Sketch politique
Premier Conseiller : ( il frappe à la porte du Président) Toc ! Toc ! Toc !
Président Yayi Boni : Qui est-ce ?
Premier Conseiller : C’est moi, Monsieur le Président, Premier Conseiller.
Président Yayi Boni : (Le Président qui était au téléphone prend le temps de finir sa conversation avec son interlocuteur lointain, puis) IFOUSSA, c’est vous ? Entrez ! Je vous attendais…
Premier Conseiller ( Le Premier conseiller entre dans le bureau présidentiel et referme la porte derrière lui)
Président Yayi Boni : Bonjour IFOUSSA, asseyez-vous !
Premier Conseiller : ( Le Premier conseiller s’assied) Merci Monsieur le Président.
Président Yayi Boni : Oui, IFOUSSA, je vous ai fait appeler au sujet de la révision de la constitution par les députés. Que faut-il faire ?
Premier Conseiller : Eh bien, Monsieur le Président, vous savez, je n’ai pas pour habitude de tourner autour du pot. Je crois que la seule chose à faire c’est de dissoudre l’Assemblée… Vous commencez d’abord par refuser de promulguer la loi. En tant que juriste, je peux vous dire que leurs actes s’apparentent à une entente illicite sur le dos du peuple…
Président Yayi Boni : Dissoudre ? IFOUSSA. Au nom du Changement, je vous arrête, on voit que vous n’avez pas lu la constitution. Je vous suspends provisoirement de votre poste, et vous ferai auditer dans un mois ou deux. Si vous montrez patte blanche en matière de lecture de la constitution vous reprendrez votre poste… Mais pas avant !
Premier Conseiller : Désolé Monsieur le Président… (Le Premier Conseiller sort tête baissée…)
Quelque temps après
Deuxième Conseiller : ( il frappe à la porte du Président) Toc ! Toc ! Toc ! Président Yayi Boni : Qui est-ce ?
Deuxième Conseiller : C’est moi, Monsieur le Président, Deuxième Conseiller
Président Yayi Boni : (Le Président qui était en train de lire la Bible prend le temps d’aller au bout du verset ) ISSOUFA ? Dieu fait bien les choses, Entrez ! Je vous attendais…
Deuxième Conseiller : ( Le Deuxième conseiller entre dans le bureau présidentiel et referme la porte derrière lui) Oui, Dieu est grand, Monsieur le Président, béni soit Son nom…
Président Yayi Boni : ISSOUFA, asseyez-vous !
Deuxième Conseiller : ( Le Premier conseiller s’assied) Merci Monsieur le Président, dit-il en ouvrant ses dossiers.
Président Yayi Boni : ISSOUFA, vous savez pourquoi je vous ai fait appeler. Ces députés m’embêtent, que faut-il faire ?
Deuxième Conseiller : Monsieur Le Président ce sont des hypocrites qui ne cherchent qu’à occuper le terrain, à faire en sorte qu’ils soient réélus, c’est leur seul souci. Ils savent que le Changement, c’est-à-dire vous même et le nouveau gouvernement, est leur ennemi, et, comme ils viennent de le montrer, ils n’auront de cesse de vous combattre. C’est ce que les Anglais appellent beat them or join them. Dans un premier temps, ils ont prétendu être des vôtres, en espérant que vous jouerez leur jeu, et maintenant, ils n’hésitent pas à jeter le masque et à vous combattre…
Président Yayi Boni : Oui, tout ça est exact ISSOUFA, mais que faire ?
Deuxième Conseiller : J’allais y venir, Monsieur le Président, nous ne pouvons pas attendre deux ans pour avoir une majorité claire à l’Assemblée. Il faut mener la bataille juridique jusqu’au bout. La Cour Constitutionnelle est notre salut avec la pression de la Société Civile. Il faut mener la bataille sur chaque point. Notamment en ce qui concerne la rétro-activité de la loi. Si la promulgation de la loi n’empêche pas la tenue en 2007 des élections législatives, nous sommes d’accord. C’est sur ce point que se battent les députés, mais c’est aussi le point faible de leur démarche : c’est sur cela qu’il faut se battre…
Président Yayi Boni : ( Le Président se met à bailler) Je verrai, je verrai ISSOUFA, il nous faudra faire preuve d’originalité…
Deuxième Conseiller : Oui, j’y veillerai, Monsieur le Président, inch Alla ! ( le deuxième conseiller sort en saluant)
(Le Troisième Conseiller est une femme. Elle fit son entrée au moment ou le Deuxième conseiller sortait. Contrairement aux autres, le Président se lève et la salue sans formalité. Echange de poignée de mains en toute familiarité)
Président Yayi Boni : Assieds-toi SOUFIA !
La Conseillère, s’assied.
Troisième Conseiller : Monsieur le Président, excusez-moi, je me suis permise d’écouter aux portes mais, contrairement à mes prédécesseurs, je pense qu’il ne faut surtout pas empêcher la promulgation de la loi. On ne doit rien faire qui empêche l’acte posé par les députés d’aller à son terme ; au contraire il faut prier en sorte que la Cour Constitutionnelle ne vienne pas à votre renfort ; il faut décourager toute velléité en ce sens.
