Le conflit épique entre Yayi Boni et Talon n'est qu'une expression parmi d'autres de la détestation ouverte que le Président éprouve pour les opérateurs économiques béninois. Un cas singulier mais un cas tout de même. Précisons aussi que Yayi Boni ne déteste pas les opérateurs économiques en général mais leur espèce béninoise. Il n'y a qu'à voir la sollicitude à l'égard des Bolloré ou même d'autres investisseurs sahéliens de la filière coton pour s'en convaincre. Pourquoi Yayi Boni en veut-il aux Talon, Adjavon, Fagbohoun et autres Dossou-Aworêt ? Dans le cas de Talon, la tournure qu'ont prise leurs rapports illustre le dicton empirique qui dit que l'homme est toujours pressé de se venger du bien qu'on lui a fait. Mais d'une manière générale, outre le bien que certains de ces opérateurs économiques auraient fait à Yayi Boni, la détestation de celui-ci à leur égard ne s'épuise pas dans ce dicton empirique. Lorsque les choses se gâtent comme dans le cas de Talon et surtout si on considère l’injonction de l’OHADA au Bénin de payer le cas échéant un dédommagement de 160 milliards, le discours convenu de Yayi Boni devient un discours bassement populiste. Ce discours consiste à dire que Talon s'est enrichi sur le dos du pays et que sa fortune est directement proportionnelle à la pauvreté des Béninois. Talon et consorts sont donc ceux qui enlèvent le pain de la bouche des Béninois. Ce discours fait mouche chez le Béninois moyen de tempérament jaloux et envieux, bien qu’il ne résiste pas à l'analyse et à la réalité.
Mais comme lorsqu'il s'agit d'améliorer le sort des Béninois que la race des Talon aurait appauvris, Yayi Boni ne pense qu'aux “ siens”, on comprend que ça réponse concrète, la traduction de son populisme démagogique soit le régionalisme. Avec les moyens de l'État dont il dispose, il cultive passionnément le régionalisme. À l'échelle d'une génération et du temps politique, cela constitue pour lui un objectif qui a du sens. Des concours truqués aux cargaisons de nominations à l’emporte pièce dans les services, les sociétés d'État et les administrations, dans les représentations diverses à l’étranger, Yayi Boni administre sans vergogne ni retenue sa volonté de corriger une perception égocentrique de la réalité nationale : le fait que les gens qui sont les plus riches au Bénin ne proviennent pas majoritairement de sa région. Alors la politique et les moyens qu'elle permet sont exploités sans retenue pour corriger et subvertir cet état de fait. Mais cette subversion qui impose le plaisir des puissants d'une époque--que le politique se bat pour faire la plus longue possible--ne suffit pas à caser la tribu, encore moins la région et la cohorte des zombies et autres chacals du régime. Encore moins permet-elle de transformer le plomb en or. Et c'est cette incapacité cuisante à substituer les mornes d'un paysage ethnique sans relief aux montagnes héritées de l'histoire réelle du Bénin, c’est cette cuisante incapacité qui met Yayi Boni en rogne. Son pouvoir de président autoritaire et férocement régionaliste ne lui permet pas de transformer le plomb en or. Il nourrit des tchèkè à grands frais mais échoue à en faire des carpes, tandis que dans les eaux saumâtres grouillent des tilapias. Alors cela suscite l’ire du grand manitou. Il est clair que pour des raisons historiques, démographiques et sociologiques, le sud du Bénin--et sur toute la côte du golfe du même nom, le Bénin n'est pas une exception--est plus avancé que l'intérieur des terres. Et, en toute logique les grands opérateurs économiques du Bénin procèdent de cette réalité sociohistorique. C'est pour cela qu'ils sont peu ou prou de la même extraction régionale, non seulement du Sud mais d'une partie restreinte de ce sud. Car c'est tomber dans le jeu mesquin et insidieux du régionalisme de Yayi Boni que de considérer que les Collines, un département qui naguère faisait partie intégrante du territoire du Zou, ne relève pas du Sud--aussi bien au sens géographique que culturel du terme. Faire de la politique une foire au favoritisme ethnique ne suffit pas pour modifier les réalités fondamentales d'une sociologie et d'une histoire de plus d’un siècle. Surtout comparé au temps passager d'une présidence, même frauduleusement et/ou autoritairement prolongée. C'est cette vérité-là qui s'oppose à la bonne volonté régionaliste de Yayi Boni. Si le Président de la République n'était pas régionaliste, mais un vrai patriote béninois équilibré et sain, il ne détesterait pas ou n'aurait pas maille à partir avec la quasi-totalité des grands opérateurs économiques nationaux. Alors qu'il devrait les encourager, les amadouer, les caresser dans le sens du poil, il leur livre une guerre sans merci. Pourquoi ? Parce que Yayi Boni se rend compte que ces opérateurs économiques, qui se trouvent être tous du sud, sont un démenti cinglant à son rêve de subversion régionaliste. Il croit que le politique prime le sociopolitique et le socioéconomique, mais il réalise à ses dépens que cette primauté ne tient pas la route dans le cadre d'une déviance régionaliste. Ce donquichottisme désespéré et suranné est à l'évidence antiéconomique et antinational. C'est lui qui explique en grande partie la détestation passionnée que Yayi Boni manifeste à l'égard des opérateurs économiques nationaux. L'histoire énumèrera et déclinera sur plus d'un aspect de la vie collective les graves manquements de M. Yayi Boni à l'exigence de fraternité et de justice nationale d'une génération. Malgré la multiplicité de ces aspects, l’ethnocentrisme passionné que Yayi Boni a érigé en idéologie demeurera un facteur d'explication central.
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