par Philippe NOUDJENOUME
THEME : « LA QUESTION DU REGIONALISME ET DE L’UNITE NATIONALE » Mesdames et messieurs, Chers amis journalistes, soyez les bienvenus au Siège de mon Parti pour ce point de presse. I - ACTUALITE DE LA QUESTION. Mesdames et messieurs, partout aujourd’hui dans tous les milieux politiques et sociaux s’invite les débat sur le régionalisme. Des propos tels que « je ne suis pas de la bonne région pour avoir tel poste » ou pour réussir à un concours. Ou bien « Il fait avoir un patronyme d’une telle consonance pour voir la porte d’un concours ouvert à soi » ou encore « Candidat du sud ou « candidat du nord » etc. s’entendent tous les jours dans les cénacles privés et débordent souvent dans l’espace public créant une atmosphère de méfiance entre personnes du même pays. Autrement dit, l’impression générale de plus en plus partagée est que les chances ne sont pas égales selon que l’on est né ou originaire de telle ou telle région. Malheureusement ces propos graves pour l’unité nationale prennent appui sur des faits réels. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les principaux gestionnaires des postes-clé de l’appareil d’Etat pour se rendre compte de la question : les régies financières notamment en sont une expression palpable. Cette situation exacerbe, développe à rebours des émotions et réflexions ethno-régionalistes de plus en plus exprimées dans la partie sud du pays créant un véritable danger de conflits à connotation régionale préjudiciable à l’unité des peuples du Bénin. Des débats multiples s’animent autour des questions comme celle de quota comme base de répartition des cadres dans l’administration ou celle d’un fils du sud comme prochain Président de la république parce que disent ces régionalistes du sud sur les 54 années d’indépendance, le nord en a occupé les ¾. Tout propos qui occulte complètement ce fait notable que ces pratiques du pouvoir de YAYI- justement condamnables- n’entament nullement le déséquilibre interrégional en défaveur des régions septentrionales créé par la colonisation depuis 1894. La question du régionalisme est donc redevenue surtout en ces temps de compétitions électorales un débat d’enjeu politique. Certes YAYI Boni est allé très loin dans les pratiques ethno-régionalistes. Mais est-il le premier et le seul ? Nullement. |
Depuis 1960, tous les pouvoirs qui se sont succédé à la tête de notre pays ont pratiqué à des degrés divers le régionalisme et l’ethnocentrisme. Depuis 1960, la politique de la haute bourgeoisie- qu’elle soit du nord ou du sud- a été une politique ethno-régionaliste qui a toujours visé à opposer les peuples entre eux, empêcher leur union, pour la pérennisation de la domination et l’exploitation impérialistes. Le cas du pouvoir de Kérékou-PRPB de 1972 à 1990 est à considérer de très près. En effet de tous, il apparaît ayant pratiqué le moins l’ethno-régionalisme. D’une part, parce que les membres de sa cour sont diffractés dans toutes les nationalités du Bénin ; d’autre part parce que sa région d’origine n’a bénéficié d’aucune infrastructure pendant son règne. Mais de 1996 à 2006, Kérékou n’a pas hésité à pratiquer comme tous les autres cette politique ethno-régionaliste sans fard. Des ministères étaient ethno-régionalisés. Généralement la frange de la haute bourgeoisie qui accède au pouvoir a toujours prétendu représenter son ethnie, sa région et parler en leur nom au détriment des autres. Dans l’opposition, elle a toujours tenté d’utiliser cette corde sensible ethno-régionaliste pour accéder au pouvoir. La dernière tentative de constitution de l’Union des fils descendants de Tado dans la Grande Union fait la Nation en est une illustration. Il suffit de voir qu’au ministère du Plan (sous le pouvoir de Kérékou) au temps d’Amoussou Bruno, la langue officielle de ce ministère était l’adja pour comprendre le problème, comme aujourd’hui la langue officielle- dit-on- de la Présidence de la République est le nago. La politique ethno-régionaliste en œuvre autour de YAYI Boni n’est donc pas la première. Mais celle-ci est plus systématique et prend une allure d’autant plus révoltante que la manne à partager se réduit par suite de la crise, du rétrécissement du marché de l’emploi et du chômage généralisé de la jeunesse. Par ailleurs, du fait du rétrécissement de la manne à partager, les nationalités ou régions que le pouvoir de YAYI Boni prétend représenter ne sont même pas satisfaites et ne peuvent d’ailleurs l’être. Seule une infime minorité de personnes généralement liées directement aux membres du sérail du pouvoir arrivent à tirer leur épingle du jeu laissant dans la misère l’immense majorité. II- LA QUESTION DU REGIONALISME ET DE L’ETHNO-CENTRISME N’EST PAS NOUVELLE Depuis la fin des années 1890, avec l’agression de notre pays par le colonisateur français et la réunion par la force des armes de ses peuples ou groupes ethniques en un Etat colonial, appelé Dahomey, la