Né en 1901 à Tunapuna sur l’île de Trinidad, alors colonie de la Couronne britannique, et mort dans le quartier de Brixton à Londres en 1989, Cyril Lionel Robert James est une figure majeure de l’histoire intellectuelle et politique du XXe siècle, qu’il a traversée de part en part. Encore largement méconnu en France, où n’ont à ce jour été traduits que son classique, Les Jacobins noirs : Toussaint Louverture et la révolution de Saint-Domingue, ainsi qu’un recueil de textes Sur la question noire aux États-Unis [1], James est l’auteur d’une œuvre foisonnante. Dans le monde anglophone, sa pensée nourrit les pensées critiques contemporaines, tout particulièrement la théorie marxiste et les cultural et postcolonial studies, qui se partagent et souvent se disputent son héritage. Cricket et littératureDe son enfance à Trinidad, James aimait évoquer le souvenir de ses deux passions : le cricket d’un côté, qui, de son aveu même, instille en lui pour toujours l’éthique puritaine de l’Angleterre victorienne ; la littérature de l’autre, en particulier les œuvres des grands écrivains anglais, Shakespeare, Dickens et surtout le Thackeray de La Foire aux vanités. Élève puis enseignant au Queen’s Royal College de Port of Spain, James désire poursuivre une carrière littéraire. Il écrit plusieurs nouvelles remarquées (La Divina Pastora, Turner’s Prosperity, Triumph) et un roman, Minty Alley [2], qui dépeignent la vie quotidienne dans les quartiers pauvres (barrack-yards) de la ville.
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Faisant ses premiers pas en politique, il devient un partisan réformateur de l’autonomie (self-governement) des Antilles, sinon de leur indépendance, et rédige un ouvrage sur une figure politique locale, The Life of Captain Cipriani : An Account of British Government in the West Indies [3], dans lequel il écrit :
Cette acerbe critique n’implique nullement la remise en cause, par James, de son Englishness, dont il témoignera tout au long de sa vie. Ce qu’il dénonce alors, c’est, pour reprendre les mots de l’intellectuel libéral indien Dadabhai Naoroji, l’« Un-British rule » qui prévaut dans les colonies britanniques. Évoquant son départ pour l’Angleterre en 1932, James écrira, non sans ironie : « L’intellectuel britannique se rendait en Grande-Bretagne » [5]. Révolutionnaire-historienFraîchement débarqué en Angleterre, James passe plusieurs semaines à Londres, où il fréquente les cercles littéraires du quartier de Bloomsbury. Il rejoint ensuite la petite ville de Nelson, où il aide le célèbre joueur de cricket trinidadien Learie Constantine à écrire sa biographie, Cricket and I (1933), et où il s’intéresse de près aux luttes sociales autour de l’industrie textile. Fasciné par l’Histoire de la révolution russe de Trotski, mais aussi par Le Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler, il étudie méthodiquement les écrits de Lénine et de Marx. Ayant obtenu un poste de chroniqueur sportif auprès du Manchester Guardian, pour lequel il couvre la saison de cricket, il s’installe à Londres où il intègre l’Independent Labour Party et se lie étroitement avec le mouvement trotskiste. En 1937, il est l’auteur de World Revolution, 1917-1936 : The Rise and Fall of the Communist International [6], virulente critique des politiques du Komintern sous la direction de Staline, saluée par George Orwell entre autres. Il traduit également en anglais le Staline de Boris Souvarine, publié à New York en 1939. Durant ces mêmes années, James devient un acteur central du mouvement panafricain londonien. À la suite de l’invasion de l’Éthiopie par Mussolini en 1935, il est l’un des fondateurs de l’International African Friends of Abyssinia, organisation à laquelle participent également son compatriote George Padmore, Jomo Kenyatta ou encore Amy Ashwood Garvey. Elle cède bientôt la place à l’International African Service Bureau, dont James dirige l’organe de presse, International African Opinion. |
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