Certes deux ans d’attente pour avoir une majorité claire à l’Assemblée c’est un peu long. Les députés veulent se donner le temps de fourbir leurs armes ; ils ne veulent pas être jetés comme un kleenex ; c’est de bonne guerre, mais une guerre comporte une stratégie et des tactiques. Les députés se sont peut-être donné une année de plus, mais ils ne réussiront jamais à faire une loi où ils voteront pour eux-mêmes. Il ne faut pas oublier que c’est le peuple qui élit les élus. Dans ces conditions, vous devez, Monsieur le Président, prendre le Peuple à témoin de ce qui vient de se passer. La Volonté du Peuple a été bafoué par des élus aveuglés par leur préoccupation de survie ; les élus ont mis leur seul intérêt en avant, en même temps qu’ils n’entendent pas favoriser les conditions de votre action, dans la mesure où ils ont compris que pour vous le Changement n’est pas un vain mot. Les Députés sont issus d’une histoire et relèvent d’une réalité pour le moins absurdes. Voilà des gens qui, au détour de la Conférence Nationale et dans le cadre fondateur du Renouveau démocratique ont été élus pour représenter le Peuple, défendre ses intérêts et donner enfin à la politique ses lettres de noblesse. Des gens à qui a été conféré l’honneur de servir le peuple avec passion, patience, abnégation, probité, imagination et honnêteté de tous les instants. Mais très vite, tous ces nobles idéaux ont été abandonnés, pervertis, méprisés avec subtilité et cynisme. L’idée que la Politique est une occasion en or de faire de jolies affaires en toute illégalité et à plus ou moins grande échelle a pris le dessus. La gangrène de la corruption s’est installée dans la classe politique. Une vile coterie de maffieux s'est accaparée de la sphère politique . Avec ses signaux, ses réflexes sa culture ses discours et ses pratiques. Le code de civilité patriotique a été remplacé par le code de la prévarication. Le navire des trafics, ententes illicites et détournements en tous genres bat pavillon démocratique en toute impunité. Tout cela dans une ambiance et une culture renforcée du formalisme théâtral, de la gesticulation et du verbiage de façade. Le Renouveau démocratique dans son volet législatif a ambitionné des Philosophes de l’action politique, mais il a accouché d’une venimeuse engeance de Sophistes aigrefins.
Monsieur le Président, votre volonté de Changement est basée sur ce constat et cette réalité. Le Peuple qui n’a pas été dupe de ce détournement des idéaux du Renouveau démocratique vous a confié son sort. Il vous a donné la mission de redresser la barre, pour le conduire à bon port. Vous l’avez entendu et au plus profond de votre âme, c’est sa délivrance qui vous tient à cœur. Or, pour y parvenir, il faut changer. Changer sans fioriture, sans fard, ni trompe-l’œil, changer à tous les niveaux. Chacun d’entre nous d’abord, et vous l’avez dit à la face du monde dans votre discours d’investiture ; au niveau des institutions, des pratiques, des habitudes, de la manière de gouverner, de la nécessité de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, de la responsabilité de chacun et de tous.
Bref, le changement qu’il faut pour le Bénin implique rigueur, méthode et abnégation. C’est cela qui inquiète ceux qui essaient de contrecarrer votre action. La révision de la constitution qui vient d’être quasi unanimement votée à l’Assemblée traduit bien cette inquiétude. Les Députés qui ont voté cette loi scélérate -- pour autant qu'ils en eussent encore -- savent en leur âme et conscience qu’ils sont dans l’œil du cyclone du Changement. Entre les deux tours des élections, la girouette opportuniste des partis a voulu faire croire que c’était elle qui actionnait le vent du Changement. Dans un beau consensus frauduleux, repris par les médias et les hommes politiques, tout le monde a considéré que le vote massif dont vous avez bénéficié serait le fait de certains ralliements tardifs. Or, loin des calculs algébriques abstraits, le vent irrésistible du Changement qui soufflait sur tout le pays seul rend raison de l’adhésion du Peuple à votre candidature. Cela n’empêche, vous avez en toute sagesse formellement pris acte de toutes ces protestations de soutien et d’appartenance à la mouvance du Changement, dès lors que le succès était au rendez-vous.
