étèwutu.com (déjà publié en 2008)
Pourquoi Yayi Boni a-t-il Besoin de Prisonnier Politique ? D’entrée, on dira que c’est pour se faire les dents. Le jeune chiot s’initie à sa vie de carnivore en apprenant à se faire les dents sur un os, avec ou sans relief, moelleux ou sec. Il s’agit de se conférer une certaine normalité en rapport avec l’idée que le Président se fait du Pouvoir Africain. Une idée intériorisée et qui va devenir réalité. Pour cela, il convient de frapper fort et, à travers le choix du prisonnier, faire d’une pierre deux coups. C’est pour cela que le président utilise Séfou Fagbohoun comme bouc émissaire de cette nécessité, à la fois pédagogique et médiatique. Certes, Séfou Fagbohoun, n’était pas d’entrée de jeu le modèle de ce qu’on appelle prisonnier politique. L’homme d’affaire était aux prises avec la justice dans le dossier de la vente de la Sonacop. Il lui était reproché, entre autres choses, d’avoir, par un tour de passe-passe, acheté une Société d’état avec l’argent de l’état. Formulée ainsi, l’accusation était à la fois simple, démagogique et à forte charge populiste. Il n’en fallut pas plus à Yayi Boni pour sauter sur l’occasion, certes avec l’espiègle bénédiction d’un Kérékou qui n’était plus en odeur de sainteté avec l’homme d’affaire d’Adja-ouèrè, élu bouc émissaire de la lutte contre la corruption. Politique ou pas, – encore que l’étiologie de la corruption sous nos cieux est d’essence politique, – le régime naissant tenait son prisonnier. Objet transactionnel presque magique de l’image de terreur nécessaire pour mener à bien la politique de changement promis. Car quoi, imagine-t-on un président désireux de changer les hommes et les choses dans un pays africain, et qui n’inspirât pas la crainte ou n’incarnât pas lui-même ce que l’état dont il est le chef concentre de violence et d’arbitraire ? Tel est l’état d’esprit de Yayi Boni et qui rend raison de sa pédagogie de l’incarcération. En embastillant Séfou Fagbohoun, Yayi Boni réussit une opération d’une grande portée médiatique et idéologique. Il marque son territoire par rapport à la thématique de l’impunité, donne un aperçu de son tempérament, et lance un signal fort aux pilleurs de l’économie, passés, actuels ou futurs. Tout cela n’est pas sans rappeler la fameuse promesse de « faire rendre gorge » aux fossoyeurs de l’économie nationale d’un de ses prédécesseurs de marque, promesse restée hélas lettre morte. Ayant surfé sur la vague blanche du prude chevalier de la corruption, vague purificatrice censée balayer tout sur son passage, Yayi Boni a progressivement été amené à lâcher du lest. De fait, au fur et à mesure de la nécessité d’étendre son pouvoir pour mieux s’imposer à ses adversaires supposés dont la seule existence le hante jour et nuit, Yayi Boni a commencé à mettre pied dans le marécage vicieux de la corruption et du détournement. D’abord, ouvertement pour de bonnes raisons. Le travail de Président de la République en Afrique ne peut se passer d’écarts vis-à-vis des règles ordinaires de transparence financière. C’est l’hypertrophie de la dimension régalienne du pouvoir africain qui fait à la fois son intérêt pour ceux qui y aspirent et son efficacité. Entre autres dictateurs ayant prospéré en Afrique, nul n’incarne mieux que feu le Président Houphouët Boigny cet alliage autoritaire d’accaparement criminel et de paternalisme bon enfant dans la gestion des biens publics. L’hypertrophie de la dimension régalienne du pourvoir présidentiel est la chose la mieux partagée dans la sphère politique africaine, et sa naturalisation a pour elle de bonnes raisons, touchant au bon sens, et aux réalités – culturelles, sociologiques et économiques du continent. Dans ces conditions, pour Yayi Boni qui a mis lui-même le pied dans le marécage de la corruption, la question qui se pose est celle-ci : comment rester crédible en continuant de faire de la détention d’un homme d’affaires le symbole de la lutte contre la corruption, à défaut de la caution de la violence symbolique de l’état ? Comment un voleur certifié conforme