Par Olympe BHÊLY-QUENUM. J’ai retrouvé dans les archives de mon ordinateur un document dont livre ici l’essentiel ; en 2002 , Abdou DIOUF, que je connaissais un peu grâce au Président Léopold Sédar SENGHOR, était candidat au poste de Secrétaire de l’ Organisation internationale de la Francophonie ; comme j’aimais et aime encore autant son intégrité morale que son élégance, j’effectuai le sondage dont voici le résultat tel qu’il existe dans le disque dur :
« À qui, parmi Messieurs Abdou DIOUF, Boutros BOUTROS-GHALI et Henri LOPES, accorderiez-vous votre suffrage, si, artistes, écrivains, intellectuels africains francophones, vous aviez le droit de voter ? » Les résultats :
Par Olympe BHÊLY-QUENUM. Certains journalistes savaient depuis trois mois que j’entreprenais un sondage ; il n’était pas de mes intentions d’afficher les identités de ceux et celles qui ont répondu aux questions posées, bien que tous aient jugé important d’expliciter le ou les motifs de leur anonymat : « Je préfère l’anonymat, les mœurs politiques dans nos pays obligent… » « L’anonymat est en l’occurrence nécessaire ; vous connaissez nos pays ! » «…les écrivains africains francophones, est-ce qu’ils existent en Francophonie ? Je réponds à votre sondage parce que c’est vous, mais je reste anonyme. » « Cher O.B-Q, on sait votre courage ; à quoi servirait votre sondage ? N’existent pour les clans de la Francophonie que ceux…et celles qui savent naviguer. Oui, haut la main, je voterais DIOUF ! » Plusieurs m’ont posé des questions personnelles ; en voici les plus pertinentes : 1° « Pour qui voteriez ? Et pourquoi ?» Voici ma réponse, sans équivoque :
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« Je voterais pour Abdou DIOUF, si son successeur à la Présidence de la République sénégalaise daignait permettre qu’il soit candidat, et que des Africains, dont vous et moi faisons partie étaient habilités à voter pour l’élection du Secrétaire général de l’O.I.F. Pourquoi je voterais pour lui ? Eh bien, je suis sûr de ne l’avoir jamais rencontré, à moins que ce ne soit à l’époque où, Président de l’O.U.A, il avait invité une brochette d’écrivains et d’artistes africains à travailler aux texte de l’hymne de l’Organisation ; mais j’ai reçu de lui deux lettres ; il me remerciait de lui avoir adressé un exemplaire dédicacé des Appels du Vodou, ou de La naissance d’Abikou et je m’étais aperçu qu’il avait lu, vraiment lu, l’ouvrage. Certes, les motifs invoqués ci-dessus ne sauraient suffire pour prendre une décision politique ; peu importe ; il émane de la personne de l’ex-président Diouf une fierté et une élégance morale qui font que j’ai confiance en lui, mais en personne d’autre. 2°è question : « Vous connaissez le Président BONGO, vous étiez ou êtes encore un des ses « Amis » ; pourquoi vous ne lui diriez pas « Fraternellement » qu’il a fait un mauvais choix ? » Réponse : « Il ne m’appartient pas de porter un jugement de valeur sur le ou les choix de mes amis, même « Fraternellement ». Je relève néanmoins le défi : « Monsieur le Président et cher Ami, votre choix pour le Secrétariat général de l’O.I.F. est différent du mien ; à la conférence de l’O.U.A, à L’Île Maurice, vous aviez évoqué les problèmes de l’industrie culturelle que j’ai ensuite analysés ; ils sont une des préoccupations de la Francophonie ; il nous faut, pour les appréhender et tâcher de les résoudre, mais aussi, pour ne pas faire du poste de Secrétaire général un tremplin pour des fonctions plus prestigieuses, un Africain propre, intègre, irréprochable. J’ai choisi Abdou DIOUF. Inutile de reproduire même le tiers des opinions ; mais une dizaine de sondés… » * Des années plus tard, le Secrétaire général de l’OIF m’a invité, avec mon épouse, au 10 è sommet de l’Organisation qui devait se tenir à Ouagadoudou ; une de mes observations sur le terrain objectif m’ayant franchement outragé, j’en ai fait état dans une lettre personnelle ; de quoi s’agissait-il ? Ecrivain africain francophone, les livres et la lecture sont des constantes de la vie des ex-enseignants que sont ma femme et moi ; à Ouagadougou, nous visitions des librairies, entrions dans des Bibliobus garés le long de certaines avenues. Constat : pas un livre d’écrivains africains dans les librairie ni dans les bibliobus, tandis que ceux des écrivains français bon teint et des traductions de langues étrangères étaient légion. Le sommet se tenait dans le pays de l’immense historien Joseph Ki-Zerbo et de l’excellente romancière Monique Ilboudo, alors ministre ; pas un ouvrage de l’un ni de l’autre dans les librairies, ni dans les bibliobus ; autant par curiosité que par amusement, j’ai cherché, en vain, Crépuscule des temps anciens [1]Ulcéré, deux interrogations s’irruèrent de mes profondeurs et dis devant ma femme : « qui sommes-nous dans la Francophonie ? Nègres, écrivains francophones, qu’est-ce qu’on fout dans cette pirogue ? » A Ouagadougou, j’ai vu aussi - à l’œuvre - des artisans de FrançAfique ; y collaborent des nègres compradors qu’Emmanuel Mounier, dans « Lettesa à un ami africain » en l’occurrence Alioune Diop[2] stigmatisait déjà