Quand on voit l'âge moyen des délinquants et autres area boys qui sévissent dans les quartiers ainsi que l'âge moyen des gangsters--une petite vingtaine au plus --quand on voit leur nombre à Lagos et dans les grandes villes du pays, quand on voit leur virulence et leur violence, la hargne implacable dont ils font montre, on se dit que tout cela traduit un échec de l’éducation. Si l'école avait fait son œuvre, à supposer qu'elle pût accueillir tous les enfants du pays et les conduire jusqu'à un âge certain ; si l'école, pour ceux qui en ont bénéficié, avait pu déboucher sur une formation et un emploi, il serait normal d'espérer que le grand nombre de déscolarisés ou analphabètes, abandonnés à eux-mêmes, les milliers de sans-emplois qui peuplent les villes, bref que tout ce beau monde ait mieux à faire que d'aller grossir les rangs des gangsters qui infestent les villes et se livrent à des activités criminelles de toutes sortes : kidnapping, trafic de drogue et d'armes, arnaques directes ou sur Internet, vol à mains armées, viol, recel de cadavres, etc... Et c'est la où apparaît le rapport entre la politique et la vie sociale, la politique et la sécurité, entre la corruption des hommes politiques et la corruption généralisée dans la société. Le Nigéria qui est le sixième producteur mondial de pétrole est aussi un pays dont les ressources sont pillées sans états d’âme par les élites et les gouvernants. Le montant de ces pillages se chiffre en centaines de milliards de dollars par an. À tous les niveaux, la corruption bat son plein ; les hommes politiques s'empressent de remplir leurs poches, leurs joues et leurs abajoues et les sommes volées par individu atteignent des montants astronomiques, qui n'ont aucune commune mesure avec ce qu'on peut imaginer, encore moins ce dont un être humain a besoin pour vivre. Ces sommes astronomiques soustraites des caisses de l'État servent à des dépenses somptuaires, à se payer pour un seul homme des maisons sans nombre pour chacune de leurs maîtresses et dans chacune de ces maisons une ribambelle de voitures de toutes marques etc. Malgré ce train de vie pharaonique, où les plus en vue ont même des jets privés et d'autres facilités du même genre, la plus grande partie des sommes qui sont détournées des caisses de l'État du Nigéria va échouer sur des comptes off-shore dans des paradis fiscaux de l'Occident, sans servir à rien d'utile ni pour le Nigéria qui se prétend la plus grande nation noire d'Afrique ni pour cette dernière elle-même. 1 % de ces sommes détournées par 50 000 nigérians depuis 50 ans aurait suffi à hisser le pays de l'abîme de pauvreté et d'injustices sociales dans lequel il croupit, de cette situation paradoxale d'un pays riche de ses ressources mais pauvre en qualité de vie humaine pour la plus grande majorité de ses habitants. La question de l'école aurait été réglée. Dans les villes, dans les campagnes et les hameaux reculés qui forment ce géant de l'Afrique de l'Ouest, les besoins en instruction et en santé publique seraient couverts. Et une politique économique exigeante, s'appuyant sur les ressources propres et les priorités stratégiques aurait mis au travail la grande majorité des Nigérians. La misère serait jugulée ; les capacités créatrices des hommes et des femmes libérées pour le plus grand bien du Nigéria et du continent africain. Mais tout cela n'est que rêve, car la réalité est plus sombre et plus affligeante. La criminalité est un recours pour un nombre croissant de Nigérians, pour la plupart jeunes, pour qui elle constitue une école et souvent hélas le seul moyen de survie. Et, comme on le voit, il y a un lien entre la corruption des élites et la corruption dans la société tout entière ; il y a un lien entre les crimes économiques des élites (politiques et ou économiques) et les activités criminelles du