L’étude de marqueurs polymorphiques dans l’ADN humain a ouvert la voie à de nouveaux modes d’interprétation de la diversité humaine aux applications très diverses. Mais comment ces interprétations sont-elles construites ? La nouveauté technique ne cache-t-elle le vieux concept de race ? |
L’étude de marqueurs polymorphiques dans l’ADN humain a ouvert la voie à de nouveaux modes d’interprétation de la diversité humaine aux applications très diverses. Mais comment ces interprétations sont-elles construites ? La nouveauté technique ne cache-t-elle le vieux concept de race ? Biologiste moléculaire, directeur de recherches émérite au CNRS, Bertrand Jordan a centré sa carrière scientifique sur la génétique humaine et l’exploration du génome, ayant notamment examiné le rôle de celui-ci dans l’autisme (Autisme, le gène introuvable. De la science au business, Seuil, 2012).
La vie des idées : Grand vulgarisateur des recherches actuelles sur les polymorphismes humains sur lesquelles vous avez notamment publié L’humanité au pluriel : la génétique et la question des races (Seuil, 2008), vous n’êtes pas vous-même praticien de ce champ. Comment en êtes-vous venu à travailler sur la question de la diversité humaine d’un point de vue génétique en partant d’une thèse de physique nucléaire ? Bertrand Jordan : J’ai en effet commencé par faire une thèse en physique des particules, mais je me suis tourné vers la biologie moléculaire dès le milieu des années 1960, en raison des types très différents de recherches que ces deux domaines impliquaient. Je me suis rendu compte que la physique des particules — à l’époque déjà, et encore plus maintenant — était vraiment de la « big science », pratiquée par de très grands groupes, séparant la théorie et l’expérience, et dans laquelle le rôle de l’individu n’était pas évident. On y faisait une expérience par an et ce n’était pas comme ça que j’avais envie de faire de la recherche. À l’époque, c’était le début du développement de la biologie moléculaire. La double hélice date de 1953 et j’ai soutenu ma thèse de Physique en 1965, au moment où l’on venait juste de déchiffrer le code génétique — la correspondance entre les triplets dans l’ADN et les acides aminés dans les protéines. Il était clair que c’était un domaine qui allait bien se développer et qui était intéressant. De plus, il y avait à l’époque la DGRST (Délégation générale de la recherche scientifique et technique) qui a joué un rôle important dans le développement de la recherche moléculaire en France. Elle cherchait en particulier à attirer vers la biologie moléculaire des gens ayant une formation de physique ou de chimie et non pas de naturalistes. Ça a donc été très facile pour moi de changer de voie. J’ai eu une bourse de reconversion, puis je suis entré au CNRS et j’ai fait une carrière de biologiste moléculaire. La question du racisme et de la diversité humaine m’a, quant à elle, toujours intéressé. Je me suis éveillé à la politique avec la guerre d’Algérie — qui renvoyait forcément à des problèmes de racisme — et j’ai aussi vécu mai 68 : c’était donc un sujet qui me concernait. En fait, j’ai découvert ce qui s’était passé en recherches génétiques sur la diversité humaine à l’occasion d’un congrès de cancérologie à Charleston, en 2006. Un des grands représentants de ce domaine, Shriver [1], proposait des méthodes pour rendre les essais cliniques plus rationnels en évitant d’avoir une population de malades et une population de témoins qui aient des origines différentes. Il y présentait des schémas (illustration 1) — qui m’ont alors beaucoup frappé. |
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