Permettez-moi de commencer par remercier Chatham House pour l’invitation qu’elle me fait à parler d’un sujet important en ce moment crucial. Quand l’occasion m’est offerte de parler du Nigeria à l'étranger, je préfère normalement me faire l’ambassadeur de mon pays en vantant ses vertus dans l'espoir d'attirer les investissements et les touristes. Mais comme nous le savons tous, le Nigeria est maintenant aux prises avec de nombreux défis, et si je me réfère à eux, je le fais seulement pour montrer à nos amis du Royaume-Uni que nous sommes tout à fait conscients de nos lacunes et faisons de notre mieux pour les combler. Les élections générales de 2015 au Nigeria suscitent beaucoup d'intérêts à l'intérieur et l'extérieur du pays. C’est chose compréhensible. Le Nigeria, pays le plus peuplé et première économie d’Afrique, est à un moment crucial de son histoire, un moment qui a de grandes implications au-delà du projet démocratique et au-delà les frontières de mon cher pays. Alors permettez-moi de dire d'emblée que l'intérêt mondial pour l'élection historique du Nigeria n’est pas déplacé du tout et devrait en effet être félicité ; car c’est une élection qui a de l’importance pour le monde. J’exhorte la communauté internationale à continuer à se concentrer sur le Nigeria en ce moment très critique. Compte tenu de l'accroissement des liens mondiaux, il est dans nos intérêts collectifs que les élections reportées respectent les nouvelles dates fixées; qu'elles soient libres et justes ; que leurs résultats soient respectés par toutes les parties; et que toute forme de report, sous quelque prétexte que ce soit, soit reconnu comme inconstitutionnelle et dès lors rejetée. Avec la chute du mur de Berlin en 1989, la dissolution de l'URSS en 1991, l'effondrement du communisme et la fin de la guerre froide, la démocratie est devenue le système de gouvernement dominant et le plus préféré à travers le monde. Cette transition mondiale a été comprise à juste titre comme le triomphe de la démocratie et «l'idée politique la plus éminente de notre temps.» Pour ma part, la fin progressive de l'URSS a été un moment crucial. Il m'a convaincu que le changement peut être provoqué sans tirer un seul coup de feu. Comme vous le savez tous, j’ai été un chef d'Etat militaire au Nigeria pendant vingt mois. Nous sommes intervenus parce que nous étions mécontents de l'état des choses dans notre pays. Nous voulions arrêter la dérive. Poussés par le patriotisme, influencés par la prévalence et la popularité de ces mesures drastiques partout en Afrique et ailleurs, nous nous sommes battus pour nous frayer un chemin vers le pouvoir. Mais le triomphe mondial de la démocratie a montré qu’il est un autre chemin préférable pour atteindre le changement possible. C’est une leçon importante que j’ai apprise et gardée avec moi depuis, une leçon qui fait son chemin sur le continent africain. Dans les deux dernières décennies, la démocratie a fait des progrès en Afrique. les élections, autrefois si rares, sont maintenant devenues banales. A l'époque où j’étais chef d'Etat militaire entre 1983 et 1985, seuls quatre pays africains ont organisé des élections multipartites régulières. Mais le nombre de démocraties électorales en Afrique, selon Freedom House, a bondi à 10 entre 1992-1993, puis à 18 en 1994-1995 et à 24 en 2005-2006. Selon le New York Times, 42 des 48 pays d'Afrique sub-saharienne ont organisé des élections multipartites entre 1990 et 2002. Le journal a également rapporté que, entre 2000 et 2002, les partis au pouvoir dans quatre pays africains (Sénégal, Maurice, Ghana et Mali) ont remis le pouvoir pacifiquement à l’opposition victorieuse. En outre, la proportion de pays africains classés comme « non-libres » par Freedom House a diminué de 59% en 1983 à 35% en 2003. Sans aucun doute, l'Afrique fait partie de la vague mondiale de démocratisation en cours. Mais la croissance de la démocratie sur le continent a été inégale. Selon Freedom House, le nombre de démocraties électorales en Afrique a glissé de 24 en 2007-2008 à 19 en 2011-2012; tandis que le pourcentage des pays classés comme «non libres» toutes réserves faites sur leur définition de «liberté» est passé de 35% en 2003 à 41% en 2013. En outre, il y a eu quelques inflexions à différents moments au Burkina Faso, en République centrafricaine, en