Nigérian ordinaire, des gens comme BASHIRU, qu’un passage en prison, au lieu de détourner de la voie déviante de la criminalité, y a enfoncé davantage. Souvent en un regard cynique, lorsque dans les films de Nollywood, interviennent des scènes de vol à main armée --vols qui hélas souvent se soldent par des morts-- ils m'apparaissent comme un beau tableau de la lutte des classes. Une petite bande d'une demi-douzaine de voleurs à mains armées s'introduit dans le domaine huppé d'un de ces membres de l'élite située du bon côté du pillage. Les jeunes hommes armés font la loi, tirent sur tout ce qui bouge, violent, volent, tuent en quelques minutes et s’égaillent dans la nature avec leurs butins. J'y vois un juste retour des choses, la compensation, certes violente et aléatoire, d'une injustice de fond enracinée dans la société nigériane. Je me dis que si ces jeunes qui se sont imposés par leurs armes, ont violé et tué tout une famille apparemment paisible et innocente, si ces jeunes avaient eu la chance d'une bonne éducation ; si les caisses de l'État n'avaient pas été pillées et qu'au contraire ces ressources avait été utilisées pour leur formation et leur emploi, ces jeunes auraient eu leur place dans la société et ne seraient pas des voleurs, des assassins. Le raisonnement, je l'admets, est purement idéologique et abstrait, vu qu'on ne peut pas ramener le crime, qui est chose normale dans toute société, à une question de règlement de compte moral ou sociologique. Mais au Nigéria, la criminalité a outrepassé la norme sociologique. Et au vu de l'horreur de l'injustice sociale, de la violence inimaginable de l'écart entre les riches et les pauvres, l'idée que plus d'un vol à mains armées, plus d'une intrusion des voleurs chez les riches s'impose comme une explosion à retardement. L’évidence de ce lien n'a pas échappé à un des croisés de la lutte sous régionale contre la corruption et pour l’éthique, l'ex-président du Ghana, Jerry Rawlings qui, dans un discours récent prononcé à Abuja sur invitation de l'institut national d'études législatives du Nigéria déclarait : « nous vivons dans des pays où les petits voleurs sont emprisonnés tandis que des hommes d'affaires ou les politiciens qui détournent des millions de dollars ne sont pas inquiétés. »
Dans un pays où, à Nsukka par exemple le diocèse le plus pauvre de cette ville de l'État d’ENUGU, l'installation d'un évêque a coûté la bagatelle de 335 millions de nairas soit plus d’un 1 milliard de francs CFA, on mesure la violence symbolique de l'inégalité et du pillage au Nigéria. Mais la source de ma première réflexion sur l'expérience malheureuse de BASHIRU ne vient ni de ce constat politique touchant la société nigériane ni du regard subjectif que j'y porte. Cette source est beaucoup plus banale et provient d'un commentaire fait par un internaute sur le cas BASHIRU. Comme il arrive souvent sur les Forums de discussion sur Internet, le commentateur ramène brutalement l'affaire à une explication d'ordre ethnique et dit : « les Yoruba et leur quête d'argent facile. Pas une goutte de pétrole ne vient du pays yoruba, malgré cela, ce sont eux qui portent atteinte à notre fierté nationale. Derrière chaque acte de vandalisme se cache un BALOGUN ou un ABIODUN. » Et le commentateur, un certain BELUCHI qui, a travers ce pseudonyme, ne fait pas mystère de ses origines ibo, de conclure que les Yoruba sont aussi néfastes que le groupe terroriste BOKO HARAM. Évidemment, cela suffit pour déclencher une volée de flèches plus ou moins empoisonnées de la part des internautes yoruba blessés dans leur identité par ces attaques racistes. Il faut dire que Yoruba et Ibo sont peut-être deux ethnies du sud mais deux ethnies qui se détestent passionnément. Comme l’illustre la polémique absurde, consécutive au décès de Chinua Achebe, dans laquelle les