Dans une déclaration faite après son dernier conseil des ministres à la tête du pays, le président du Nigeria, Monsieur Goodluck Jonathan, a conseillé à son successeur de ne point chercher à mettre en examen son administration, ou alors de mettre en examen tous ses prédécesseurs encore en vie, notamment Obasanjo, Abdulsalami, etc. « Des voix s'élèvent pour demander la mise en examen du gouvernement, dit Jonathan, mais je crois qu'au Nigéria, il y a plus d’une chose à mettre en examen. Même les dettes des États doivent être examinées ainsi que les dettes de l'État fédéral, de 1960 à nos jours. » Et Jonathan d'ajouter sur un mode impersonnel : « Les gens mettent cette dette sur le dos de l'administration de Jonathan. Je crois que toute personne qui en appelle à une mise en examen doit exiger que celle-ci s'étende au-delà de l'administration de Jonathan. » L'idée est lâchée. C'est une ruse pour renvoyer l'examen de la responsabilité de nos dirigeants aux calendes grecques. Le raisonnement est spécieux voir captieux, et dès qu'on y mord, on ne peut plus rien faire. Il est vieux comme le monde. Les maîtresses d'école y sont confrontées tous les jours dans leurs rapports pédagogiques avec leurs élèves. Zinsou est en train de bavarder, la maîtresse l'interpelle et veut le punir ; mais très malin, Zinsou ne se laisse pas faire et rejette toute punition en rappelant qu’« hier, quand Sagbo bavardait dans les mêmes conditions, vous ne l'avez pas puni ». Hier, c'est même déjà du passé. Certains Zinsou se font plus précis et rappellent à la maîtresse qu'à l'instant même, Sagbo et Fifamè sont en train de bavarder et avant de punir Zinsou, la maîtresse ferait mieux d’aller punir les autres d'abord. Ou, sans aller jusqu'à émettre une conditionnalité sur sa propre responsabilité, il demande modestement d’être puni en même temps que les autres. C'est ce que fait Goodluck Jonathan. Et le but de la manœuvre est de paralyser, court-circuiter toute initiative de questionnement sur sa responsabilité. Comme si l'idée pertinente et éthiquement juste de mettre le dirigeant devant ses responsabilités, dans la nuit de nos désordres collectifs, ne pouvait pas avoir une histoire, c'est-à-dire un début. Et pourtant pour se mettre sur le chemin de la rationalité légale, il faut bien un jour décider de le faire sans forcément être contraint d'aller au début de la longue chaîne des manquements et des crimes qui ont jalonné la vie politique d'une nation ; au risque d'une régression à l'infini. Le cas est le même au Bénin où un certain systématisme éthique hautement ambigu sinon suspect voudrait que pour demander des comptes à Yayi Boni sur les 10 ans qu’il clôt à la tête de notre pays on soit obligé de demander d’abord ou dans le même temps des comptes à Soglo et à Kérékou ! Comme si les trois hommes d'État, le cas échéant, eussent commis des crimes ensemble et d'un commun accord ; comme si, parce que les conditions politiques de notre vie nationale rendent possible d'envisager, maintenant et non pas auparavant, la question de la responsabilité de nos dirigeants, on est obligé de paralyser cette opportunité en exigeant de rendre solidaire toute initiative de justice actuelle avec le passé. Comme le montre l'argumentaire de Monsieur Jonathan, ce raisonnement, malgré son apparence logique, et sauf la bonne foi de certains de ses manieurs, est un sophisme frauduleux à finalité dilatoire.
La solution en fin de compte c'est d'accéder à la demande des partisans du tout ou rien en acceptant de juger nos dirigeants dans l'ordre chronologique inverse de leur séjour au pouvoir. Selon ce principe, on peut juger Jonathan au Nigéria quitte à juger Obasanjo par la suite ; de même on devrait pouvoir s'autoriser à juger Yayi Boni au Bénin avant de juger Kérékou. En toute responsabilité, il appartenait à Jonathan de mettre en examen Obasanjo, comme il appartenait à Yayi Boni de mettre un examen ses prédécesseurs. Pourquoi paralyser le processus de responsabilisation de nos dirigeants ici et maintenant parce que ceux d’entre eux qui devraient prendre leurs responsabilités y ont failli ? Dans le meilleur des cas, comme le montre l’argumentaire de Monsieur Jonathan, les partisans de ce raisonnement ne cherchent qu'une chose : le statu quo, c'est-à-dire l'impunité.
Dr ABOKI Cosme, Président du FERAP
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