Côte d'Ivoire, en Guinée, Guinée-Bissau, au Lesotho, au Mali, à Madagascar, en Mauritanie et au Togo. Nous pouvons choisir de regarder le verre de la démocratie en Afrique comme étant à moitié plein ou à moitié vide. S’il ne peut y avoir de démocratie représentative sans élections, il est tout aussi important de regarder la qualité des élections et de se rappeler qu’il ne suffit pas de faire des élections pour se réclamer de la démocratie. Il est globalement convenu que la démocratie n’est pas un arrêt, mais un voyage. Et que la destination de ce voyage est la consolidation démocratique - cet état où la démocratie est devenue tellement enracinée et dès lors banalisée et largement acceptée par tous les acteurs. Avec cette définition à l'esprit, il est clair que si de nombreux pays africains sont habitués maintenant à des élections régulières, très peu d'entre eux ont consolidé la pratique de la démocratie. Il est important de préciser également à ce point que, tout comme avec les élections, une démocratie consolidée ne peut pas être une fin en soi. Je soutiens qu’il en faudrait de beaucoup de se contenter de tenir une série d'élections ou même d’alterner pacifiquement le pouvoir entre les parties. Il est beaucoup plus important que la promesse de la démocratie aille au-delà en permettant aux gens de choisir librement leurs dirigeants. Il est beaucoup plus important que la démocratie tienne la promesse du choix, des libertés, de la sécurité des vies et des biens, de la transparence et de la responsabilisation, de l’Etat de droit, de la bonne gouvernance et de la prospérité partagée. Il est très important que la promesse inhérente au concept de la démocratie, promesse d'une vie meilleure pour le peuple tout entier, ne soit pas battue en brèche Maintenant, permettez-moi de rapidement revenir vers le Nigeria. Rappelons que la quatrième république du Nigeria est dans sa 16e année et que cette élection générale sera la cinquième d'affilée. C’est un signe majeur de progrès pour nous, étant donné que notre première république a duré cinq ans et trois mois, la deuxième république a pris fin après quatre ans et deux mois et la troisième république était mort-née. Cependant, la longévité n’est pas la seule raison pour laquelle tout le monde est intéressé par cette élection. La principale différence cette fois est que pour la première fois depuis la transition vers un régime civil en 1999, le Parti de la démocratie Populaire (PDP) est confronté à sa plus ferme opposition à nos jours de la part de notre parti, le Congrès de Tout le Peuple (APC). Nous avons déjà eu environ 50 partis politiques, mais sans réelle concurrence. Maintenant le Nigeria est en train de passer d'un système de parti dominant à un système politique électoral compétitif, qui est un marqueur important sur la voie de la consolidation démocratique. Comme vous le savez, l'alternance pacifique du pouvoir à travers des élections concurrentielles s’est produite au Ghana, au Sénégal, au Malawi et à l’Ile Maurice ces derniers temps. Les perspectives de consolidation de la démocratie en Afrique seront encore illuminées quand cela arrivera finalement au Nigeria. Mais il y a d'autres raisons pour lesquelles les Nigérians et le monde entier sont intensément concentrés sur les élections de cette année, dont la principale est que les élections se tiennent dans l'ombre de grandes incertitudes sécuritaires, économiques et sociales du pays le plus peuplé et de la plus grande économie d'Afrique. En ce qui concerne l'insécurité, il s’agit d’une véritable source d'inquiétude, tant à l'intérieur qu’à l'extérieur du Nigeria. En dehors de la période de la guerre civile, à aucun autre moment de notre histoire, le Nigeria n’a à ce point été aux prises à l’insécurité. Boko Haram a malheureusement mis le Nigeria sur la carte du terrorisme, tuant plus de 13 000 de nos ressortissants, déplaçant des millions à l’intérieur et à l’extérieur, et à certain moment s’accaparant de portions de notre territoire de la taille de la Belgique. Ce qui a manqué systématiquement est le leadership nécessaire dans notre lutte contre l'insurrection. En tant que Général à la retraite et ancien chef de l'Etat, j’ai toujours su que nos soldats étaient capables, bien formés, patriotes, courageux et toujours prêts à faire leur devoir au service de notre pays. En