fondamentalistes Ibo qui, en son temps, avaient accusé Wole Soyinka d’être la main occulte derrière l’accident qui handicapa à vie leur idole ethnique, prenant prétexte de l’absence du Prix Nobel à la cérémonie des obsèques de son confrère, s’en donnent à cœur joie de répandre des rumeurs tendancieuses sur le signe de mépris que traduirait cette absence considérée par eux comme volontaire et délibérée. Le commentaire de BELUCHI apparaît à première vue polémique. Il exprime un ressentiment de fond que les Ibo éprouvent vis-à-vis des Yoruba, comme la réaction indignée et tout aussi agressive des Yoruba correspond au même mépris. Les Ibo en tant que grand groupe ethnique du sud-est, ont eu historiquement maille à partir avec leurs voisins de l'Ouest, les Yoruba, qui forment l'autre grand groupe ethnique du sud. Les contes et les légendes yoruba abondent de conflits historiques entre Yoruba et Ibo où ceux-ci sont perçus comme des monstres par ceux-là ; mais aussi ces histoires traduisent l'interpénétration culturelle entre les deux peuples. Toutefois la source du mépris qui est la plus dominante semble moins provenir des légendes anciennes que d'un chapitre douloureux de l'histoire récente postcoloniale, non même pas des rapports entre Yoruba et Ibo, mais de l'histoire du Nigéria : la guerre du Biafra. Conflit dans lequel alors qu'ils étaient victimes d’exactions et de tueries de la part du nord musulman, les Ibo ont été meurtris de constater que leurs voisins et cousins sudistes yoruba n'ont pas hésité à prendre le parti de leurs bourreaux. Ce choix stratégique et vital des Yoruba, les Ibo ne le leur ont jamais pardonné. L’inimitié née d'une blessure profonde apparaît souvent dans les rapports et les regards croisés des ressortissants de ces deux ethnies du sud qui se méprisent passionnément. La guerre de Biafra était la conséquence politique tirée par l'élite ibo des nombreuses exactions dont leurs ressortissants étaient victimes dans la partie septentrionale du pays. Elle traduisait certes au niveau des élites ibo une bonne volonté politique plus ou moins mal acceptée par les autres composantes ethniques du Nigéria, notamment les nordistes. Rappelons qu'avant la proclamation de la sécession ibo, un coup d'état avait précédé, mené par des cadres ibo de l'Armée Nigéria. Si la guerre du Biafra est d'abord pour les Ibo une guerre légitime d'autodéfense, au plus fort des représailles et de la contre-offensive de l'Armée fédérale dirigée par YAKUBU GOWON, un officier nordique derrière lequel tous les nordiques s’étaient unis comme un seul homme, les Ibo espéraient qu’une certaine conscience régionaliste s’imposerait aussi au sud en leur faveur. En effet, le soutien des autres ethnies du sud, notamment celui des Yoruba aurait renforcé cette perception proto-régionaliste manichéenne du conflit. Or, il n'en fut rien. Au nom de l'unité nationale, justification qui n'était pas seulement un prétexte pour cacher la crainte partagée des anti-sécessionnistes que la sécession allait les priver de la manne du pétrole, les Yoruba manquèrent à l'appel de la solidarité régionaliste. Cette trahison, il semble que les Ibo en firent l'une des raisons politiques de leur échec militaire et en conçurent à l’endroit des Yoruba un ressentiment profond et quasi inextinguible. Ce ressentiment profond est d'autant plus vivace qu’il est étayé sur une représentation de la position géographique des Yoruba perçus par les Ibo comme leurs cousins sudistes, au détriment d'une représentation historique plus mouvante, plus dynamique qui traduit en réalité la position médiane de l'ethnie yoruba qui, dans sa diversité politique est un groupe géographiquement du sud mais historiquement et politiquement à cheval entre le Nord et le Sud ; position médiane qu’illustre la situation géographique de l'État de Kwara