Alors que des voix de sagesse ou de pragmatisme s'élèvent pour mettre en garde contre le piège de la chasse aux sorcières, le nouveau pouvoir joue aussi sa crédibilité au regard de ses promesses et de l'attente forte du peuple. Dans ces conditions, le Général Buhari va devoir couper la poire en deux. D’entrée de jeu, cela suppose d’étancher la soif de justice populaire en sacrifiant quelques boucs émissaires choisis parmi les cas médiatisés de la corruption. Deux victimes idéales sont en ligne de mire : il s'agit du sénateur élu Kashamu, recherché par la justice américaine pour trafic de stupéfiants. M. Kashamu, un temps ami d’Obasanjo, est devenu son ennemi considérable. L'ancien président n'a pas de mots assez durs pour le critiquer et les deux hommes ont passé le plus clair de leur temps à s’invectiver durant toute la période de la campagne électorale. Obasanjo fait partie de ceux qui œuvrent pour l’extradition de ce repris de justice qui a cru bien faire, en sa qualité de sénateur élu, de s’abriter derrière le bouclier de l’immunité parlementaire. Mais jusque-là, précédemment responsable de premier plan du PDP dans l'État d’Ogun et rabatteur de voix pour Jonathan dans tout le sud-ouest yoruba, M. Kashamu, a été protégé par celui-ci, et monté en épingle contre M. Obasanjo. Cette protection semble s'être étendue jusqu'au Bénin car dans son jeu de cache-cache avec la justice internationale, le sieur Kashamu serait aussi détenteur d'un passeport béninois. Eh bien, à une semaine de l'investiture du Général Muhammadu Buhari, il semble que les formalités d'extradition du sieur Kashamu s'accélèrent, puisque le sénateur élu vient d'être assigné à résidence dans le cadre de sa prochaine comparution devant un tribunal à Lagos. Si l'extradition de cette figure de proue de la malversation criminelle ordinaire abritée sous la bannière politique intervenait au lendemain de la prise de pouvoir du Général Buhari, elle constituerait un premier signal fort de sa campagne de salubrité morale. Mais on peut aussi voir derrière cette procédure accélérée la main invisible de Jonathan qui, après avoir longtemps protégé le sieur Kashamu, a décidé de lâcher du lest sur son cas dans l'espoir que le Général Muhammadu Buhari se suffirait de cette seule victime expiatoire. Mais il s'en faudrait de beaucoup pour contenter le nouveau président dans le cadre de son émergence politique placée sous le signe de la lutte contre la corruption. L’autre victime expiatoire possible est la ministre du pétrole, Mme Diezani Alison-Madueke, associée à une kyrielle de scandales dont le plus notoire reste la disparition présumée de 20 milliards de dollars des caisses des revenus pétroliers de l'État nigérian. Depuis l'élection du Général Muhammadu Buhari, tous les regards sont tournés vers Mme Diezani Alison-Madueke. La presse a révélé naguère les nombreuses démarches de demande d'asile qu'aurait faites la ministre du pétrole, une information aussitôt démentie par l'intéressée. De même, lors d'un récent service religieux en son honneur, M. Jonathan a exprimé l'inquiétude d'une persécution prochaine de ses collaborateurs et ministres, une allusion à peine voilée au cas de la ministre du pétrole. Hier samedi, Mme Diezani Alison-Madueke, s’est livrée à une opération de charme pour le moins cocasse et pathétique. Ayant eu vent du voyage impromptu du président élu M. Muhammadu Buhari vers Londres sur un vol British Airways, la ministre a fait des pieds et des mains auprès de la compagnie anglaise pour avoir une place à bord du même avion que M. Buhari, alors que son voyage était prévu pour une date ultérieure. Mais, prise de court par l'arrivée précoce de M. Buhari qui avait accompli ses formalités d'embarquement avant elle, Mme Diezani Alison-Madueke est entrée en mode agitation, et laissant derrière elle ses accompagnateurs, s’est engouffrée dans l'avion où s’était déjà installé le Général Buhari dans le même compartiment de première classe qu’elle. Et, selon les indiscrétions fournies par l’entourage du président élu, Mme Diezani Alison-Madueke, après l’échange de politesse d’usage, à plusieurs reprises, aurait essayé d’entrer en contact avec le président élu, hélas sans succès. Cette offensive de charme de la part de Mme Diezani Alison-Madueke, manière de prendre le taureau de la peur par les cornes, montre bien que la Ministre du Pétrole se sent visée par le nouveau régime et ne sera certainement pas épargnée par la campagne de salubrité morale qui marquera sa prise du pouvoir. Ces deux exemples de victimes expiatoires possibles ne sont certes pas négligeables. L'un symbolise le crime ordinaire à la croisée du politique et de l'argent sale, l'autre est l'exemple même de la corruption d'État qui ruine le pays. Mais dans tous les cas, la prise de ces deux gros requins suffira-t-elle à dépeupler l'océan de la corruption nigériane et apaiser le désir paradoxal des Nigérians de s'en débarrasser pour de bon ? Rien n’est moins sûr.
Alan Basilegpo
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