à d’autres peut-il faire de la lutte contre le vol le crédo de son action ? Certes, depuis Robin des Bois, on sait que certains vols sont moins condamnables que d’autres, mais le peuple, contrairement aux dirigeants, ne trouvent in fine aucun intérêt dans la gestion patrimoniale des biens publics ; gestion à laquelle le Président Yayi a souscrit avec passion. Toutes ces raisons plaidaient pour l’élargissement de Séfou Fagbohoun. Un élargissement qui, loin d’être altruiste ou humanitaire, était opportun sinon opportuniste, dans la mesure où les difficultés politiques du Président pour maintenir sa majorité à l’Assemblée lui faisaient escompter un soutien décisif de la part de son ex-geôlier. Or la majorité devenait insaisissable. Au mépris de cette évidence, et dans l’espoir aveugle de ressouder sa mouvance, le président élargit son honorable geôlier. Quand le chiot perd son premier os, il n'a de cesse d'en trouver un autre car il a toujours besoin de se faire les dents. L’homme Yayi a des penchants autoritaires et l’ivresse des 75% de son élection en mars 2006 est tenace. A ses yeux, ce plébiscite dont le sens est mal compris lui donne tous les droits, y compris celui de laisser libre cours à ses penchants dictatoriaux. L’obsession d’être réélu marquant tous ses faits et gestes, ses élans et excès, le Président pense qu’elle dépend moins de son bilan que de son image ; et celle-ci, déconnectée de la réalité, fait l’objet d’une construction passionnée et d’une attention de tous les instants. Dès lors, tout ce qui par cette image peut contribuer à sa réélection est bon à prendre ; comme tout ce qui l’égratigne ou attente à sa sécurité est à combattre avec une vigueur qui, à l’œil de l’observateur non averti, peut paraître déplacée ou disproportionnée. Dans la recherche du prisonnier qui doit prendre le relai et fournir la caution nécessaire de l’image de Yayi-le-terrible, le Président n’a pas hésité au début de son règne à mettre en prison deux journalistes. Ces malheureux étaient accusés justement d’avoir égratigné l’image du Président en parlant de la santé mentale d’un de ses rejetons dans une allusion ressentie comme injurieuse. Mais le tollé soulevé par cette affaire et les griefs retenus contre les pauvres plumitifs n’étaient pas de taille à justifier d’en faire des prisonniers politiques dignes de ce nom, aussi les libéra-t-on. Cet incident était révélateur de la psychologie d’un homme à la fois avide de reconnaissance mais redoutant d’être mis à nu dans ses vices et travers, un homme qui aime d’autant voir magnifier son image publique, qu’il a une sainte horreur des indiscrétions sur sa propre personne et sa vie secrète. Cette tension entre le donner à croire/voir et la réalité cachée, qui est le propre de ceux qui aiment en mettre plein la vue aux autres, exaspérée à l’extrême, peut aussi expliquer pourquoi Yayi Boni a besoin d’avoir un prisonnier politique. A cela s’ajoute l’éthos de l’homme, son habitus, ses références en termes de personnalités politiques, sa culture pour ne pas dire son inculture, sa vision du monde, pour ne pas dire son manque de vision (en effet, malgré la bonne volonté laborieuse du Président, la vision du monde ne saurait se limiter à la construction de deux ponts et trois chaussées sur fond de tohu-bohu plébéien et de publicité excessive.) Le paradoxe de l’image de Yayi Boni est qu’il apparaît comme un homme politique nouveau, sans corollaire, une sorte de cheveu sur la soupe politique ambiante. Mais en réalité, il s’agit d’un homme qui a longtemps ruminé dans le secret, fantasmé et œuvré dans l’ombre pour se trouver là où il est aujourd’hui. Il est peut-être « nouveau » mais sa présence là où il est n’est pas le fait du hasard, mais le fruit d’un long désir et d’une secrète élaboration. Et ce chemin d’ombre est aussi un chemin intérieur fait de fantasmes, de rêves, d’intériorisation de modèles qui sont d’autant plus surannés qu’ils ont éclot dans la solitude et la frustration qu’impose le secret. Tout ceci explique l’anachronisme obscur des références et modèles