Le Cas de la Chine C'est l'ivresse des grands nombres : en 2010, 8 millions de bébés chinois sont nés par césarienne. Soit un sur deux. Un taux à comparer avec les 21 % enregistrés en France, déjà considérés comme relativement élevés et qui font suspecter des abus. Pour mieux saisir l'ampleur du phénomène, poursuivons avec d'autres chiffres publiés mercredi 20 août dans une étude parue dans le British Journal of Obstetrics and Gynaecology (BJOG). Très bas dans les années 1980, le taux de césariennes en Chine a explosé avec le développement économique du pays, passant de 3 % en 1988 à 39 % en 2008 et à 52 % deux ans plus tard ! Au point que des chercheurs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont, en 2010, pu parler d'une "épidémie" de césariennes dans certaines régions du monde, dont la Chine. Dès 1985, l'OMS a d'ailleurs expliqué que rien, sur le plan médical, ne justifiait de dépasser un taux de naissances par césarienne supérieur à 10-15 %. Pour en terminer avec les chiffres chinois, ajoutons qu'on note une nette différence entre villes et campagnes mais que, même en milieu rural, un tiers des venues au monde se font suite à cette opération (un taux comparable à celui des Etats-Unis). En milieu urbain, le taux se situait en 2010 à 57 % (après un pic à 64 % en 2008). Pour la seule ville de Shanghai, on a, toujours en 2010, enregistré 107 330 naissances par césarienne, soit exactement 60 % du nombre de naissances par césarienne pour toute la France la même année... Au-delà des chiffres, l'étude du BJOG tente d'identifier les causes de ce phénomène de très grande ampleur. La première explication qui vient est aussi la plus simple, presque une lapalissade. Si la Chine connaît une explosion de cet acte chirurgical, c'est d'abord parce que les femmes accouchent beaucoup plus à l'hôpital qu'il y a quelques décennies. L'article indique notamment que la proportion des naissances en milieu hospitalier est passée de 54 % en 1993 à 82 % en 2002 et qu'aujourd'hui rares sont les accouchements à la maison. Ce mouvement a été renforcé par l'urbanisation galopante que vit le pays, lequel comptait en 2010 50 % de citadins contre seulement 20 % trente ans auparavant. Une autre série de causes, moins évidentes, est liée au fonctionnement du système de santé. Même si, en raison de la politique de l'enfant unique, la Chine a vu en un demi-siècle son taux de fécondité chuter énormément pour arriver à 1,6 enfant par femme de nos jours, il n'en reste pas moins qu'en raison de la population gigantesque du pays (presque 1,4 milliard d'habitants), le volume total d'accouchement à "gérer" chaque année reste élevé : 16 millions de bébés annuels représentent 44 000 naissances par jour. Or le système a bien du mal à suivre le rythme car, pour 1 000 habitants, le nombre de médecins, d'infirmiers et de sages-femmes est trois fois moins élevé en Chine que dans des pays comme la France, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis. De plus, toujours à cause de la politique de l'enfant unique, ce sont surtout des primipares qui accouchent dans l'Empire du Milieu, lesquelles nécessitent en moyenne un nombre d'heures de soins nettement plus important que les femmes ayant déjà donné la vie... Les hôpitaux sont donc engorgés et une solution gestionnaire consiste à viser la rapidité et l'efficacité, donc à opter pour une opération chirurgicale qui se programme et dure une demi-heure. Un autre effet "pervers" du système est lié à l'argent. Les revenus que perçoivent les hôpitaux et les médecins pour un accouchement par césarienne sont plus élevés que pour un accouchement par voie basse. L'étude du BJOG précise également que le corps médical, souvent visé par des recours en justice lorsque les choses tournent mal – recours qui se soldent souvent par des compensations financières –, est sans doute aussi tenté de jouer l'ultra-prudence, la sécurité au moindre risque et de choisir l'opération pour échapper à un accouchement compliqué. Enfin, toujours dans les raisons liées à l'argent, on trouve la couverture sociale, meilleure en cas de césarienne pour les femmes vivant à la campagne. Enfin, dans liste des causes expliquant pourquoi la Chine atteint un taux aussi gigantesque de césariennes, on trouve un effet psychologique et social directement issu de la politique de l'enfant unique. La pression de la famille (et de la belle-famille) étant importante, cette naissance unique doit être une naissance parfaite. La césarienne est, dans ce cadre, devenue la norme moderne de l'accouchement : elle est perçue comme plus efficace, moins douloureuse pour les femmes et aussi comme moins dangereuse même si, sur ce point, les statistiques montrent au contraire que, pour la mère, les risques sont au moins trois fois plus élevés que pour un accouchement par les voies naturelles. Mais il y a aussi des risques à long terme et, selon l'étude du BJOG, c'est là que le taux extravagant de césariennes en Chine pourrait se retourner contre les femmes et le système de santé. Une césarienne n'est pas un acte banal, anodin. Il s'agit d'une véritable intervention chirurgicale dont la principale séquelle est une cicatrice dans la paroi de l'utérus. Celle-ci peut s'avérer une véritable faiblesse par la suite, notamment si une autre grossesse intervient. La cicatrice peut lâcher lors du travail (risque qui justifie souvent le recours à une autre césarienne), causer des problèmes d'implantation du placenta, entraîner des hémorragies ou des hystérectomies d'urgence. Tant que l'on n'a qu'un seul bébé, ce qui est souvent le cas en Chine, cela ne prête pas vraiment à conséquence. Mais, indique l'article du BJOG, avec l'assouplissement de la politique de l'enfant unique qui a été décidé fin 2013, tous ces risques pourraient subitement resurgir... L'étude conclut laconiquement qu'"avec des césariennes répétées, l'actuelle balance bénéfice-risque changera". Un euphémisme pour dire qu'après une épidémie de césariennes, on pourrait assister en Chine à une épidémie de problèmes gynécologiques. |
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