en écrivant : « ennemis de leur propre passé... ces renégats qui n ‘arriveront qu’à produire, dans l’écume de quelques grandes villes, de faux Européens, des Européens en contre-plaqué.» A l’ère de la Francophonie, les renégats, lobbys discrets de FrançAfrique, sont aussi des inquisiteurs au service du pouvoir politique autocrate ; c’est le cas au Bénin où mes livres sont interdits de vente, après qu’un ancien normalien, agrégé de philosophe a eu ostracisé du programme scolaire un ouvrage salué par L S Senghor, Henri Quéffelec, René Maheu (feu DG de l’Unesco). Si un Blanc avait commis un tel assassinat d’une création littéraire, nous l’aurions taxé de racisme. A Dakar, le 15è Sommet de la Francophonie devrait se souvenir de la III è Conférence ministérielle sur la Culture et éviter de passer sous silence la déclaration ci-dessous de Marc Quaghebeur,parue dans Atelier « Littérature-Édition » : « Le monde francophone est loin d'être Un. Or, il souffre d'une carence profonde en matière de connaissance respective de ses histoires et de ses diversités. Par le pouvoir de fiction qui est le sien, et par la force inhérente à la forme - laquelle donne au message une résonance qui n'est pas la sienne dans la communication pure et simple - la littérature peut jouer en la matière un rôle essentiel. A condition que soient enfin prises en compte et mises en relais ses diverses composantes au sein des Francophonies. « Le destin du français - sa mutation aussi - y est lié bien plus qu'on ne le croit. Comme celui de bien des hommes et des femmes auxquels l'histoire a fait partager l'usage de cet idiome. L'heure est venue qu'ils y trouvent plus largement leur compte; qu'ils y trouvent et fabriquent un lieu d'expression et de communication où le propre peut se dire et tendre à quelque chose d'universel qui ne le bride pas. Cela ne se produira pas tant que les littératures francophones seront considérées avec des formes de condescendance par les divers systèmes hégémoniques de reconnaissance ; tant qu'elles auront intériorisé cet Etat de fait daté et qu'elles se complairont à ressasser leurs impasses respectives. « II ne s'agit donc pas de négliger la création en tant que telle, source de toute littérature, mais de l'inscrire dans le cadre de ses supports, d'édition et de lecture notamment. Rien ne sert de multiplier les possibilités d'écriture si les structures de réception par les publics concernés ne sont pas en place ou ne suivent pas; ou si celles‑ci sont essentiellement concentrées sur l'une ou l'autre métropole septentrionale, qui ne constitue pas forcément le point d'impact premier des oeuvres…. » Editeurs et journalistes auraient intérêt à mieux prendre conscience de ces réalités. La Francophonie et l’Edition, par Manthia Diawara, est un assassinat jubilatoire : une analyse roborative qui ne saurait laisser indifférents ni les écrivains, ni les critiques littéraires, ni les responsables des moyens d’information, encore moins les éditeurs dont certains sont nommément stigmatisés. Pour avoir traité ces problèmes dans Les Apatrides de la Francophonie, paru en avril 1976, dans Le Soleil, quotidien sénégalais, ensuite récidivé dans Et si nous sortions de la Francophonie ? (Le Matin, Bénin), j’en appelle à la création d’une Association des Ecrivains africains francophones, capable de lutter pour que la Francophonie ne continue pas d’être un leurre, ou « une confrérie régentée par un noyau dur ». Ceux parmi nous qui ont l’Internet, avec nom de domaine, apprécient la liberté, l’incroyable indépendance et l’audience qu’apporte cet outil sans précédent ; la langue française et la Francophonie en pâtiront beaucoup, si les mœurs et les comportements de l’ Hexagone dénoncés par Manthia Diawara demeurent sans solutions radicales. Pour ce faire, l’O.I.F. a besoin d’une personnalité crédible, efficace, de grande ouverture d’esprit qui n’agglutinerait pas autour de son ipséité une coterie à son seul service. Comme la majorité des sondés de 2002, je reste optimiste mais Wole Soyinka, Prix Nobel de Littérature, a récemment posé un autre problème, non pas au sujet de la Francophonie, mais de l’écrit. Oui, l’édition. Dans l’Hexagone, l’édition peut tuer et tue l’écrit de nombre d’écrivains africains francophones ; en pâtissent ceux qui, sans perdre de vue les réalités politiques, sociales, les corruptions et les crimes d’Etat dans leur pays, se ressourcent dans ce que j’ai nommé L’Afrique des profondeurs. C’est là que, sans être démiurge au sens grec du terme, on peut créer une œuvre prémonitoire à un événement politique, comme au Burkina Faso ; quand l’édition étouffe une telle création, se pose alors la question : pourquoi écrire en français ? Ma réponse : parce que francophone, je ne sais pas bien écrire dans mes langue maternelles, d’ailleurs langues de non lecteurs, hélas !. Olympe BHÊLY-QUENUM [1] Nazi BONI était natif de l’ex-Haute Volta,; j’avais beaucoup aimé son roman ; ma critique me valut les félicitations de Robert Delavignette et de Robert Cornevin [2] Fondateur de Présence Africaine. |
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