de Yayi Boni. Le Président Soglo n’a pas tort lorsqu’en une formule cinglante, il renvoyait Yayi Boni à ses modèles qu’étaient, selon lui, les Eyadema, les Mobutu et autres Pinochet, dictateurs bien connus. Ce constat parle de lui-même car à travers ses actes, jusques et y compris tout le folklore qui les entoure, le timonier du changement n’a de cesse de faire comme ses modèles de référence, aussi déphasés soient-ils. Or folklore mis à part, pour ces modèles que son Eyadema ou Mobutu, quoi de plus normal que d’avoir des prisonniers politiques ? Comme le dit Aldous Huxley, avoir des poux dans ses cheveux n’est pas toujours une mauvaise chose car c’est aussi un compliment à la qualité de notre sang. Pour l’apprenti dictateur, un prisonnier politique dans le contexte de la démocratie ne fait certes pas bon effet, mais son usage psychologique et politique est inestimable et sans comparaison. Dans sa naïveté de novice politique, Yayi Boni n’est pas sans penser qu’avoir un prisonnier politique est une chose qui fait classe, et qui donne une certaine respectabilité fondée sur la crainte ; crainte d’ailleurs que sème sur son sillage la garde présidentielle au gré des bavures qui font régulièrement couler du sang. Car, pense le novice, en politique, plus on se fait craindre, mieux on se fait aimer. Compte tenu de tout ce qui précède, on comprend bien qu’ayant été obligé de lâcher la proie pour l’ombre dans un premier temps ; après avoir laissé filer quelques anguilles qui étaient trop lisses pour se laisser attraper longtemps, Yayi Boni soit obligé de se rabattre sur un poisson solitaire de lagune de taille et de qualité convenables, en la personne d’Andoche Amègnissè. L’homme avait tout pour jouer le rôle que lui assignait le Président. Ancien député, Président du Parti des Laissés pour Compte (désignation un tantinet populiste dont on peut imaginer qu’elle ait rendu jaloux le grand maître dans l’art du populisme), un de ses détracteurs et dont le temps ne refroidit pas le zèle bagarreur, homme politique légitime mais sans représentativité légale, redoutable communicateur, etc... Il était suffisamment introduit dans le terreau politique pour pouvoir y prendre sol et faire mal, mais pas assez pour qu’une injustice à son égard soit politiquement traduisible. C’est ce poisson des lagunes, homme politique légalement entre deux eaux, que Yayi Boni, après plusieurs mois de recherche acharnée, a choisi comme candidat à la fonction de Prisonnier politique. Qu’a-t-il fait, le représentant des laissés pour comptes pour mériter cela ? Il aurait, paraît-il, écrit dans un papier non-enregistré que « Yayi Boni bat sa femme. » Crime de lèse-majesté ! Attentat à l’image héroïque du Messie... Crime parfait ; il a suffit de la docilité incroyable de l’appareil judiciaire sous tutelle du Président pour que cette banalité se transforme en un moment décisif de sa politique médiatique de l’incarcération. Si le Prisonnier politique a un usage politique ; il sied de le dépolitiser autant que faire se peut tout en lui gardant son image politique. Un poids lourd comme Séfou Fagbohoun avait un coût politique élevé eu égard à la tourmente d’émiettement que traversait la mouvance. Les journalistes ont l’avantage d’être des faiseurs d’images ; de plus ils ne sont pas suffisamment politiques, et ont l’inconvénient d’avoir des relais auxquels sont sensibles « nos partenaires économiques. » Il ne restait plus que le Chef des laissés pour compte. Un homme abandonné de tous, à commencer par les partis dits d’opposition qui n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer de façon abstraite les supposés violations des droits de l’homme par le Président Yayi Boni mais qui, lorsqu’il s’agit de réagir concrètement, se regardent en chien de faïence. Les crimes secrets ont des dieux pour témoins, a dit Voltaire mais l'injustice tyrannique qui frappe notre compatriote Andoche Amègnissè n'a rien de secret et pourtant ses témoins sont aussi muets que des dieux... Aminou Balogun |
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.