témoigne le rôle de notre brave armée en Birmanie, en République démocratique du Congo, en Sierra Leone, au Libéria, au Darfour et dans beaucoup d'autres opérations de maintien de la paix dans plusieurs régions du monde. Mais dans l'affaire de cette insurrection, nos soldats n’ont reçu ni le soutien nécessaire ni les incitations nécessaires pour s’attaquer à ce problème. Le gouvernement a également échoué dans l’effort vers une réponse multidimensionnelle à ce problème conduisant à une situation dans laquelle nous sommes devenus dépendants du secours de nos voisins. Permettez-moi de vous assurer que si je suis élu président, le monde n’aura pas lieu de s’inquiéter au sujet du Nigeria, comme c’est le cas actuellement ; que le Nigeria reviendra dans son rôle de stabilisateur en Afrique de l'Ouest; et qu'aucun pouce du territoire nigérian ne sera jamais perdu à l'ennemi parce que nous porterons une attention particulière au bien-être de nos soldats en et hors de service, nous allons leur donner des armes et des munitions de combat, nous allons améliorer la collecte des renseignements adéquats et modernes et le contrôle des frontières pour étouffer les circuits financiers et d'équipement de Boko Haram ; nous allons être sévère avec le terrorisme et nous attaquer à ses causes profondes en lançant un plan de développement économique global en vue de promouvoir le développement des infrastructures, la création d'emplois, de l'agriculture et de l'industrie dans les zones touchées. Nous agirons toujours à temps et ne laisserons pas les problèmes s’envenimer de façon irresponsable, et moi, Muhammadu Buhari, je serai toujours au front pour ramener le Nigeria à son rôle de leader dans les efforts régionaux et internationaux pour lutter contre le terrorisme. Sur l'économie, la chute des prix du pétrole a porté notre stress économique et social à son terme. Après l'exercice de changement de base d’évaluation en Avril 2014, le Nigeria a dépassé l'Afrique du Sud en tant que première économie de l'Afrique. Notre PIB est maintenant évalué à 510 milliards de dollars et notre économie classé 26e dans le monde. Toujours sur le côté lumineux, l'inflation a été maintenue à un seul chiffre pendant un certain temps et notre économie a augmenté en moyenne de 7% pendant une dizaine d'années. Mais il s’agit plus de croissance sur papier que d’autre chose, une croissance qui, en raison de la mauvaise gestion, la débauche et la corruption, ne s’est pas encore traduite en développement humain ou en prospérité partagée. Un économiste du développement a dit une fois qu’on devrait poser trois questions sur le développement d'un pays : (1). Que devient la pauvreté? (2). Que devient le chômage? Et (3). Que devient l'inégalité? Les réponses à ces questions au Nigeria montrent que l'administration actuelle a créé deux économies dans un pays, une triste histoire de deux nations : une économie pour quelques-uns qui sont tellement comblés dans leur minuscule îlot de prospérité; et l'autre économie pour tous ceux qui ont si peu dans leur vaste océan de misère. Même les chiffres officiels de 33,1% des Nigérians vivant dans l'extrême pauvreté ne sont pas loin de 60 millions de personnes soit près de la population du Royaume-Uni. Il y a aussi la crise du chômage souterraine, prête à exploser à la moindre contrainte, avec officiellement 23,9% de la population adulte et près de 60% de nos jeunes au chômage. Nous avons aussi l'un des taux d'inégalité les plus élevés au monde. Avec tout cela, il n’est pas étonnant que notre performance sur la plupart des indicateurs de gouvernance et de développement (comme l’indice Mo Ibrahim sur la gouvernance en Afrique et l'indice de développement humain du PNUD) soit peu flatteuse. Avec la chute des prix du pétrole, qui représente plus de 70% des revenus du gouvernement, et le manque d'économies sur plus d’une décennie de boom pétrolier, les pauvres seront touchés de manière disproportionnée. Face à la diminution des revenus, un bon lieu pour engager le repositionnement de l'économie du Nigeria est de s’attaquer rapidement aux deux maux qui ont explosé sous le gouvernement actuel : le gaspillage et la corruption. Et en faisant cela, je vais, si je suis élu, montrer la voie, avec la force de l'exemple personnel. Sur la corruption, il n'y aura pas de confusion quant à l'endroit