Le philosophe américain J. Waldron voudrait que les propos haineux soient réprimés aux États-Unis, parce qu’ils constituent un tort indéniable. Il faut donc selon lui restreindre la liberté d’expression. Mais est-ce la bonne manière d’établir fermement nos idéaux d’égale dignité et de laïcité ? |
Seuls parmi les grands pays de tradition démocratique, les États-Unis accordent à la liberté d’expression et de la presse une extension qui va jusqu’au point où son exercice présente un danger clair et imminent de violence pour les personnes ou de trouble à l’ordre public [1]. La jurisprudence contemporaine – même s’il y a quelques précédents en sens contraire – conduit en effet la Cour suprême a interpréter le premier amendement de la constitution (« Le congrès ne fera aucune loi… pour limiter la liberté d’expression, ou de la presse ») comme accordant à la liberté de parole et de presse une protection qui inclut les propos haineux (hate speech) à l’égard de minorités ethniques ou religieuses. Il est donc permis d’insulter ou de manifester son mépris – par la parole ou par l’image – à l’égard de ces minorités aussi longtemps que cette manifestation ne comporte pas le risque immédiat de déboucher sur des violences réelles ou des actes effectifs de discrimination [2]. Sur ce plan, les États-Unis se distinguent des pays européens, mais aussi de la Nouvelle Zélande et de l’Australie, qui disposent d’une législation réprimant ces énoncés ; le Danemark interdit par exemple les propos « par lesquels des groupes de personnes sont menacés, tournés en ridicule ou insultés en raison de leur race, de leur couleur de peau, ou de leur origine nationale ou ethnique » [3] ; l’Allemagne réprime « les attaques contre la dignité des tiers au moyen d’insultes, de propos délibérément malveillants ou de diffamation à l’égard de certaines parties de la population » [4] ; la Nouvelle Zélande proscrit « les propos menaçants, insultants ou injurieux susceptibles de susciter la haine contre un groupe de personnes ou d’attirer sur lui le mépris… en se fondant sur la race, la couleur, ou l’origine nationale ou ethnique de ce groupe de personnes » [5] ; la Grande-Bretagne, enfin, interdit l’usage « de termes ou de comportements menaçants, insultants ou injurieux » lorsque ceux-ci « ont pour objet de susciter la haine raciale » ou lorsque, « eu égard aux circonstances, ils sont susceptibles d’attiser une telle haine raciale » [6]. La France, bien entendu, dispose d’un important arsenal législatif réprimant cette incitation à la haine raciale [7]. Toutes ces législations protègent les minorités ethniques et religieuses contre les publications menaçantes ou insultantes susceptibles d’exciter l’hostilité contre elles ou de susciter le mépris du public à leur égard, même lorsque les propos concernés ne comportent pas de risque de violence imminente. Elles distinguent donc clairement deux choses : d’une part les actes de violence ou de discrimination clairement réprimés, et d’autre part les propos insultants ou haineux, même lorsqu’ils ne sont pas liés ou qu’ils ne risquent pas d’être liés ou d’être la cause prochaine d’actes de violences et de discriminations effectives, qui font eux aussi l’objet d’une répression affirmée. Les États-Unis, en revanche, invoquent la liberté d’expression pour réprimer les premiers sans réprimer les seconds. Quelles sont les bonnes raisons de réprimer les propos haineux par la loi ?… suite |
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