Merci, mille mercis pour les précieuses informations que ton séjour actuel au Canada te permet de me fournir. Pour notre bonne gouverne à tous, leur richesse, gage de leur utilité, va sans dire ! Et malgré tes navettes entre New York et Ottawa, en bon patriote, tu as encore le temps de te pencher sur les nouvelles du pays, et de t’en passionner comme d’habitude. C’est ainsi que, à propos du Nigeria, notre grand voisin de l’est, tu n’as pas manqué de tiquer à la lecture d’une information dont l’inspiration douteuse et les répercussions fatales sur le Bénin ne t’ont pas parues anodines. Au contraire, il faut que tu les aies jugées suffisamment sérieuses pour réagir à leur propos. « On parle de la disparition prochaine du Nigeria, me dis-tu, est-ce que tout cela est sérieux, où avons-nous affaire à des charlatans à la petite semaine aidés par une presse avide de sensation ? » Effectivement, mon cher Pancrace, moi-même j’ai lu l’info. Le journal Nouvelle tribune a répercuté les élucubrations d'un charlatan politique béninois, au vrai sens du terme, qui vaticinait sur la dislocation du Nigeria au-détour de 2015, date de l'élection présidentielle dans ce pays voisin et frère. Mais pas de panique, cher ami. Grand est le risque de tomber dans le piège de ce que les linguistes appellent "l’effet performatif" d'une annonce, à savoir le fait de participer à l'annonce que l’on émet de par le fait même de l'émettre. Une note confidentielle de la CIA avait d'ailleurs elle aussi lancée la même rumeur alarmante même si elle a été officiellement et formellement démentie par les autorités américaines. Les intérêts de la CIA sont-ils ceux d'un média africain, ouest-africain et plus précisément béninois, c'est-à-dire directement frère du pays concerné, le Nigeria ?
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Comme tu le dis toi-même, et je reconnais par là ta lucidité logique, tout cela pose le problème de la situation politique du Nigeria. De cette situation, qu’en est-il, réellement, en dehors des informations sur Boko haram données par l’AFP que relaie volontiers une certaine presse béninoise qui, après l’avoir ignoré durant des années, feint de découvrir le Nigeria, non seulement comme un pays voisin, mais un grand pays dont dépend largement le Bénin ? C'est dans ces conditions que l'équation politique apparaît à la fois comme source d’espoir ou cause possible de l'explosion annoncée. D'où la pertinence de ta question, mon cher Pancrace : qu’en est-il exactement de la situation politique du Nigeria ? Eh bien, globalement les espoirs placés dans l'élection de Jonathan en 2011 par les Nigérians ont été déçus ! L'enfer est pavé d'illusions dit-on. Le pouvoir de Jonathan brille par sa médiocrité, son incapacité à prendre à bras-le-corps les problèmes du pays et à y trouver réponse. Comme dans beaucoup de pays africains--et l'exemple du Bénin sous Yayi est édifiant à cet égard--la médiocrité a été aggravée par une approche politicienne de l'action politique toujours obnubilée par l’obsession de la réélection. En clair, pour Jonathan les bonnes actions publiques, décisions ou initiatives sont exclusivement celles qui garantissent et amplifient ses chances de réélection. Or une telle option de gouvernance est totalement inadéquate et ne fait qu'aggraver la médiocrité congénitale du pouvoir, à moins qu'elle n'en soit la cause. Voilà en gros, mon cher Pancrace, l'ambiance politique au Nigeria à une année des élections présidentielles. La situation devrait continuer à se tendre entre les deux camps jusqu'à l'approche du moment fatidique. Jonathan et les siens, comme on peut le comprendre, sont décidés à garder le pouvoir. Toute la question est de savoir si cette volonté s'actualisera par des élections justes, transparentes et exemptes de toute fraude ; ou bien au contraire, par un hold-up électoral à la béninoise. Dans tous les cas, les élections de 2015 au Nigeria ne se feront pas dans la douceur. Il y aura comme en 2011 des protestations voire des émeutes d'une partie du pays dans la mesure où la victoire ou la défaite aura au goût régionaliste. Mais il n'est pas sûr que la colère et les violences qui en découleront puissent conduire à cette dislocation du Nigeria que vaticinent sans gêne certains charlatans politiques si le président élu l'a été suivant la libre expression de l'écrasante majorité des Nigérians. Mon cher Pancrace, après ce bref aperçu de la situation politique du Nigeria, il me faut être très clair sur un point. Malgré ses difficultés, le Nigeria est sans doute ce qui est arrivé de mieux à l’Afrique noire en terme d’espoir et de cadre de construction d’une nation. C’est un pays qui a d’énormes potentialités économiques et humaines. Il représente déjà un échantillon du rêve d’unité cher aux panafricanistes. Comment peut-on rêver d’unir l’Afrique si on accepte comme fatalité la disparition du Nigeria ? En tout cas, pour nous autres, il faut savoir que toute explosion du Nigeria ne laissera pas intact le Bénin. Avis donc aux prophètes de mauvaise augure et autres charlatans en mal de publicité : ce n’est qu’un mauvais calcul que de spéculer sur la disparition du Nigeria. Et puis, sincèrement, le Fâ qui nous a été donné par nos frères Yoruba du Nigeria doit-il servir à spéculer sur leur malheur ? Mon cher Pancrace, connaissant très bien ta conception des rapports entre la morale et l’histoire je ne conçois aucun doute sur ta réponse à cette question. Et, de même, tout doute sur notre amitié n’a aucune ombre. Bon séjour en Amérique du Nord A bientôt Binason Avèkes |
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