie comprenant : la fin de l’impunité, le retour à l’Etat béninois des montants détournés, la relance de l’économie, la revalorisation des services publics et le renforcement de l’Etat de droit ?
Les limites du changement estampillé Yayi
La révolution économique Yayiste est une étape nécessaire mais serait très vulnérable si elle se limitait à ses frontières naturelles à savoir le maintien du Bénin dans le rôle que lui a attribué depuis des lustres la division internationale du travail : le Benin comme la plupart des pays africains sont consacrés par la Communauté Internationale comme des pourvoyeurs de matières premières. Le coton fournit au Bénin plus de 80% des recettes d’exportation et les cours internationaux du coton sont indépendants de notre pays. Ainsi, si la révolution Yayiste parvient à faire du Bénin le premier producteur du coton en Afrique subsaharienne, elle aura réussi à renforcer les capacités économiques du pays mais pas forcément à en réduire la vulnérabilité ! Les recettes de l’Etat Béninois dépendent à 95% des entrées fiscales liées essentiellement aux activités import-export. Or ces activités dépendent beaucoup du commerce de transit vers le Nigeria au travers du Port Autonome de Cotonou. L’assainissement des relations commerciales avec le Nigeria est une stratégie certes utile. Cependant elle ne garantit nullement la réduction de la vulnérabilité de l’économie béninoise. Il suffira que notre grand frère du Nigéria ferme de nouveau cette frontière pour que notre économie suffoque. L’intégration régionale est, pour le Bénin, une impérieuse nécessité.
Du point de vue politique, le système partisan actuel reposant essentiellement sur des partis à implantation fortement régionale a montré ses limites ! Le parlement national dont l’activité législative est importante a aussi montré ses limites avec notamment sa tentative avortée de réviser la constitution en vue de prolonger le mandat des députés. Le mode d’organisation des élections s’est révélé onéreux et disproportionné face aux ressources limitées du pays et aux priorités socio-économiques que sont la lutte contre la pauvreté par la relance de l’économie et la sécurisation sociale. Enfin, la décentralisation a elle aussi montré ses limites. Et pourtant, compte tenu de ses particularités socioculturelles, le Bénin gagnerait à développer à long terme une gouvernance mieux équilibrée entre décentralisation, centralisation voire fédéralisation dans le cadre de la sous-région.
Tout ceci conforte la nécessité pour le Bénin et notre sous-région de construire, avec les intellectuels et les populations, une vision plus globale que celle que permet l’horizon électoral et partisan.
Les 123 premiers jours de Yayi Boni comme Chef d’Etat ont révélé un style pragmatique et efficace, un discours fortement symbolique au contenu cependant peu structuré, une action empreinte d’un esprit volontariste. On peut cependant lui reprocher de sacrifier la continuité de l’action gouvernementale à l’urgence, comme l’atteste le retard dans la formation des cabinets ministériels. Le Président de la République donne le sentiment d’être libre des groupes de pressions politiques internes ? Peut –il l’être suffisamment des « bailleurs de fonds » et développer avec d’autres une pensée politique innovante ?
La révolution Yayiste au travers de ce qu’elle laisse apparaître au cours des 123 premiers jours ne répond pas à une question d’importance : quelle stratégie le Benin devra t-il suivre pour sortir de la mendiocratie ?
Si le succès de la révolution économique est une condition nécessaire pour permettre au pays de s’assumer dans le concert des Nations libres, il ne garantit pas la mise en place des conditions suffisantes pour éviter au Bénin de continuer à dépendre de l’aide internationale. La révolution Yayiste doit être soutenue activement surtout par tous ceux qui aspirent à travailler en vue de son dépassement. Pour ceux-là, l’essor économique durable n’est pas possible sans une politique hardie de diversification. Sans création durable de richesses, le statut de nation indépendante dont croit jouir notre pays restera longtemps encore un leurre qu’entretiennent de temps à autre nos performances démocratiques bien flatteuses.
© Copyright, Edgard Gnansounou, 2006
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