Le Parti des députés
Dans un autisme aussi révoltant que troublant, les députés – nos honorables autoproclamés – viennent de bidouiller à la sauvette la constitution. Les observateurs de la vie politique nationale se posent des questions. Au vu des éléments sur lesquels porte la révision, beaucoup pensent avoir la réponse. Mais hors de toute perception fantasmagorique de la vie politique, la question de fond demeure : quel est l’enjeu ultime de la révision de la constitution par les députés ?
A l’évidence, ce viol collectif inaugure l'ouverture de la boîte de Pandore des bidouillages opportunistes ; il porte en lui les germes d’une tension aux risques antidémocratiques imprévisibles. Lorsque sans aucune nuance une idée aussi spécieuse que la durée de vie politique des députés fait l'unanimité au sein des élus, on peut se demander pour qui elle est vitale : le peuple ? ou ceux qui la votent dans l'urgence contre la volonté de celui-ci ? Pour les députés, il semble qu'il y ait péril en la demeure ; le Palais des Gouverneurs devient une citadelle politique assiégée. Tout se passe comme si, au mépris de la culture démocratique, il n'y aurait plus de partis distincts concourant dans la diversité au bien du peuple, mais un seul parti : la LDS, la Ligue des Député en Sursis ! Cette régression confine au banditisme parlementaire.
Une première hypothèse manichéenne laisse penser que les députés cherchent à cacher des réalités d'ordre concret par des tractations d'ordre formel. Le parlement devient une sorte de camp retranché où, paradoxalement, ceux qui sont censés représenter le bien du Peuple, organisent une lutte d'arrière-garde pour son mal. Du coup, bien que cela ne soit pas forcément une vérité révélée, la volonté de Yayi Boni apparaît comme liée au bien-être du Peuple, là où le succès des réviseurs consacre et rappelle le cycle infernal de sa misère.
Mais on peut considérer une autre hypothèse ; celle qui accrédite la thèse d'une lutte non pas entre le Bien et le Mal mais entre anciens et nouveaux gestionnaires du pouvoir politique. Il s'agit d'une résistance non pas au changement en tant que tel, mais au changement de personnel, à la relève. Réflexe de survie. Ces gens souhaitent avoir le temps de s'organiser pour retrouver leurs esprits, et leurs postes après le séisme politique que constitue l'élection de mars 2006. Quand on voit aussi la manière dont Yayi Boni opère dans un relatif silence avec la légitimité putative du Juste, -- Juste parce qu'élu confortablement, Juste parce que donné comme Sauveur du Peuple... -- il va sans dire que le nouveau Président essaie de consolider ses assises. Qu'il veut ouvrir un boulevard allant de la Marina au Palais des Gouverneurs, passer du pouvoir Présidentiel au pouvoir Législatif sans solution de continuité.
Pour les anciens, cette entreprise est inquiétante. Motif d'inquiétude, l'arrestation dans l'affaire Sonacop du Chef d'un parti bien représenté à l'Assemblée a été vécue comme un électrochoc. Pour les députés tous partis confondus, il s'agit-là d'une pierre jetée dans le jardin de leur statut d'intouchable. Tout à coup, le mot d'ordre d'impunité zéro prôné par le Changement se concrétise en leur sein de manière menaçante. De ce point de vue, l'acte qu'ils viennent de poser est une réaction de défense.
Mais l'inquiétude n’est pas seulement psychologique, elle est aussi de nature politique. Pour la vie politique nationale, le succès de la démarche du Président peut avoir ses revers. En effet, il n’est pas exempt de risques de dérive. Trop de pouvoir concentré en une seule main fait le lit d’une autocratie insidieuse. D’autant plus insidieuse qu’elle se veut bien pensante et s’appuie sur une bonne cause : le Changement, L'éradication de l’Impunité, la promotion de la Bonne Gouvernance, la Prospérité économique, la Délivrance du Peuple de la misère, etc. Thématique et positionnement populistes idéaux. Pour les anciens, ce projet a un goût amer. Il est normal de vouloir persévérer dans son être, a dit Descartes. Quitte à ternir le peu d'honneur qui leur reste, nos honorables ont fait le choix d'honorer ce principe.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’aspect éthique de la chose. La constitution béninoise valorise le pouvoir présidentiel. La présidentialisation du pouvoir induit du même coup sa personnalisation. Or le Béninois, on le sait, n’est pas seulement chamailleur, il est aussi d’instinct jaloux. Les gens sont moins disposés à voir dans la réussite de la nouvelle politique la délivrance du Peuple et la mise sur orbite du pays que la réussite d’un homme : Yayi Boni. Un inconnu qui réussit là où tout le monde a échoué ? Même si c’est au détriment du peuple, tant qu’il en aura les moyens, le Béninois n’est pas enclin à l’accepter de gaîté de cœur… Gbêto da !...
© Aliou Kodjovi, 2006
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