Le 18 décembre dernier, M. Obasanjo a écrit à Jonathan une lettre controversée et directe dans laquelle l'ancien président du Nigéria accuse son successeur en place de recruter et d'entraîner une milice ayant pour but de semer la violence pendant les prochaines élections de 2015. L'accusation est grave, venant d'un ancien président au demeurant militaire de carrière et touchant le président en exercice. Comment un président de la république qui a le devoir d’œuvrer pour l'unité, la paix, la justice dans son pays ; comment dans une démocratie, un président qui a l’obligation constitutionnelle et morale de protéger ses concitoyens préparerait des actions de violence et détiendrait comme l'en accuse son prédécesseur une liste noire de plus d'un millier d’entre eux mis sous surveillance ou à éliminer le moment venu ? La chose est pour le moins étonnante. Et, en l'absence de preuves tangibles, on ne peut que faire droit à la présomption d'innocence du mis en cause. De plus, à l'instar de son prédécesseur, Jonathan se dit chrétien et comme lui, il a toujours l'invocation de Dieu à la bouche. Certes, il n'y a pas meilleure manifestation de l'irresponsabilité d'un homme politique que de s'en remettre à Dieu de ce qui relève du devoir des hommes. Mais se dire chrétien et monter une milice pour assassiner, terroriser ou semer la violence lorsqu'on est président de la république voilà qui est une aberration, à supposer que l'éthique de la responsabilité seule ne suffise pas à raison garder. Mais, alors même qu'en l'absence de preuves, on est enclin à accorder à M. Jonathan la présomption d'innocence, sur ce point précis de l'intention d'une action de violence organisée, quelques faits ou gestes de la part de son pouvoir inquiètent et constituent un faisceau d'indices troublants à défaut d'être concordants. 1. Quand les lycéennes de Chibok ont été enlevées, Jonathan a mis plus de trois semaines avant de réagir, aiguillonné par la pression internationale extérieure. Pendant ce temps, il pouvait allègrement mobiliser plus de 6000 soldats et hommes de sécurité pour protéger le Forum économique qui se tenait à Abuja. Cette attitude frise de la part du président de la république une indifférence coupable vis-à-vis de ses concitoyens. Et, comme les victimes de même que les assaillants sont tous de la même région nord du pays, cela donne le sentiment d'une indifférence à caractère régionaliste. Difficile de penser qu’un drame similaire d'enlèvement dans son propre état de Bayelsa ou même tout simplement dans le grand sud du delta du Niger aurait connu la même indifférence cynique. Cette attitude de clivage régionaliste peut être mis au compte de la représentation clivée de l'autre qui nourrit la violence, la division nationale et les guerres. 2. Alors que dans la guerre contre Boko haram, il convenait surtout pour le président de la république de donner l'exemple de l'unité nationale sacrée, cela ne semble pas être le cas dans les rangs du PDP au pouvoir. L'exemple le plus affligeant a été, concernant l’enlèvement des lycéennes de Chibok, la création de toutes pièces par le pouvoir d'un mouvement bis dénommé Release our Girls censé faire pendant au mouvement initial, BringBackOurGirls, dont l'image a fait le tour médiatique du monde. Créé de toutes pièces par le gouvernement de Jonathan, ce mouvement montre le peu de cas que celui-ci fait de l'unité nationale dans les circonstances que traverse le pays. Car ce mouvement fantôme n'est pas seulement créé pour amuser la galerie, mais ses membres sont recrutés, payés par le gouvernement avec pour mission de s'attaquer aux membres du mouvement initial et de vandaliser leur infrastructure. Toutes tensions qui ont cumulé par l'interdiction de manifestation décidée à l’encontre du mouvement initial par la police. Autrement dit Jonathan et le PDP peuvent se permettre de faire la politique politicienne au moment même où le Nigéria est au bord de l’explosion. 3. Enfin, troisième indice concordant dans le soupçon du parti pris guerrier de Jonathan, l'affaire de l'élection de l'émir de Kano. Pour des raisons fort compréhensibles, Jonathan craignait que le titre d'émir de Kano ne fût conféré à Sanusi Lamido par le gouverneur de l'État ; ce dernier étant un transfuge PDP vers le parti d'opposition APC qui donne à Jonathan de véritables maux de tête politiques et préélectoraux. L'inquiétude de Jonathan est d'autant plus sérieuse que Kano est la deuxième ville du Nigéria de par sa population après Lagos. En basculant dans le giron politique et religieux de l'opposition, Kano rejoint Lagos qui est déjà aux mains d’un gouverneur musulman de l'opposition. Pour un président obsédé de réélection, ce symbole n'est pas négligeable dans la justification a priori d'une fraude électorale. Car comme c'est souvent le cas en Afrique, les fraudes électorales doivent toujours être précédées par un schéma symbolique de vraisemblance politique aussi apparent et trompeur soit-il. A contrario, il serait difficile d'expliquer que l'on a remporté les élections sans avoir dans son giron les deux états de loin les plus peuplés du pays. C'est donc pour sauver cette fiction préalable que M. Jonathan s'est jeté à corps perdu dans la bataille de Kano. Et malgré la situation de guerre contre le terrorisme qui prévaut, le Président n’a pas craint d'ajouter la division fratricide à la tension déjà vive dans le nord. Très obsédé par ce qui était, il faut le dire, le coup de force de l'opposition sur l'émirat qui donnerait dans la foulée l'occasion à l'ancien gouverneur de la banque centrale de se faire une santé médiatique et un abri juridico-politique faciles, M. Jonathan et ses hommes de main n’eurent de cesse de répondre par un coup de force politicien inverse. Sans vergogne ni scrupules, le PDP mobilisa des manifestants stipendiés pour la plupart, fit une manipulation consistant à saluer par anticipation l'élection supposée du fils de l’émir décédé alors que le nom du nouvel émir n'était pas encore officiellement rendu public. Tout cela dans le but d'inciter une partie de la population à la révolte contre le vrai nouvel émir ! Comment le président d'un pays à ce point au bord de la déflagration, traversé de violence et de soubresauts peut, un tant soit peu, participer à ces intrigues de division et de manipulation de masse au moment où plus que jamais l'unité était une nécessité sacrée ? Ces trois faits de notoriété publique qui ne relèvent ni d'élucubrations ni de simples suppositions et dont la responsabilité incombe entièrement à M. Jonathan prouvent si besoin en est que ce dernier est prêt à faire flèche de tout bois dans sa volonté de ne pas quitter le fauteuil présidentiel en 2015. Et qu’aussi graves soient-elles les accusations d’intention de violence organisée portées par M. Obasanjo dans son fameux brûlot épistolaire contre Jonathan ne sont pas entièrement imaginaires.
Pauvre Nigéria, pauvre Afrique !
Binason Avèkes
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