Quand on veut se faire une idée des gens qui se sont enrichis au Bénin depuis au moins une trentaine d’années, deux démarches s’imposent. On peut avoir une démarche sociologique positive visant à aller à la recherche de ces fortunés. Mais cela suppose qu’ils osent s’avancer et veuillent bien se révéler comme tels au chercheur. Malheureusement, en dehors de quelques-uns dont la joie de proclamer leur richesse est irrépressible, la plupart d’entre eux se cachent, sont discrets, font même le mort. Non pas tant en vertu de l’adage qui dit que pour vivre heureux il faut vivre caché, mais parce que nos riches au Bénin ne sont pas des hommes d’affaires, à moins que leurs prétendues affaires ne soient une façade d’autre chose. Comme les trafiquants de drogue notoire ou ceux qui blanchissent de l’argent sale utilisent des sociétés écrans pour cacher leur sale besogne. Non, nos riches hommes ne sont pas des créateurs géniaux ; ils n’ont jamais fait œuvre d’originalité créatrice dans l’expansion industrielle, commerciale ou entrepreneuriale. Le Bénin n’est pas du reste une exception en Afrique. À la différence que, dans certains pays africains, il y a des ressources comme le pétrole, le diamant, le café ou le cacao sur lesquelles les prétendus hommes d’affaire font mains basses, pour ensuite prétendre qu’ils s’appellent DANGOTE ou qu’ils ont telle fortune ou tel pouvoir financier. Mais les pays pauvres comme le Bénin, dépourvus de matières premières, n’ont pas de quoi fournir à leur classe de pilleurs un alibi transactionnel autonome susceptible d’entretenir l’illusion d’une fortune bâtie dans le travail honnête, la créativité et l’expansion. De même n’atteignent-ils jamais un seuil d’existence autonome où, comme chez un DANGOTE au Nigéria, ils sont financièrement à même de voler de leurs propres ailes sans être à la remorque de l’État. Or, au Bénin, tel n’est pas le cas. Nous n’avons pas de ressource de rente immense. Le seul coton que nous avons est sollicité par l’État pour assurer les grosses dépenses de son fonctionnement. Il reste les sociétés périphériques et les services qui dépendent tous de l’État ; il reste aussi le travail de gestion de l’État lui-même qu’on appelle politique. Faute d’aller butiner ailleurs sur des fleurs autonomes, nos fausses abeilles ouvrières viennent se rabattre sur le verger de l’État. C’est pour cela que, pour se faire une idée des gens qui se sont enrichis et s’enrichissent au Bénin, la deuxième méthode consiste à consulter la liste des hommes politiques et de leurs conseillers, sachant que bien souvent ceux qui réalisent des coups juteux ne sont pas ceux qui sont au devant de la scène. Si bien qu’une démarche spontanée, comme un filet à larges mailles laissera passer de gros poissons. Mais les requins, les barracuda et les bélougas du pillage de l’État béninois y resteront. Et c’est ce qui nous intéresse dans cette seconde démarche. Ainsi, en comptant sur le bout des doigts, il faudra commencer par retenir les trois présidents qui ont gouverné le Bénin depuis 30 ans : Kérékou, Soglo, et Yayi, et quelques-uns de leurs hommes de l’ombre. Parmi ces trois présidents, Kérékou s’est fait une solide fortune illégale non pas tant en raison de la quantité qu’il soustrayait à chaque fois, mais en raison de la durée de son séjour à la tête de l’État. En revanche, la fortune réalisée par un homme comme Yayi doit aux grosses quantités soustraites en peu de temps. Une source opaque de pillage qui reste non questionnée jusqu’à présent est cette manière bizarre que le Bénin a eu de découvrir du pétrole au large de Sèmè et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, en avoir déjà fait une histoire du passé. Tout porte à croire qu’il y a eu bisbille avec les parties prenantes et les gens n’ont pas craint de « vendre la maison pour aller habiter au champ ». D’une manière générale l’affaire du gisement de Sèmè, dont l’exploitation serait actuellement aux mains d’une société du Nigéria, pays de haute corruption, corrobore l’opacité corrompue et félonne qui entoure la découverte du pétrole au Bénin. Elle vient à l’appui du soupçon que ce pétrole est déjà souterrainement détourné vers le Nigeria avec l’aval d’intermédiaires béninois qui prennent leur part juteuse, ni vue ni connue sur le dos du pays. Car il ne faut pas oublier que le vol du pétrole est un sport national nigérian. Donc un certain nombre de milliardaires béninois sont à dénicher dans cette filière souterraine aussi noire que le pétrole qu’ils parviennent à blanchir. Et puis, il y a certains caciques du régime révolutionnaire de Kérékou des années 70 et 80. Des gens comme Bruno AMOUSSOU, qui a été directeur de la BCB, une banque dont les avoirs ont disparu dans la banqueroute du régime révolutionnaire de Kérékou. Ces milliards disparus à l’évidence n’ont pas disparu pour tout le monde. Bien placés, ils fructifient et font de certains des riches aujourd’hui. Prenez aussi tous les présidents des institutions qui ont organisé les élections depuis 1990. Les plus récents dont les rétributions se chiffrent en milliards–l’aune fétiche du président banquier– sont les DOSSOU Robert, les Joseph GNONONFOUN. Et déjà, M. HOLO est sur la ligne de touche et attend l’utilité dont il sera pour Yayi afin de pouvoir à son tour réclamer sa part. Et puis et surtout, il y a les soi-disant hommes d’affaires, de type Patrice TALON dont, avec l’affaire éponyme, tout le monde voit qu’ils n’ont pas d’affaires indépendantes du bon vouloir des politiques. Des hommes qui se sont entièrement faits avec la politique et qui reçoivent tout de l’État. Des hommes qui sont tout par l’État et rien sans l’État. À l’instar d’un Bruno AMOUSSOU qui a partie liée avec le pillage d’une banque, il y a ceux qui ont partie liée avec le pillage des sociétés d’État comme la SONACOP et dont le nom qui vient à l’esprit est FAGBOHOUN. Tous ceux-là ont aussi construit de jolies fortunes à partir de détournements/pillages des biens de l’État. Enfin, il y a des dizaines de ministres qui ont trempé dans des scandales liés à des projets ou à des investissements de l’État — les Fagnon, les Fassassi, et des dizaines d’autres — où ils ont impunément emporté de jolies cagnottes. Certains de ces laveurs de chèques s’en donnent à cœur joie de fêter dans les capitales occidentales les 50 milliards ou les 100 milliards qu’ils ont pu atteindre grâce à leur rapine. Ce survol rapide et spontané, à l’écart d’une recherche systématique, donne une idée du périmètre des milliardaires et des gens qui se sont enrichis au Bénin. Comme on le voit, tous ces chevaliers d’industrie gravitent autour du monde politique. Il y a certes des hommes d’affaires honnêtes au Bénin, Dieu merci et surtout des hommes d’affaires semi-honnêtes qui ont construit leurs affaires sans être directement mêlés à la politique mais ceux dont la fortune ne découlent pas de la sueur saine de leur front plissé par le travail personnel se recrutent dans le personnel politique ou dans son environnement immédiat.
Qu’est-ce que tout cela nous apprend-il ? Eh bien que la condition du Bénin est pathétique ; un pays qui n’est pas capable d’avoir des hommes riches en dehors du personnel politique est un pays pauvre et sans avenir.
Prof. Cossi Bio Ossè
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