Ce qui m'a toujours dérangé dans les nominations tous azimuts de Yayi Boni ce n'est pas tant leur inspiration régionaliste lancinante que le choc culturel des noms de ceux qu'il nomme induit en moi. Tout à coup, ce choc, violent et imprévisible, me renvoie à la relativité restreinte de mes représentations naïves du Bénin. J'imagine toujours que je reconnaîtrai aisément un Béninois par son nom, qu'il soit du Sud, de l'Est, de l'Ouest ou du Nord. Un repérage habituel est donné par les noms des Béninois qui ont, de par leurs œuvres et leurs actions apporté une reconnaissance nationale et internationale à notre pays. Depuis les 50 dernières années de notre indépendance, les noms des écrivains, des artistes, des sportifs, des savants, des diplomates, etc. qui ont rehaussé de par leurs œuvres l'honneur de notre pays sont reconnaissables aisément à l’intérieur comme à l’extérieur du Bénin. Bien sûr, pour des raisons historiques et sociologiques, on admettra que cette résonance que l'habitude a consacrée est marquée par un certain biais. Mais quand on en arrive à ceux qui doivent jouir d’un titre conféré par le pouvoir politique de nomination, alors les noms et leurs résonance auxquels nous sommes habitués s’évanouissent. On y perd complètement son latin. Avec Yayi Boni, intervient un grand bouleversement qui me force à une déchirante révision de mes certitudes ; l'étrangeté des noms de ceux qu'il nomme fait violence à mes habitudes et à mes attentes naïves. Elle bouleverse mes prénotions culturelles. Tout à coup, venu d'on ne sait où, et bombardé à un poste éminent de l'État, nous est donné à entendre un nom complètement improbable, censé être celui d'un compatriote. Il est vrai que, en ce qui concerne Yayi lui-même, je n'avais jamais entendu ce nom avant que l'homme ne soit amené au-devant de la scène politique nationale par la bonne volonté douteuse des Talon, Tévoédjrè et consorts, comme le lapin sorti d'un chapeau par un habile magicien. Mais l'intonation et la sémantique yoruba ordinaires du nom avaient quelque chose de suffisamment rassurant ; elles me servaient de fil d'Ariane, éclairaient un tant soi peu ma lanterne. Sans aucun doute, aussi vaste que soit la Russie, si n'importe quel Russe entend le nom du nouveau chef d'État-major de l'Armée de son pays, il n'aurait aucune peine à reconnaître celui-ci comme étant un compatriote. Et la chose est valable aussi pour le plus petit État européen. Comment se fait-il alors qu’un Béninois honnête, ouvert et de bonne foi comme moi, tombe toujours des nues à entendre les noms, non pas de simples cantonniers, mais de personnalités nommées à des postes nationaux de haut niveau dans mon pays par Yayi Boni ? D'où vient le décalage inénarrable entre le faciès nominal et culturel des personnes nommées par Yayi Boni, leur côté exotique sinon « sortis de nulle part » et la résonance établie par plusieurs décennies des noms de ceux que l'on identifie à l'extérieur comme étant des Béninois ? Si je me baladais n'importe où dans le monde et qu'on m’eût dit que tel général nommé Awal Nagninmi Bouko, pour ses prouesses militaires et humanitaires allait être honoré par l'ONU ou Amnesty International, il ne me serait pas venu à l'esprit de m'arrêter une seconde pour y prendre ma part de fierté ; car je n'aurais jamais pensé qu'il s'agissait d'un compatriote. Ne serait-ce qu'en raison de cette violence constante que ses nominations font à l'idée replète que je me fais des patronymes et noms de personnes béninoises, je pense que Yayi Boni mérite un grand merci !
Docteur Aboki Cosme
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