Auteur célèbre et ancien professeur d'université, le professeur Akinwumi Isola, raconte dans une interview au journal Punch comment il a décidé de ne parler que Yoruba, comme moyen de préserver la culture et la langue du risque de disparition. Pour la saisie des propos de ce grand pionnier yoruba de l’appropriation de nos langues africaines, il convient de rappeler la grande différence conceptuelle, historique et contextuelle des rapports des Africains avec leurs langues nationales entre un pays anglophone comme le Nigeria ayant joui de la libéralité idéologique de l’indirect rule colonial anglais et un pays francophone comme le Bénin, hériter de la politique coloniale assimilationniste et du néocolonialisme interventionniste français. Au Nigéria, les enfants yoruba lisent et calculent mais aussi parlent en yoruba à l’école jusqu’à la fin du cours primaire où l’anglais intervient, à côté du yoruba concurremment dans leurs apprentissages. Les universités et des cours supérieurs enseignent, étudient le yoruba et des thèses s’écrivent dans cette langue au Nigeria. Des journaux yoruba existent par dizaines, et des œuvres écrites de toutes sortes, administratives, littéraires, fictions, vulgarisation, sociales sont publiées par milliers chaque années. Dans les Etats yoruba, le yoruba est utilisé dans l’administration soit concurremment avec l’anglais aussi bien à l’écrit qu’ à l’oral et dans certaines situations appropriées, exclusivement. Les tribunaux, rendent la justice en yoruba et les avocats défendent leurs clients en yoruba. Des phrases comme « Vous avez le droit de garder le silence ou de ne parler qu’en présence d’un avocat ; tout ce que vous direz sera retenu contre vous » sont prononcées en yoruba par les commissaires et les policiers au Nigeria. Toutes choses impensables dans le contexte aliéné qui prévaut dans un pays francophone comme le Bénin. C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’œuvre et le parcours du professeur Akinwumi Isola, dramaturge, comédien, et producteur cinématographique, militant de l’authenticité culturelle et érudit. Il est connu pour ses écrits et son travail dans la promotion, de la langue Yoruba. Isola écrit sa première pièce, Efunsetan Aniwura, en 1961 pendant qu’il était étudiant à l'Université d'Ibadan. Isola a écrit abondamment depuis lors. Ses œuvres littéraires comprennent des romans - Ogün OMODE, Ó le ku, Saworoide - et un certain nombre de pièces de théâtre, ainsi que les drames historiques : EfúnsetánAníwúrà, Olú, Abé Aabo , Kòseégbé et Ayé Ye Won Tan. Il a également publié Àfàìmò, un recueil de poèmes, (récemment traduit en anglais par Akinloye Ojo) et FABU, une collection de blagues. Il a ensuite embrassé la carrière du cinéma où, en collaboration avec le cinéaste Tunde Kelani il a produit plusieurs chefs-d’œuvre comme Efinsetan Aniwura, Saworo ide, etc… En 2000, en reconnaissance de son immense contribution, il a reçu le Prix national du mérite de l'Académie nigériane de lettres. Il a également été professeur invité à l'Université de Géorgie Badmos Alade
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Vous parlez Yoruba dans tous vos actes et fonctions aux Nigeria. Qu’est-ce qui vous a incité à prendre cette décision? J’ai pris la décision de toujours parler Yoruba à cause de mon expérience quand j’ai représenté le Nigeria à l'UNESCO. La valeur de la culture a été discutée lors de la session. Le Prof. Michael Omolewa, était représentant permanent du Nigeria auprès de l'UNESCO à l'époque, il m'a recommandé de représenter le Nigeria à la session. J’ai pris le fa (système de divination yoruba) à l'UNESCO parce que l'organisation honore les cultures partout dans le monde. J’ai dit à l’UNESCO que l'Afrique avait des chefs-d’œuvre de son patrimoine culturel à présenter au monde entier. Un formulaire de demande a été envoyé à Abuja et j’ai été contacté car l'UNESCO était intéressée par ma proposition. Il y avait de nombreuses suggestions quant à ce que nous devrions prendre à l'UNESCO. Certains ont dit que nous devrions prendre les danseurs masqués, mais nous avons opté pour le fa. Cela a donné lieu à un film que nous avons présenté à l'UNESCO. (…) Depuis lors, toutes mes œuvres et mes actes au Nigeria sont exprimés en yoruba (..) Le Japon et la Chine utilisent leurs langues dans tous les enseignements et c’est pourquoi ils ont une riche connaissance des choses. Ils comprennent mieux parce que c’est leur propre langue. Si vous allez étudier chez eux, ils vous diront d'étudier d’abord leur langue maternelle. Si vous faites affaire avec eux, ils vont parler leur langue. M. Babatunde Fashola le gouverneur de Lagos est venu donner une conférence il y a quelque temps à l’Université d’Ibadan. Il a que dit la communauté Chinoise à Lagos avait fait une proposition au gouvernement de Lagos et quand le document lui est parvenu, grande a été sa stupéfaction de voir qu’il était écrit en langue chinoise. Il a déclaré que les représentants lui ont dit que c’est leur tradition de faire tout en leur langue. C’est vous dire combien ils chérissent leur langue. J’ai tenu une conférence en yoruba dans le milieu universitaire récemment à Ekiti, Akure et Akungba consacrée à la promotion de la langue. Nos enfants regardent les bandes dessinées, je n’ai rien contre mais le problème, c’est qu'elles sont produites en langue anglaise. Nous devons commencer à faire nos propres dessins animés en yoruba pour que nos enfants puissent apprendre à travers ces productions. Même quand nous parlons anglais à nos enfants, ils parlent mal l'anglais et ne peuvent pas comprendre leur propre langue. Puisque vous avez fait des étude de français à l’université, diriez-vous que les quatre années que vous avez passées à étudier le français étaient une perte, dès lors que vous avez décidé de ne parler que Yoruba? Que diriez-vous de l'art d'écrire aujourd'hui? Et vos enfants? |
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