qui, de son origine de royaume yoruba centré autour d’Ilorin conquise par les Peuhls et Hausa, est devenu aujourd'hui un État ethniquement mixte, un carrefour interethnique regroupant Yoruba, Bariba, Peuhls et Hausa. C'est dire que le ressentiments des Ibo à l’endroit des Yoruba que traduit le commentaire de BELUCHI ramenant brutalement les actes de vandalisme d’un ressortissant yoruba à un problème de mentalité ethnique est fondée en partie sur une erreur de perception et un malentendu. Les Ibo considèrent les Yoruba comme des cousins sudistes, traîtres et profiteurs alors que même s'il y a un peu de traîtrise et beaucoup de réalisme dans ce qu’a été et continue d'être leur attitude dans la Fédération du Nigeria, on doit à la vérité de dire que la position politique nationale des Yoruba ne s'appréhende pas à travers le seul prisme de leur identité de sudistes non-assumée. Ceci en grande partie parce que les Yoruba ne s'appréhendent pas comme sudistes ; ils ne se sentent pas enfoncé dans le sudisme en dépit de leur situation géographique, mais s'appréhendent comme un groupe ethnique médian, situé à l’ouest. Cette appréhension de soi des Yoruba, incomprise des Ibo est la source du ressentiment qu’ils éprouvent à leur endroit depuis au moins la guerre du Biafra. C'est dire que nous sommes, dans cette affaire, en plein conflit de représentation et de mentalité. Car même moi qui ne suis pas Nigérian, quoique plus d'un lien m’unit à ce pays, j’eus quelque mal à contenir l’indignation causée par l'algarade du soi-disant BELUCHI. Pour nous autres Béninois, les Yoruba sont un peu comme nos ambassadeurs ethniques au Nigéria. Ils sont notre ethnie de référence. Même si dans les faits, nous voyons moins de Nigérians yoruba au Bénin par exemple que de Ibo. La raison en est que le Yoruba nigérian qui traverse la frontière en direction du Bénin n’est pas vu comme un étranger, alors que l'étranger nigérian commence avec les autres ethnies, y compris les Ibo. Le Yoruba est ressenti comme un frère direct alors que le Ibo est considéré comme un cousin, citoyen d'un État frère. L'autre raison de cette proximité c'est que, outre les nombreux avatars ethniques des Yoruba qui peuplent l’est du Bénin s'étendant de Porto-Novo jusqu'à hauteur de Savè et même au-delà, l'ethnie majoritaire que constituent les Fon est en vérité un métissage historique et symbolique entre les Adjas et les Yoruba. Donc, pour moi, instinctivement, un Nigérian est d'abord un Yoruba, et ce en bien comme en mal. On comprend qu’à l'instar des commentateurs yoruba qui ont réagi vivement au commentaire fielleux de BELUCHI, j’eusse ressenti la même envie de rabattre son caquet à cet impudent que je percevais comme de la trempe des haineux qui répandent des rumeurs délirantes sur le mépris supposé de Wole Soyinka à l’endroit de Chinua Achebe, parce que celui-là avait été absent aux obsèques de celui-ci. Mais, ma première réaction fit long feu. Et j'en revins assez vite. M’efforçant d'y injecter un peu de lucidité, j’en arrivai à convenir, qu’à tout bien penser et analyser, les Yoruba étaient loin d'être des saints. Sous ce rapport, m'apparut clairement une différence entre les Yoruba du Bénin et les Yoruba du Nigéria. Les Yoruba du Bénin sont plus doux, moins dynamiques certes mais de sang moins chaud, moins nerveux. Les deux versants nationaux de la même ethnie partagent certes un goût immodéré pour les activités commerciales mais en la matière, pétrole oblige, les Yoruba du Bénin sont des élèves de leurs maîtres nigérians. Au Nigéria, l'amour de l'argent est plus fort et plus obsessionnel qu’au Bénin. Au Nigéria, on nomme facilement son enfant OWOLABI, ou une ville OWODE, qui sont autant d'hommages rendus au dieu argent. Un trait naturel marquant des Yoruba s'exprime dans deux habitudes culturelles et psychosociales que