Le grand drame de la politique africaine est le manque total de respect pour les peuples que témoignent les dirigeants. Surtout dans le contexte de la démocratie fallacieuse qui, un peu partout, à coups d'élections truquées, se met en place et en scène dans l'espace politique ; assujettit les peuples et les cloue au pilori du silence ; semblant leur dire : « Vous vouliez la démocratie ? Eh bien nous y voilà, il n'y a plus rien à dire. La démocratie n'est pas comme la vie : elle n'a pas d'au-delà » ; surtout si elle est mimétique, ironique, fallacieuse, théâtrale, farce-attrapeuse… Dans toute démocratie, le respect des peuples par les dirigeants est sacré. Ce respect s'exprime à travers la peur de l'opinion, la crainte qu'elle n'approuve pas les actions du dirigeant, si elle ne se retourne pas contre lui ; la crainte que ne se déclenche, de foyers de rébellion en foyers de rébellion, la grande Révolution de tout le peuple. Et à défaut de la Révolution, la crainte du verdict des urnes, ce grand moment où le peuple fait entendre sa voix, confirme ses dirigeants, ou au contraire les répudie sans appel. Mais de tout cela, nos dirigeants africains n'ont cure. Du peuple électeur, même pas peur ! Le peuple rebelle à la poubelle ! On n'a pas peur du peuple électeur parce que les élections ne dépendent pas du peuple, qu’elles sont truquées, parce que chaque dirigeant à son peuple, ce que par exemple au Bénin, le président Yayi a appelé « les miens du pays profond », et qui n'a rien à voir avec le peuple réel du pays réel. En matière de respect, nos dirigeants n'ont rien à voir avec le peuple, toutes leurs craintes, leurs « stupeur et tremblements » sont dirigés ailleurs. Le dirigeant africain n'a de crainte à manifester qu'à l'international ; il n'a peur que du regard paternaliste héréditaire des nations occidentales qui souvent lui ont mis le pied à l'étrier. C'est d’eux et d’eux seuls qu'il a peur. C'est seulement eux qui peuvent, le cas échéant, lui donner des sueurs froides, lui faire perdre le sommeil. En définitive c'est à eux et à eux seuls qu'il a des comptes à rendre. Il est vrai que bien souvent c'est eux qui le nomment, comme naguère ils nommaient les gouverneurs des colonies ; nomination préalable que la farce des élections vient couvrir dans un second temps dans une farandole de fraude, de corruption et de gabegie souvent absurde au regard des moyens limités des états africains. Un théâtre de supercherie qui coûte plusieurs dizaines de milliards pour des pays où la grande majorité vit dans la misère. Donc la quantité de mouvement du respect qu’éprouvent nos dirigeants reste constante à ceci près que, loin que ce soit envers le peuple qu’ils le manifestent, c'est pour leurs maîtres occidentaux que nous dirigeants tremblent. Et le mépris de nos nations pour ne pas dire de notre race par les occidentaux, le rapport écrasant et mystifiant qu'ils entretiennent dans notre imaginaire et que la réalité de la différence économique, technologique, intellectuelle et politique traduit sans nuance, ce mépris disons-nous se décline de bas en haut avec une égale stupeur. Nos dirigeants ne craignent pas seulement leurs homologues occidentaux mais ils ont aussi une peur bleue du moindre de leurs représentants : ambassadeur, ministre, envoyé spécial, député, etc. Normal, dirions-nous ; comme le dit le proverbe yoruba quand on craint un animal, il faut aussi respecter ses traces sinon ses excréments. Le caractère surdéterminé de ce complexe dans lequel se drape la peur projette celle-ci en boule de neige sur tout ce qui a trait à la société occidentale. Notamment et surtout la presse. Alors que le dirigeant se soucierait comme d'une guigne de tout ce que peuvent raconter des dizaines voire des centaines d'organes de presse sur un sujet donné de son action, il suffit d'une simple allusion faite au même sujet par la presse d'un pays occidental quelconque pour que le même dirigeant africain panique et enfin prête attention au charivari que faisaient ses propres concitoyens et la presse de son propre pays et auquel ils n'opposaient jusque-là que mépris et sourde oreille. Le cas de figure de cette misérable extraversion s'est produit récemment au Nigéria. La scène se passait autour du drame de l'enlèvement des 200 lycéennes de Chibok. On s'en souvient, cet enlèvement a suscité beaucoup d'indignation et d'émotions à travers le Nigéria et le monde entier. Et un mouvement est né pour exiger la libération immédiate des filles. Le mouvement a pour slogan le hashtag : « BringBackOurGirls ». Relayé un peu partout dans le monde, surtout par de grandes personnalités américaines comme Michelle Obama, le slogan et le mouvement qui le porte ont fini à la fois par agacer le gouvernement nigérian et susciter sa crainte.
Malheureusement, jusqu'à présent les lycéennes ne sont pas libérées et selon les échos qui parviennent de leur horrible captivité, elles sont quotidiennement soumises à des viols ce qui assimile leur enlèvement à une réquisition sexuelle à des fins de terrorisme. Mais malgré cette douloureuse impasse, et parce qu'il a bénéficié de la reconnaissance mondiale, le mouvement « BringBackOurGirls » tient le haut du pavé médiatique au Nigéria. Cette notoriété est telle que les responsables de la campagne présidentielle--au demeurant illégale parce que précoce--de Jonathan s'en sont donné à cœur joie d'en faire un détournement pour le moins cynique. Un peu partout dans les grands espaces urbains ont surgi de grandes affiches montrant la photo du président Jonathan avec le slogan parodique « BringBackJonathan2015 ». Parodie sans vergogne ni scrupule et d'une outrecuidance scandaleuse. Évidemment, l'opération n'est pas passée inaperçue. Les mouvements qui luttaient pour la libération des jeunes filles, l'opinion, la presse, les personnalités intellectuelles, des O.N.G. etc. sont montés au créneau et ont exprimé leur indignation devant ce scandale, ce manque de respect pour la souffrance des filles en captivité en exigeant qu’il y soit mis fin immédiatement, mais hélas en vain. Durant plus de deux semaines le cynisme du camp présidentiel est resté droit dans ses bottes. Ne craignant rien ni personne parmi tous ces braillards nationaux, le gouvernement et ses sympathisants ont fait la sourde oreille. Et puis tout à coup, voilà que le Washington post dans un entrefilet laconique fait allusion à l’événement en montrant une image des affiches en cause avec le commentaire : « ceci pourrait être le slogan politique le plus inapproprié de l'année » pour que tout d'un coup, le gouvernement nigérian se réveille de sa léthargie et change de braquet. Et la communication officielle se désolidarise de l'opération qu'elle voue aux gémonies, en demandant l'enlèvement des affiches.
Moralité de toute cette affaire ? Eh bien, comme cela a été dit plus haut, le grand problème de notre situation politique en Afrique, notamment dans le contexte dit de démocratie, c'est le fait que nos dirigeants n’ont aucun respect pour leurs peuples dont ils tiennent pourtant officiellement leur mandat ; que si la quantité de mouvement de leur respect reste constante, celui-ci est en revanche entièrement réservé aux milieux et aux instances politiques extérieurs à nos nations--les occidentaux pour ne pas les nommer, leurs maîtres et seule référence politique.
S'il en est ainsi, comment les aspirations des peuples africains peuvent-elles jamais aboutir ?
Binason Avèkes
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