Nous nous trouvons là dans une dérive qui fait de la cour constitutionnelle le bouclier politique imparable du président de la république auquel elle est soumise et dévouée. Soumission et dévotion qui ne sont pas seulement un geste de gratitude du président de la cour pour la position qu'il occupe, mais un service et une mission pour laquelle les membres de la cour constitutionnelle et lui-même sont stipendiés. Cela souligne si besoin est l'articulation des nombreux travers du système démocratique dans son rapport avec les mœurs, les pratiques et la culture politique. Ainsi, si la corruption n'existait pas, si la gouvernance était absolument transparente, si le président de la république était de haute moralité et devrait effectivement rendre des comptes sur sa gestion des biens de l'État, sa capacité à tenir les institutions de la république sous sa coupe et à s'attacher leur dévotion aurait été sérieusement réduite. Mais, il ne suffit pas que la cour constitutionnelle soit instrumentalisée pour qu’un gouvernement des juges soit effectif et prenne en otage la démocratie. Dans les grandes décisions inaugurales comme celles touchant à l'élection du président de la république, il est difficile de contester ou de mettre en doute la décision de la cour, aussi partiale soit-elle, car quel que soit son parti pris, la cour est dans son rôle. Et le rôle essentiel de la cour constitutionnelle est de statuer sur la conformité des actes des institutions avec la loi. Lorsque la cour constitutionnelle émet une décision, celle-ci, nous l'avons dit, suscite un intérêt et une réaction de l'opinion mais que ce soit le citoyen ordinaire ou les spécialistes du droit constitutionnel, les questions qui sont posées sont loin de correspondre au niveau de pertinence requise. Il y a d'abord ceux à qui la décision ne plaît pas, parce qu'elle ne va pas dans le sens de leurs attentes politiques. Mais comme la décision de la cour constitutionnelle s'impose à tous, le plaisir ou le déplaisir qu'elle suscite chez les uns et les autres n'entre pas en ligne de compte. Les connaisseurs du droit en général et les soi-disant spécialistes du droit constitutionnel en particulier quant à eux saisissent souvent l'occasion d'une décision de la cour pour faire étalage de leur science, pondre des commentaires ou des analyses qui visent soit à abonder dans le sens de la décision ou bien à la mettre en cause. Mais là aussi on se heurte à la sacro-sainte incontestabilité des décisions de la cour qui, comme chacun sait, n'est susceptible d'aucun recours. Dans leur aveuglement respectif, le profane et le spécialiste du droit ne posent pas la question de la légitimité a priori de la décision de la cour. Surtout eu égard à la réalité de l'instrumentalisation des institutions de la république sous nos tropiques qui fait de la cour constitutionnelle le donneur d'ordre ultime aux parties prenantes de la vie politique. Les acteurs de la vie politique, les citoyens, les experts autoproclamés du droit constitutionnel, tout le monde se vautre dans la polémique qu’instaurent de façon espiègle les décisions de la Cour Constitutionnelle, sans poser la question a priori de leur validité. Au-delà des passions, ce qui est préoccupant pour la santé de notre démocratie et la souveraineté réelle du peuple, ce n'est pas de savoir si les décisions de la cour sont justes ou pas, ce n'est pas de savoir si elles sont juridiquement cohérentes et motivées ou pas : la vraie question est de savoir si la cour constitutionnelle est réellement dans sa compétence à travers ce qu'elle décide. La question ne manque pas de pertinence dans la mesure où au-delà de la mise en scène de ses décisions, il apparaît clairement qu'instrumentalisée, la cour ne fait que conférer un habillage constitutionnel aux volontés de ceux qui ont nommé la majorité de ses membres et les stipendient sur la base de leur docilité et des missions qu'ils accomplissent dans leur intérêt. La cour est-elle compétente dans ses décisions ? N’outrepasse-t-elle pas son droit ? Ne déborde-t-elle pas de son territoire constitutionnel ? Dans son esprit et son essence, la constitution demande à la cour de se prononcer sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation ; elle est appelée aussi à statuer sur la constitutionnalité des actes règlementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine, ainsi que sur les conflits d'attribution entre les institutions de l'État. Or, entre cette dévolution clairement énoncée par la constitution et l’orientation et le contenu des décisions que la cour est amenée à prendre en s'impliquant jusque dans les détails des actes politiques incombant de droit aux acteurs politiques, il y a manifestement un grand écart. Le risque inhérent à cet égard c'est que, dans l'indifférence générale ou dans l'aveuglement des passions des uns et des autres, nous ne nous installions dans un régime des juges où les décisions qui relèvent des politiques, parce que ceux-ci ne les assument pas, ou auraient perdu toute légitimité, ne soient prises en charge par la cour qui, en leur conférant l'onction d'une décision constitutionnelle, les marquerait du sceau de l'incontestabilité. Cette dérive qui n'est pas le fait du hasard est une ruse politique délibérée visant à déposséder le peuple de sa souveraineté. Depuis 2006, Yayi Boni qui ne cache pas ses penchants autocratiques, abusant de l’intouchabilité des décisions de la Cour, a trouvé en cette institution l’instrument infaillible pour dicter sa volonté au peuple. Il s’agit d’une dictature constitutionnelle, d’autant plus mortelle pour la démocratie qu’à l’instar du cheval de Troie, elle se loge en son sein pour lui nuire. Ce Vice, émanation de l’éthique de supercherie de M. Yayi Boni, doit être dénoncée avec vigueur, exposée et combattue sans faiblesse. Car, il y va de la souveraineté du peuple et de la vérité de la Démocratie.
Dr Aboki Cosme
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