question de disparités régionales et ethniques- la question du régionalisme et de l’ethnicisme- n’a jamais cessé de marquer la vie politique publique de notre pays. Véritable serpent de mer, le débat régionaliste et ethniciste réapparaît à tous les tournants politiques importants de notre vie nationale : 1958, 1963 avec le renversement de Maga ; 1991 avec l’échec de Kérékou aux présidentielles et les graves événements de mars 1991, La prégnance des considérations régionales et ethniques sur la politique des divers gouvernements ayant présidé aux destinées de notre pays depuis 1960 a été dénoncée très tôt par les forces et mouvements progressistes des années 1960-1970. Et le plus scientifique, pour ne pas dire le plus éclairé des représentants de ce mouvement progressiste d’alors fut incontestablement feu Guy Landry HAZOUME. Son livre intitulé « Idéologies tribalistes et nation en Afrique : le cas dahoméen », édité à Présence africaine en 1972 a pendant longtemps servi de bréviaire à la jeune génération de militants révolutionnaires africains et béninois que nous étions dans les années 1970 (militants de l’UGEED, de la FEANF, du FACEEN, de la LNJP, de la JUB etc.) sur la question du régionalisme et l’unité nationale. Il est donc heureux que des hommes épris d’équité et de justice s’émeuvent de cette spirale suicidaire pour le pays et veuillent tenir sur la question un « FORUM DE RÉFLEXION ET D’ÉCHANGE SUR LA PROBLÉMATIQUE DU RÉGIONALISME ET DE « L’UNITÉ NATIONALE » Et l’objectif poursuivi est louable qui s’exprime ainsi « Engagés par le passé, malgré leurs différences politico-idéologiques, pour la cohésion de notre pays, ils voudraient créer, avec leurs amis et compagnons d’hier, mais également avec les plus jeunes d’aujourd’hui, une opportunité, une occasion pour mieux cerner le phénomène régionaliste et pour y proposer des solutions d’endiguement dépouillées de toute hypocrisie politique. » (Cf. texte d’appel et de motivation du forum). Mon Parti, le Parti Communiste du Bénin a tenu sur la question beaucoup de forums, a émis sur la question beaucoup de réflexions depuis sa création en 1977. De façon particulière deux colloques sont à mentionner. C’est celui de 1991 et celui de 1997. Tout cela a fait l’objet du livre « La question du régionalisme et de l’ethnocentrisme- Disparités régionales et politique de développement équilibré du pays » qui vient de paraître en Octobre 2014 et qui résume l’essentiel des thèses du Parti communiste sur la question. III- QUELLE EST DONC LA POLITIQUE DU PARTI COMMUNISTE DU BENIN SUR LA QUESTION DU REGIONALISME ET DE L’ETHNOCENTRISME ? Pour commencer définissons ce que c’est le régionalisme et l’ethnocentrisme ? Dans mon ouvrage « Démocratie au Bénin. Bilan et perspectives, édition L’Harmattan 1999, je soulignais le danger de la question en ces termes : « La prévalence des idéologies ethno-régionalistes dans la pratique politique des populations béninoise n’est pas une surprise ; elle est une donnée objective et cette donnée répond à l’existence d’ethnies ou groupes ethniques à personnalités affirmées les unes par rapport aux autres ; la coexistence de ces ethnies secrète une « idéologie » c’est-à-dire ‘’un rapport vécu des hommes ‘’ béninois à la politique et donne lieu à une solidarité ethnique, chose tout à fait normale… C’est l’utilisation de cette ‘’solidarité tribale’’ par des hommes politiques à des fins politiques jusqu’à l’exclusion d’autres solidarités ou son érection en antagonismes négateurs qui est le mal. Tout dirigeant politique qui ne veut pas seulement gérer, mais gouverner ce pays multi-ethnique doit prendre en compte cette réalité et lui donner corps à travers la Constitution et l’organisation interne de l’Etat » C’est cette politique qui se traduit dans le mot d’ordre d’autonomie administrative. Le pays est un pays multinational dans ce sens qu’il est composé de plusieurs nationalités. Il est essentiel que l’on en prenne conscience avec ce que cela appelle comme politique adéquate à mettre en œuvre. Ces différentes nationalités étaient à des niveaux différents de développement économique et social à la veille de la conquête coloniale. Certaines avaient atteint le niveau de formation économique et sociale avec l’apparition de l’Etat caractéristique d’une société de classes antagoniques. La plupart étaient de communautés primitives en désagrégation. Ces différents niveaux ont influé certainement sur la formation de traits ; soit de développement, d’attitude d’homme aliéné dans une société de classes antagoniques (méfiance, individualisme) soit de maintien d’attitude d’homme gentilice avec sa franchise, sa liberté et sa fierté naturelles. Ces traits sont transitoires et ne constituent point les attributs de telles ou telles tribus ». Il est naturel qu’un membre d’une ethnie donnée, d’une nationalité déterminée ou d’une région milite activement pour l’épanouissement de son ethnie