La règle a toujours voulu que ce soit les nations du sud, les pays anciennement colonisés qui héritent de, défendent, illustrent et parlent la langue des pays du nord, colonisateurs. Cette répartition du rapport à la langue n’est pas exempte d’une donnée critique de domination néocoloniale et culturelle. Et quand les exigences du monde ouvert dans lequel nous sommes font une entorse à cette règle , ce ne peut qu’être bon signe de l’évolution des rapports entre les peuples et les nations. Malheureusement, en Afrique au train où vont les choses, cette évolution ne semble pas d’actualité. Ce qui m’étonne dans la posture philosophique des communicants, des écrivains et intellectuels africains c’est cette façon qu’ils ont de refouler naturellement la question de la langue dans laquelle ils parlent, s’expriment ou écrivent, et se comportent comme si de rien n’était ou si cela allait de soi. Alors que cette question est en soi chargée d’histoire, et concentre l’absurdité de la situation symbolique de l’Afrique en tant que communauté humaine éprise d’identité et soucieuse de son destin. Et qu’on ne nous dise pas que c’est une question obsolète suintant d’un nationalisme étriqué et suranné ; que par exemple le fait qu’au parlement français le premier ministre prononçât son discours de politique générale en wolof aux représentants du peuple français qui eux-mêmes trouvent normal de lui répondre ou de le chahuter en wolof est quelque chose qui va de soi ; de même que le premier prix Nobel de littérature britannique eût, à l’instar de tous ses compatriotes écrivains, écrit ses œuvres en yoruba et pourtant continue de se poser en défenseur de la littérature anglaise relève d’une normalité sans faille. Alors pourquoi en Afrique, pour autant que ne soyons pas ce que les Yoruba appellent omoalé et ayons ce que les mêmes Yoruba appellent oporo, et un brin de dignité, pourquoi acceptons-nous cette grossière anomalie comme naturelle quand nos soi-disant élites n’en sont pas les portes drapeau les plus zélés ? Ce qu’il convient de dire aux intellectuels africains qui feignent de ne pas le savoir, c’est que la langue et d’une manière générale le domaine du symbolique est une chose trop sérieuse pour être abandonnée à l’étranger. Et tant que nous ne comprendrons pas cette vérité simple, nous serons toujours à la traine du monde. Au fait, comment dit-on “poisson d’avril” en wolof ? Alan Basilegpo |
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