Il y a un aspect de la rhétorique qu’on peut appeler la rhétorique symbolique, basé sur des sous-entendus ou des suppositions que le locuteur espère son auditoire accepter ou faire siens sans qu’il y ait besoin de les évoquer. Et la force d’un tel discours réside dans l’usage qu’il fait du silence et du non-dit. Ainsi dans les postures qui se prennent dans la perspective des prochaines élections présidentielles, ce type de rhétorique est déjà à l’œuvre. Dans son aspect fallacieux, il met en jeu des raisonnements basés souvent sur le sophisme ou le paralogisme. Sans prise de tête, disons que le sophisme est un raisonnement qui cherche à paraître rigoureux mais qui en réalité n'est pas valide au sens de la logique (et cela quand bien même sa conclusion serait pourtant « vraie »). À l'inverse, le paralogisme est une erreur dans un raisonnement, commise si on peut dire de bonne foi.
Ainsi dans la posture des généraux qui au Bénin rêvent de présidence et piaffent d'impatience à cet effet, est mise en œuvre cette rhétorique symbolique.
Il va sans dire que ces généraux espèrent de chacun de nous qu’il les considère comme relevant de la grande lignée des généraux illustres qui, de par le monde, ont marqué l'histoire de la politique ; qu’en tant que généraux, nous penserions qu'ils ne descendent pas de la cuisse de Jupiter, mais au contraire ont de qui tenir ; qu'ils ont derrière eux une longue histoire de généraux hommes d'État sur les traces desquels ils entendent faire leur chemin. Et cela seul suffit pour légitimer leur ambition, la naturaliser de part et d'autre de l'axe du temps. Quelques exemples suffisent pour faire entendre raison aux sceptiques ou aux ignares, en rupture de ban avec l'histoire Tenez, le général De Gaulle était général et président ! Napoléon Bonaparte était général et président, enfin empereur pour être plus précis… Moustapha Kemal, le fondateur de la Turquie moderne, était général et président… Et, poursuivant leur scansion historique, et pour se faire plus plausible, on imagine que nos généraux béninois n'oublieront pas de mentionner l'exemple nigérian. Ainsi, d'un ton sûr d’eux, ils diront en chœur : « même plus près de nous… » Et oui, plus près de nous en effet, au Nigéria, Obasanjo a été général et président… Donc suivez mon regard, nos généraux n'ont pas à rougir--pour peu du reste qu'ils le puissent--d'entrer dans l'arène de la présidence, puisque bien avant eux, toute une lignée de généraux célèbres ont donné leurs lettres de noblesse aux noces fécondes entre le généralat et la présidence. Seulement voilà, le raisonnement a comme un défaut à la cuirasse. En effet tous les généraux que dans leur rappel historique pompeux nos postulants à la magistrature suprême ont cités, comme ceux qu'ils ont omis, sont devenus généraux ou ont fait leurs preuves de général sur le terrain de bataille, dans une guerre qui opposait leur pays à d'autres nations. Ils ont conquis et mérité leur grade à la sueur de leur front et parfois, au sang de leurs veines. Moustapha Kemal était surnommé le « sauveur des Dardanelles » et considéré comme un héros militaire dans son pays. Le général De Gaulle en France, est l'homme de la résistance et du non à la soumission aux Allemands. Ne parlons plus des faits d’arme nombreux de Napoléon Bonaparte. Et, pour utiliser la même formule que nos généraux rhéteurs, « plus près de nous » Obasanjo a été l'un des hommes clés de la guerre du Biafra… Autrement dit, les généraux présidents auxquels il est fait référence ici ont tous conquis ou mérité leurs titres sur le terrain où ils ont aussi démontré leur capacité de meneur d'hommes. Alors, quelle guerre le Bénin a jamais fait contre quel pays et au cours desquelles ces généraux ont conquis leurs galons pour vouloir nous diriger ? Tout le monde sait du reste que depuis dix ans Yayi Boni tire un plaisir idiot à nommer et grader qui il veut dans l’armée, à faire des généraux à sa guise et selon son bon plaisir. Peut-on comparer ces généraux de papier à De Gaule, Napoléon, Atatürk, ou même à Obasanjo ?
A l’évidence, nous sommes en pleine rhétorique symbolique. Et le raisonnement mis en lumière ici est frauduleux, plus près du sophisme que du paralogisme. Raison de plus pour se méfier de ces généraux de papier comme de la peste.
Adenifuja Bolaji
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