En s’arrogeant algébriquement la propriété des voix qui vous ont élu, ces partis opportunistes voulaient prendre place dans le bateau de la réussite et du pouvoir actuel. Une manière de survivre. Ils espéraient que, comme d’habitude en politique, après les belles promesses, vos actes de gouvernement ne se soucieraient pas de se conformer à vos paroles. Ils espéraient qu’en matière d’impunité, comme cela s’est fait jusque là, vous vous contenteriez de manière ostentatoire de faire la chasse aux menus fretins, voleurs de poules ou de mobylettes, en laissant dans l’impunité la nébuleuse infecte de ceux qui ont saigné et saignent encore à blanc notre économie, et dont ils sont. Or, il a suffi d’un premier coup de pied symbolique mais ferme dans la fourmilière pour que nos Sophistes aigrefins sortent du bateau de la mouvance qui pour eux n’était qu’un cheval de Troie. Vous avez vu la majorité écrasante qu’ils ont constitué autour de la question de la révision au mépris de la volonté du Peuple ? Eh bien il s’agit d’une majorité de survie. A la majorité écrasante qui vous a porté au pouvoir, d’une manière perfide, ils essaient d’opposer une autre majorité. Et par là, ils vous signifient clairement : «Nous sommes tous des Fagbohoun, Monsieur le Président, tenez-le vous pour dit ! »
Ce réflexe de survie, cette résistance impudique s’est faite dans un autisme troublant, aussi troublant que révoltant. Monsieur le Président, la posture des Députés a quelque chose de touchant, car elle traduit une lutte désespérée pour la survie. Mais le grand roi Béhanzin, lorsqu’il allait se rendre aux Français avait déclaré à ses sujets : « Que suis-je pour que ma disparition soit une lacune sur la terre ! » De même aujourd’hui, je crois que vous ne devez pas vous laisser impressionner par les sirènes existentialistes des Sophistes aigrefins. Les députés en veulent au Peuple de vous avoir fait confiance et élu si massivement. Vous devez en être conscient et prendre note de leur pouvoir de nuisance, du fait qu’ils n’hésiteront pas, pour leur survie et la défense de leurs intérêts égoïstes, à sortir le cas échéant les armes les plus lourdes pour vous faire tomber, à vous poignarder dans le dos, et à laisser le Peuple dans la misère où ils l’avaient mise sans états d'âme. Spéculer sur la misère du peuple et par voie de conséquence sa déception, telle est leur stratégie, le plan qu’ils essayeront de mettre en œuvre après l'infamie populaire qui, pour des députés, consiste à ne faire aucun cas de la volonté populaire.
C’est pour cela qu’il ne faut pas entrer dans leur jeu, et au contraire les enfermer dans le piège sordide qu’ils viennent d’enclencher. Cela signifie qu’il faut avoir le courage et la sagesse de laisser la révision aller à son terme. De prier pour qu’il ne vienne pas à l’idée des Sages de la Cour Constitutionnelle de rejeter la loi. Car la révision de la Constitution par les Députés sans concertation et à la va-vite est une infamie. Or, il sied qu’après le défoulement rituel des députés pour affirmer leur autonomie face au Président mais aussi aux ténors de la Société civile, ceux-là soient mis face à leur actes honteux. Que ce soit dans un an ou deux, en dépit de leur enfermement autistique, aucune modification de la constitution n’a encore donné aux Députés le pouvoir de s’élire tout seuls. C’est le Peuple qui élira. Et le Peuple dira à son heure qui seront ses dignes représentants : ceux qui suivent imperturbablement la voie de leurs propres intérêts, ou ceux qui écoutent la voix du Peuple. Donc, Monsieur le Président, à l’instar du Peuple, vous avez intérêt à assumer aujourd’hui le pôle de la victime de cette kabbale des parlementaires. En sage homme, je vous demande d’être plus à l’écoute des uns et des autres. La vengeance est un plat qui se mange à froid. Et qui va loin ménage sa monture. Le dialogue et la concertation doivent être votre méthode de gouvernement. Il vous manque le sens politique de l'Agora. Vous devez cultiver l'art vivant de la rondeur, de l’écoute, et un terrain d'entente pour mener à bien votre politique dans l’intérêt du peuple, de vos électeurs d’hier et de demain. Car c’est là que vous êtes attendu par les uns et les autres. Par le peuple bien sûr, mais aussi par la venimeuse engeance des ennemis déclarés ou cachés du Changement. Aussi en même temps que vous faites du dialogue votre méthode, vous devez clairement laisser voir au Peuple qui sont les empêcheurs de changer en rond dans ce pays. Or si, après ce vote de révision opportuniste de la constitution qui vient d’avoir lieu, tous vos efforts tendaient à contrecarrer les Députés d’aller au terme de leur infamie, vous n’aurez plus rien de concret pour symboliser la démarcation historique entre ceux qui sont pour le Changement et ceux qui y sont opposés. Et si les députés n’avaient pas gain de cause, ils multiplieraient les chicanes et les actes de guérilla pour freiner l’action du gouvernement de sorte que son échec soit mis au compte de votre incapacité à honorer vos promesses. Au contraire, s’ils ont le sentiment d’avoir existé, d’avoir réussi à montrer leur force, ils se calmeront et vous laisseront gouverner dans la mesure du possible, ce qui est conforme à votre intérêt et à celui du Peuple. Ils traîneront la culpabilité d’avoir violé la volonté du Peuple ; et il est dans votre intérêt de les y circonscrire. Dès lors, ils n’auront de cesse de rentrer dans les bonnes grâces du Peuple, de faire oublier leur viol collectif. C’est ainsi et ainsi seulement que vous pouvez les tenir en respect sous le regard éclairé du Peuple !
© Aliou Kodjovi, 2006
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.