sont le aɖura/εpε et le agidi. Les Yoruba, qu'ils soient du Bénin ou du Nigéria, sont une ethnie qui donne une importance performative et religieuse au verbe, à la parole. Ceci s'exprime dans leur valorisation de la bénédiction( adura), comme dans l'importance que prend sa variété négative que constitue la malédiction(εpε). Mais au Nigéria, ces éléments s'expriment avec plus de force, de fréquence et de contrainte qu’au Bénin. Le agidi en revanche est très prononcé dans le caractère des Yoruba du Nigéria, et s'inscrit à la fois comme une éthique et une esthétique des rapports interpersonnels et sociaux ; c'est un élément qui mesure à la fois la valeur de l'intentionnalité, de la volonté, de l'image de soi et la face intersubjective en tant qu'ils s'expriment par le verbe et les gestes. La valorisation de l’agidi explique la violence relative que l'on ressent dans le caractère des Yoruba du Nigéria. Violence physique, psychique et violence des passions. Associé au goût immodéré pour l'argent, cette violence inhérente à l'éthique de l’agidi conduit aussi à des excès criminels. Raison pour laquelle il n'est pas étonnant qu'au Nigéria, les Yoruba occupent la première place au hit-parade des actes délictueux et constituent d'un point de vue ethnique la première population représentée dans les prisons ou qui a maille à partir avec la justice. Viennent ensuite les Ibo puis les ressortissants des autres ethnies minoritaires du sud avant les Peuls ou les Hausa du Nord. De même, à l'extérieur du Nigéria où le tempérament fraudeur de certains nigérians s'exporte volontiers, les Yoruba et les Ibo sont représentés dans cet ordre dans la population carcérale des États-Unis et de la Grande-Bretagne où ils détiennent souvent une place numérique de choix pour et par rapport à des crimes de diverses natures parmi lesquels l'escroquerie ou la tentative d’escroquerie vient en tête. C'est dire que le commentateur BELUCHI n'a pas tort de relever ce vice de la criminalité relativement prononcé parmi les Yoruba, même si dans la tendancieuse lecture ethnique qu'il fait de ce vice, il feint au passage d'oublier que l'ethnie Ibo à laquelle il appartient, à n'en juger que par les registres carcéraux ou judiciaires, est placée, elle aussi, en bonne position. Donc, d'un point de vue culturel et des mentalités, et en rapport avec l'appartenance ethnique, force est d'admettre que les registres carcéraux et judiciaires portent témoignage d'une tendance à la criminalité --hormis la criminalité politique --plus forte chez les Yoruba et les Ibo dans cet ordre que chez les Hausa du Nord. Et, loin de tenir les nordiques pour des saints, force est de constater que les sudistes--qu'ils soient de l'Est ou de l'Ouest--ont tendance à s'adonner aux activités criminelles plus que leurs compatriotes du Nord, hormis bien entendu les faits relevant du terrorisme ou de l'intolérance ethnique ou religieuse qui secouent régulièrement la société nigériane et que BOKO HARAM a porté à leur point culminant. Les crimes dont il est question ici évidemment sont ceux qui relèvent de la criminalité ordinaire, constitués par les escroqueries, les vols à main armée, les viols, les kidnappings, les trafics de drogue, le vandalisme de toutes sortes dont celui qui sévit sur les pipelines est l'un des plus répandus.