ou de sa nationalité ou pour le développement économique de sa région. Un tel phénomène ne peut être condamné, au contraire. Il n’y a là rien de reprochable tant que ce désir de développement et d’épanouissement ne porte pas atteinte à une ethnie ou à une nationalité voisine. On doit même y voir de la générosité, de la noblesse de cœur et de sentiment lorsque ce désir de développement et d’épanouissement est perçu dans le sens de l’intégration des ethnies, des nationalités et des régions du pays. - Le régionalisme, en fait primaire, intervient lorsque le militantisme pour sa région ou son ethnie intervient.. Le désir précédemment caractérisé est porté jusqu’à l’exclusivisme, jusqu’à l’expression de la volonté de développement de sa région au détriment des régions voisines. Si cet exclusivisme est porté sur la tribu ou l’ethnie ou la nationalité, on a affaire respectivement au tribalisme, à l’ethnocentrisme, au nationalisme étroit, tous primaires. - Le tribalisme, l’ethnocentrisme, le chauvinisme national et le régionalisme primaire n’interviennent à l’échelle des tribus, des ethnies, des nationalités et des régions, en tant que phénomène négatif au niveau des peuples, que lorsque des dirigeants se fondent sur les sentiments au départ nobles ou primaires pour développer des politiques de même nom en vue de la représentation des localités d’un pays. S’il existe des origines profondes et objectives à de telles politiques, celles-ci n’ont pu se développer et se perpétuer que parce qu’il existe des hommes pour les promouvoir, les distiller et les appliquer. Ainsi, dans notre pays, la haute-bourgeoisie et la couche supérieure de la petite-bourgeoise ont été les auteurs du régionalisme. C’est là le véritable régionalisme. Aussi, faut-il distinguer soigneusement les auteurs du phénomène des masses populaires qui n’y ont aucun intérêt. La politique du Parti Communiste du Bénin en matière de la question nationale au terme de question ethnique-depuis sa création a toujours été formulée de la manière suivante dans tout programme du Parti « Libérer et unir les nationalités ». Elle est opposée à toutes formes de régionalisme et d’ethno-centrisme, à toutes formes d’exclusion sur la base de région ou d’ethnie, et peut se flatter sans aucun narcissisme d’être le Parti le plus national du Bénin, c’est-à-dire le Parti de toutes les nationalités du pays. - Libérer le pays et ses nationalités de la domination étrangère, et notamment en ce qui concerne les langues nationales toutes dominées et niées au profit exclusif du français ; - Instaurer l’autonomie administrative étendue jusqu’au niveau des villages et quartiers de ville. Le découpage territorial du pays en région devrait se faire sur la base ethnique. Les ethnies importantes pouvaient être divisées en plusieurs régions sans empiéter sur les ethnies voisines. Dans tous les cas, les responsables administratifs locaux doivent être élus (et révocables) par les populations ; Ce qui donne 39 régions : Cotonou étant érigée en une région Les régions sont divisées en communes ; la commune en arrondissements ;les arrondissements en quartier de ville ou village ;La région est directement rattachée au pouvoir central. Chaque région sera en contact avec l’Académie par l’intermédiaire de ses correspondants. Les Chefs de Région étant élus par la population de la Région. Chaque région aura sa radio diffusion – et sa Télévision pour mettre en valeur son patrimoine culturel Un Parlement à deux chambres : la Chambre des Députés et la Chambre des Nationalités composée de Représentants de nos Dignitaires et des Rois chargée d’examiner la conformité des lois avec les valeurs traditionnelles positives. Les députés seront élus par région. Pas de liste nationale. La création au sein de la Cour suprême (à l’instar du Nigeria), d’une Chambre Traditionnelle, composée de dignitaires traditionnels siégeant comme juges en cassation des litiges mettant en œuvre les us et coutumes des peuples de notre pays provenant des Chambres traditionnelles près les cours d’appel des régions. La reconnaissance des Rois, Chefs de terre, Chefs des couvents Devins comme juges locaux et rétribués comme fonctionnaires de l’Etat. La création au niveau de chaque village d’un tribunal de conciliation. Enrayer en priorité l’analphabétisme de toute la population à l’aide des langues nationales en instruisant les enfants scolarisables dans les langues nationales et en alphabétisant les adultes. . Voilà pour l’essentiel la politique de notre Parti adoptée depuis sa création en 1977 et largement partagée aujourd’hui avec d’autres partis et Organisations de la démocratie révolutionnaire réunie au sein de la Convention patriotique des Forces de Gauche. Cotonou le 19/11/2014. Je vous remercie. Philippe NOUDJENOUME Premier Secrétaire du PCB et Président de la Convention Patriotique des Forces de Gauche. |
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