Depuis l’affaiblissement de l’empire d’Oyo par les Fulani, le royaume du Dahomey a pu se libérer de la tutelle séculaire des Yoruba. Cette libération a suscité une rage de vengeance rétrospective, qui a marqué l’attitude du roi Ghézo et de ses successeurs vis-à-vis des Yoruba. Pour laver l’opprobre de leur sujétion passée, les rois d’Abomey étaient obsédés de conquérir les villes et royaumes yoruba, notamment Oyo et Abeokuta. Cette obsession vengeresse coûta du reste la vie au roi Ghézo qui fut assassiné près de Ketu, au retour d’une de ces nombreuses incursions en pays Yoruba. Après la mort de Ghézo, Glélé reprit le flambeau. En Février 1860, les Dahoméens étaient à deux jours d’Abeokuta, et avaient détruit le village d’Idanyin entre Ketu et Meko, massacré nombre de ses habitants en faisant un grand nombre de prisonniers. Les infortunés furent emportés à Ouidah où au bord de la mer des sacrifices humains étaient faits. Comme toujours dans ces cas, on imagine des scènes de cruauté dans une atmosphère empesée d’odeur de sang et de putréfaction.
Deux années plus tard, en 1862 le roi Glèlè attaque la ville d’Isaga près d’Abeokuta, et fit beaucoup de morts et de prisonniers qui connurent le même sort. En 1864, Glèlè attaque directement Abeokuta, mais « ce fut une piètre entreprise qui s’est soldée par une victoire exemplaire » comme l’écrit le révérend Père Burton, un Anglais dont le point de vue, on l’imagine, reflète celui de son pays soutien intéressé des Yoruba contre le Dahomey.
Excepté quelques escarmouches en 1860, Ketu fut laissé comparativement en paix pendant quelques années. Mais, comme cela arrive lorsqu’une nation connaît la paix de l’extérieur, c’est à l’intérieur que Ketu connut des tourments. Quelques années plus tard des troubles civils éclatèrent dans la ville.
« À Ketu il y avait depuis longtemps deux associations (Ègbè) rivales : Ègbè Mayehun et Ègbè Afujere. La première était en grande partie composée de fermiers, dont la plupart vivaient plus ou moins éloignés de Ketu pendant les saisons des labours ou des récoltes de l'année. L’Ègbè Afujere étaient principalement formée par les commerçants de la ville comprenant quelques riches musulmans. » Les deux associations étaient rivales. Leurs relations étaient devenues tendues à la suite des perturbations consécutives au suicide du roi Adegbede en 1858. La plupart des chefs de guerre appartenaient à l'association Mayehun qui soutenait la solidarité avec les yoruba, tandis que les commerçants, plus entreprenants, avaient soutenu la famille Alapini dont était issu le monarque défunt, et seraient en faveur de la paix et du commerce à tout prix avec le Dahomey. » En 1867 un conflit ouvert éclata à Ketu. Le président de l'association Afujere, appelé Arigba, a séduit la femme de l'un des principaux chefs de guerre Mayehun, nommé Kanawan. Ces hommes étaient trop importants pour que quiconque intervienne, à l'exception de l’Alaketu. Quand l’affaire fut porté devant ce dernier, il la laissa traîner, ne voulant s'aliéner l'une ou l'autre partie. » Peu après, l'association Afujere organisa une récréation dansante. Des chansonniers improvisaient et l'un d'eux si imprudemment fit des allusions sournoises aux déconvenues matrimoniales de Kanawan. Les spectateurs protestèrent et une bagarre éclata entre les deux associations. Les coups firent place au coutelas, et du sang coula. Les hommes se précipitèrent vers leurs cases pour aller chercher leurs fusils. Il y eut bientôt 40 personnes mortes dont les corps gisaient dans la rue. » Pendant plusieurs jours, la guerre civile fit rage à Ketu. L'association Afujere chercha des alliés à Meko, mais sans succès. Celle de Mayehun se porta au village d’Isonu, et là, trouva par hasard la cause principale des troubles civils, Arigba, le président de l'association Afujere. Sa tête fut ramenée à Ketu et la femme qu'il avait volée fut restituée à son mari légitime. » Déjà, des esprits plus sereins avaient commencé à percevoir la nécessité d'aboutir à la paix, et étaient prêts à une négociation. Mais dans ce processus le roi Adiro fut l'objet de beaucoup de critiques. L'association Mayehun l'accusa d'avoir favorisé les citadins et d'avoir négligé de rendre justice. L’association Afujere considéra Alaketu comme responsable de sa défaite finale. » Le roi Adiro, en proie à la panique, crut à une conspiration susceptible de le mener à une fin semblable à celle de son prédécesseur. S'estimant abandonné de tous, il quitta secrètement Ketu pour chercher asile à Meko ou il avait quelques amis. » Cette réaction inattendue provoqua un revirement en sa faveur à Ketu. Les ministres du trône ne savaient que faire, car cette situation était sans précédent : comment traiter d'un cas d'abdication qui n'était jamais advenu auparavant dans la longue histoire de Ketu ? Ils envoyèrent des émissaires supplier Alaketu de revenir dans sa capitale. Mais rien ne pouvait l'en persuader. Il semble que le peuple de Meko a été ravi d'accueillir Alaketu car il avait depuis longtemps des ressentiments envers l'attitude présomptueuse des gens de Ketu. Il fit donc de son mieux pour garder le monarque. Il a failli en venir à la bagarre avec le peuple de Ketu, mais ce dernier en avait assez de se battre et ainsi la situation retourna graduellement au calme. » Le roi Adiro ne retourna plus jamais dans sa capitale. Finalement un successeur a été nommé, et l'on considéra qu’Adiro a abandonné son titre royal. Il n'était pas cependant heureux dans le choix de son refuge, car avant d'attaquer Ketu en 1883, les Dahoméens avaient saccagé Meko. L’ex-roi devait trouver la mort pendant la bataille dans cette ville.»
Présenté par Binason Avèkes, d’après The Story of Ketu, E.G. Parrinder, trad. française Toussaint Soussouhounto
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