où je me tiens. La corruption n’aura pas lieu et les corrompus ne seront pas nommés dans mon administration. Tout d'abord, nous allons boucher les trous dans le processus budgétaire. Les entités productrices de recettes telles que la NNPC et les Douanes et Accise auront un guichet unique. Leurs revenus seront publiés et régulièrement audités. Les institutions de l'État consacrées à la lutte contre la corruption auront carte blanche et le pouvoir de poursuivre sans ingérence politique. Mais je dois souligner que toute guerre menée contre la corruption ne devrait pas être interprétée comme une manière de régler de vieux comptes ou une chasse aux sorcières. Je veux devenir président pour diriger le Nigeria vers la prospérité et non vers l'adversité. Dans la réforme de l'économie, nous allons utiliser les économies qui découlent du blocage de ces fuites de capitaux et les sommes recouvrées de la corruption pour financer les programmes d'investissements sociaux de notre parti en matière d'éducation, de santé, et les filets de sécurité tels que les repas scolaires gratuits pour les enfants, les travaux publics d'urgence pour les jeunes chômeurs et des pensions pour les personnes âgées. En tant que parti progressiste, nous devons réformer notre économie politique pour libérer l'ingéniosité et la productivité refoulée du peuple nigérian, les libérant ainsi de la malédiction de la pauvreté. Nous allons opérer dans une économie tirée par le secteur privé, mais conserver un rôle actif à l’Etat grâce à une forte surveillance réglementaire et des interventions volontariste ainsi que des incitations à diversifier la base de notre économie, renforcer les secteurs productifs, améliorer les capacités de production de notre peuple et créer des emplois pour notre nombreuse jeunesse. En bref, nous allons exécuter une économie fonctionnelle entraînée par une vision du monde qui voit la croissance non pas comme une fin en soi, mais comme un outil pour créer une société qui fonctionne pour tous, riches et pauvres. Le 28 Mars, le Nigeria a une décision à prendre. Soit voter pour la continuité de l'échec ou voter pour un changement dans le progrès. Je crois que les gens vont choisir judicieusement. En somme, je pense que compte tenu de son importance stratégique, le Nigeria peut déclencher une vague de consolidation démocratique en Afrique. Mais, comme point de départ, nous devons faire en sorte que cette élection cruciale soit juste en nous assurant qu’elle constitue un progrès et en privant ceux qui veulent la faire échouer de la possibilité de faire dérailler notre démocratie naissante. De cette façon, nous allons tous voir la démocratie et la consolidation démocratique comme des outils pour résoudre les problèmes pressants d'une manière durable, non pas comme une fin en soi.
Perspectives de consolidation de la démocratie en Afrique: la transition du Nigeria
Permettez-moi de clore cette discussion sur une note personnelle. J’ai entendu et lu dans de nombreux journaux britanniques respectés, y compris le bien vénéré The Economist, des références à moi comme étant un ancien dictateur. Permettez-moi de dire sans avoir l'air de me défendre que la dictature va de pair avec le régime militaire, mais certains pourraient être moins dictatoriaux que d'autres. Je prends la responsabilité de tout ce qui se est passé sous ma direction. Je ne peux pas changer le passé. Mais je peux changer le présent et l'avenir. Alors vous avez devant vous un ancien dirigeant militaire convertie en démocrate et qui est prêt à fonctionner selon les normes démocratiques et à s’exposer aux rigueurs d'une élection démocratique pour la quatrième fois. Vous pouvez vous demander: pourquoi fait-il cela? C’est une question que je me pose tout le temps aussi. Et voici mon humble réponse: parce que la tâche pour hisser le Nigeria au niveau de sa grandeur n’est pas encore accomplie, parce que je crois toujours que le changement est possible, cette fois par les urnes, et surtout, parce que j’ai encore la capacité et la passion de rêver et de travailler pour un Nigeria qui sera respecté à nouveau dans le concert des nations et dont tous les Nigérians seront fiers. Je vous remercie de votre attention.
Général Muhammadu Buhari
trad. Alan Basilegpo source1/ source2/source3
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