Pour autant, doit-on s'enfermer dans une explication essentialiste et ramener la propension au crime comme relevant d'une mentalité spécifiquement liée à la culture d'une ethnie ? N'existe-t-il pas plutôt des déterminants sociologiques et historiques qui rendent raison de la plus grande propension d'une partie des sudistes au crimes et délits de droit commun ? D’autres déterminants qui expliquent la plus grande tendance des Yoruba, parmi les sudistes, à s'adonner aux activités criminelles ; des raisons autres que le goût de l'argent facile mis en avant de façon polémique par le commentateur BELUCHI ? D'un point de vue sociologique, c’est un truisme de faire remarquer que les villes sont plus criminogènes que les campagnes ; et de ce point de vue les mégapoles et les grandes villes sont des lieux plus criminogènes que les villages et petites villes de province. Or, la plus grande ville et de loin la plus peuplée du Nigéria mais aussi la plus riche est Lagos. Étant la plus grande capitale du pays yoruba, il est normal que Lagos qui exerce sur elle-même et sur son voisinage immédiat une attraction sociologique indéniable, concentre la plus grande part des activités criminelles du pays. Même si Lagos est une mégapole fédérale, il reste que les Yoruba y sont plus nombreux, notamment parmi les jeunes qui sont les plus attirés par les activités criminelles. Et, au-delà de Lagos, tous les autres États yoruba voisins subissent l'influence de la grande mégapole nationale. Cela, plus qu'un essentialisme ethnique douteux, peut expliquer que les Yoruba se retrouvent plus souvent que leurs autres concitoyens en travers de la loi dès lors qu'ils subissent à leur corps défendant les conséquences néfastes de la réunion de beaucoup de facteurs : économiques et urbains, mais aussi éducationnels qui sont comme cela a été relevé plus haut, d’étiologie politique. Toutefois, le facteur de la criminalité urbaine seule ne suffit pas à rendre raison du fait que les deux grandes ethnies du sud, Yoruba et Ibo, ont une contribution à la criminalité plus élevée que les ethnies du Nord. Ce qui conduit à considérer le facteur historique. Ainsi, si on mesure dans le temps et surtout aux aurores de l’amalgamation de ces groupes ethniques disparates en un regroupement colonial unique qui allait par la suite donner naissance à la fédération du Nigéria, on se rend compte que les dispositions à l'ouverture de ces groupes ethniques vis-à-vis du colonisateur et de sa culture ne sont pas les mêmes ou de la même nature au sud qu'au Nord. Aussi, la proximité des Ibo, qui sont en quasi-totalité christianisée, même si l'opération ne s'est pas faite à bras ouverts, est d'ordre religieuse et symbolique. Tandis que le colonisateur, dans son prosélytisme d'inspiration chrétienne a dû composer avec la part islamique des Yoruba que l'influence du Nord musulman, avait déjà prélevé dans son giron. Centré autour des villes portuaires de Badagry puis surtout de Lagos, l'influence occidentale coloniale a pris une forme économique et marchande dans le pays yoruba. Alors que, comme c'est le cas de toutes la région sahélienne de l'Afrique de l'Ouest, l'influence culturelle et symbolique de l'Occident colonial dans le Nord a été limitée à sa portion congrue, en raison de l'identité islamique qui y prévalait. En clair, les régions et les ethnies où la tendance à la criminalité est la plus forte au Nigéria apparaissent aussi comme les régions qui ont été exposées à la culture occidentale sans un système symbolique ou politique de préservation. Dans le cas des Yoruba, l'influence a été plus marchande et économique que symbolique et culturelle ; tandis qu’ avec les Ibo ce fut tout l'inverse. Au total, le commentaire de BELUCHI à propos du vandalisme anti-pipeline de BASHIRU, dans lequel il lit le prétendu goût immodéré des Yoruba à l'argent facile est tendancieux et provocateur ; il participe du mépris réciproque que Yoruba et Ibo se sont toujours voués depuis des temps immémoriaux et que la guerre du Biafra a contribué à exacerber de façon douloureuse. Le commentateur BELUCHI passe à côté de la vérité mais ne l'énonce que de manière préjudicielle et partiale sans aller à la racine des vraies raisons, sociologiques et historiques, du constat qui étaye son discours polémique.
Adenifuja Bolaji
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